De l’élitisme dans l’édification religieuse
De l’élitisme dans l’édification religieuse
C’est la théologie qui permet de rendre intelligible l’éternité portée par une révélation divine, à la lumière des réalités humaines.
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Il ne fait aucun doute qu’aucune religion ne peut survivre sans une bonne théologie. Toute religion, même basée sur l’idée de révélation, est en effet située dans l’histoire. La révélation en tant que phénomène vertical implique certes une dimension d’absolu, d’intangibilité ou, encore dit autrement, de transcendance. Pour autant, l’absolu ne peut être humainement accessible qu’en entrant dans l’histoire. Ce point d’impact entre une révélation divine verticale et des réalités humaines horizontales fonde le besoin d’articuler l’intemporel et le temporel. C’est là le travail de la théologie.
UNE DISCIPLINE REDOUTABLE
C’est la théologie qui permet de rendre intelligible l’éternité portée par une révélation divine, à la lumière des réalités humaines. Qu’il s’agisse du sens de la vie, de la mort et de la résurrection du Christ dans le christianisme ou du sens du tawhîd (« unicité divine absolue ») en islam, la théologie devient la voix à travers laquelle l’intelligence de la foi se déploie et renouvelle sans cesse le sens porté par les métaphysiques de ces doctrines. Dit autrement : on ne peut comprendre ce qui est absolu et ce qui est relatif dans une religion que si le discours qui la porte se veut théologiquement solide. On peut même aller jusqu’à considérer que les déséquilibres au sein d’une religion — sous la forme d’une hypertrophie dogmatique ou au contraire d’une dilution du sens — sont dus à un travail théologique lacunaire.
Pour autant, tout étudiant en théologie le sait : il s’agit d’une discipline redoutable. Rien que sur un plan philosophique : pourrait-on comprendre quelque chose à la trinité sans passer par les catégories philosophiques d’ousia ou d’hypostasis ? Pourrait-on imaginer aborder les diverses formes de la théologie de la révélation en islam, sans comprendre les enjeux liés aux questions de parole (divine) dite “en puissance” et parole (divine) dite “en acte” ? Et que dire des difficiles questions qui fondent l’herméneutique des textes religieux ?
UN TRAVAIL CONSÉQUENT
De fait, n’a-t-on pas affaire à un problème fondamental ? Pour bien “parler religieux”, il faut de la théologie et même, de la bonne théologie. Mais la maîtrise des bases de cette discipline exige un travail conséquent en philosophie, en histoire et en herméneutique, pour ne citer que les trois sciences les plus récurrentes dans ce domaine… Au final, les théologies les plus raffinées — et donc les plus éloignées des extrêmes — ne seraient-elles pas une affaire plus ou moins exclusive de spécialistes ? Le cas échéant, les formes les plus doctes de théologie seraient réservées à une élite.
À notre époque où le cerveau humain est noyé dans un espace saturé de distractions, les discours théologiques très (trop) techniques n’ont virtuellement aucune chance de se faire une place dans les esprits des masses. Dès lors, il se pourrait bien que la condition de survie d’une religion donnée passe par la case de ce que l’on appelle la “vulgarisation” ; mot peu agréable à l’oreille, mais qui désigne la noble tâche consistant à simplifier, sinon clarifier, les notions et les concepts les moins accessibles d’une discipline.
Sous peine de voir leur religion devenir de plus en plus élitiste, et donc de moins en moins vivantes, le défi prioritaire des théologiens d’aujourd’hui pourrait relever davantage non pas d’une quête de complexité comme jadis, mais au contraire d’un retour salutaire, mais exigeant, à une forme de simplicité.