Des enfants face à la réalité de la Grande Guerre
Des enfants face à la réalité de la Grande Guerre
La mission du musée In Flanders Fields, à Ypres, est de montrer, dans toute son horreur, la réalité de la guerre 14-18. C’est un lieu de mémoire et de recueillement accessible à tous, quel que soit l’âge. Visite en compagnie d’enfants d’une classe de sixième primaire.
Publié le
· Mis à jour le

Depuis 1928, tous les soirs à 20 heures, et devant plusieurs centaines d’auditeurs, le Last Post résonne au son du clairon, sous la Porte de Menin à la sortie d’Ypres. Une sonnerie aux morts en mémoire aux milliers de soldats britanniques morts durant la Première Guerre mondiale. Leurs noms sont gravés dans la pierre de l’arche de la Porte. Sur la Grand-Place toute proche, le beffroi, symbole de l’indépendance de la ville, surplombe la Halle aux Draps, témoin de sa puissance économique. Cette majestueuse place que l’on découvre aujourd’hui avec émerveillement a été reconstruite à l’identique après avoir été complètement rasée par les bombardements et les incendies causés par les combats entre 1914 et 1918, la cité flamande étant un endroit stratégique.
GARDER MÉMOIRE
C’est dans la Halle aux Draps qu’est installé le musée In Flanders Fields. Sa mission est de présenter le conflit dans tous ses aspects et garder la mémoire des souffrances endurées par les belligérants, quel que soit leur camp. Sans oublier le sacrifice de très nombreux civils. Il veut aussi mettre des noms sur des visages inconnus, dont celui du soldat poète John Mac Crae qui, au milieu des combats qui ont eu lieu ici a écrit : « Si vous nous laissez tomber (…) nous ne trouverons pas le repos bien que les coquelicots fleurissent dans les champs de Flandre. » Les « coquelicots » comme autant de gouttes de sang dans « les champs de Flandre ».
Un groupe d’enfants d’une “classe histoire”, en tenue cycliste, se prépare à pénétrer dans le musée. Ils comptent visiter à vélo un certain nombre de lieux stratégiques. En guise de billet d’entrée, chacun reçoit un bracelet muni d’un coquelicot. Un symbole fort. Une invitation à se souvenir. Une clé de mémoire qui enclenche, au fur et à mesure de la visite, les commentaires diffusés par l’audio guide. Ce qui permet une visite adaptée à chaque public avec un parcours spécialement dédié aux plus jeunes. Les visiteurs du jour se trouvent plongés au cœur d’une scénographie de grande qualité qui se marie très bien avec la beauté du lieu. Ils sont invités à déambuler dans un labyrinthe de colonnes brisées, de blocs qui leur barrent le chemin. On se croirait dans un dédale des tranchées, avec des coins, des recoins. Les réponses aux questions qu’ils se posent, ils peuvent les trouver dans des cartes, des vidéos, des objets, des affiches. Chacun se fait sa route selon ses centres d’intérêt, ses connaissances, son âge aussi. Mais toujours avec beaucoup d’émotion.
NOËL FRATERNEL
Chacun peut ainsi mener son propre parcours, même si l’exposition suit un ordre chronologique : les origines du conflit, l’invasion, l’exode des populations locales, l’acharnement et les destructions, la guerre de position durant près de quatre ans. Les enfants sont particulièrement concentrés et attentifs à la moindre explication. Ici, un objet exposé les intrigue. Là, face à un écran, ils sont happés par un visage qui, grâce aux commentaires, devient vite un nom, une histoire. Sur une vidéo, un militaire raconte ce Noël où des soldats de tous les camps ont fraternisé entre les tranchées, suite à un chant lancé par l’un des leurs. Les tranchées, justement. Une vitrine détaille leur construction et le terrible quotidien de ceux qui y vivaient, qu’on a appelé les poilus.
L’exposition, constituée de documents, photos et pièces réels, témoigne de faits qui se sont déroulés à deux pas de là. Chacun peut ainsi mettre des mots et des images sur ce qui s’est réellement passé. « On dirait des photos d’un journal d’aujourd’hui », chuchote un enfant à un autre. Toutes les guerres se ressemblent. L’instituteur est là pour veiller à aider chacun de ses élèves dans leurs découvertes. Un petit mot pour inviter à mieux regarder, un geste de la main pour indiquer quelque chose qui aurait pu leur échapper. « Cette visite leur permettra d’avoir des images qui referont surface lors des autres visites prévues, explique-t-il. Il y aura ainsi dans leur tête des visages, des objets qui donneront vie aux différents endroits qu’ils visiteront ensuite. »
MONTÉE DU BEFFROI
En guise de récréation, le beffroi et ses 250 marches attendent le groupe. Si la montée se mérite, elle en vaut la peine : de là-haut, les enfants peuvent balayer du regard l’ancien champ de bataille, avec le mont Kemmel dans le fond, et apercevoir tous les endroits qu’ils s’apprêtent à découvrir. Avec, en prime, un concert de carillon. Comme un hymne joyeux et tonitruant à la paix qu’ils savourent en plein air. Retour dans l’exposition pour visionner des films où des comédiens racontent l’un ou l’autre fait de guerre en redonnant vie à un des objets exposés. Une maquette originale permet aussi d’assister à la montée des eaux lors de l’inondation des polders, avec un clocher comme ultime témoin de l’existence d’un village. Sur une vidéo, des descendants de soldats lisent, sur les lieux mêmes des combats, un texte que leur a laissé leur aïeul. Une trace intime entrée en leur possession grâce à la récolte de témoignages de tous genres entrepris par le musée. Sur une colonne, est projetée la liste des morts du jour. Anniversaire de décès d’anonymes. Lire cette liste qui défile sans arrêt permet d’accorder une attention particulière à ceux qui, sinon, tomberaient dans l’oubli.
S’en viennent alors des vitrines sur l’armistice et la paix, la reconstruction des villes ravagées, l’installation des lieux de mémoire. Au fronton de la dernière porte à franchir avant de sortir est gravée la litanie de tous les conflits qui ont éclaté de par le monde après l’armistice de la guerre 14-18. La liste est très longue et, hélas, il y a encore de la place. Sur une estrade, deux chaises vides sont exposées, avec chacune une étiquette. En s’approchant, le visiteur peut lire sur l’une “Ukraine”, sur l’autre “Russie”. Un enfant à son camarade : « Tu te rappelles cette photo où des soldats avaient passé le premier Noël de cette guerre qu’il pensait rapide ? Ici les chaises sont vides et c’est dommage. » « En attendant, moi, je garde mon bracelet pour ne pas oublier », lance, en sortant, un autre qui retrouve son vélo avec lequel il poursuivra sa quête, nourri de suffisamment d’images et d’informations pour mieux appréhender les différents sites qu’il va découvrir. Il n’y aura jamais trop de coquelicots dans les champs de Flandre ou d’ailleurs pour se souvenir que la paix est tellement fragile.
Christian MERVEILLE
In Flanders Fields, Lakenhallen, Grote Markt 34, 8900 Ieper. inflandersfields.be/fr