Du temps pour suspendre le temps

Du temps pour suspendre le temps

« On ne s’arrête jamais de courir ! ». Et quand on veut reprendre son souffle, on ne sait pas toujours vers quoi se tourner. La religion, au sens large, et les diverses spiritualités prennent-elles en compte ce besoin vital ?

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Publié le

29 février 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Plusieurs personnes de profil, assises, qui ferment les yeux

« Ô temps ! Suspends ton vol ! » Ce vers extrait du poème de Lamartine, qui intime au temps l’ordre de lever un peu le pied, est souvent cité pour exprimer un besoin de sortir du marathon. Mais il est bien entendu que le temps ne peut pas ralentir sa propre course. Il revient à celui qui souffre de l’accélération du rythme de sa vie de faire des choix pour calmer le jeu avant qu’il ne soit trop tard. Ce “trop tard” se manifeste notamment par le burn-out, un véritable fléau. Parmi les pistes pour arrêter la course folle du temps, et le stress qui l’accompagne, beaucoup rêvent de vacances. Mais celles-ci ne provoquent-elles pas elles-mêmes du stress ? 

DES MOYENS FORT DIVERS

D’autres moyens existent, comme se fixer des temps de solitude, marcher sur un chemin de pèlerinage, méditer ou participer à une session spirituelle. Si le temps du carême chrétien donne une occasion de prendre de la distance, la majorité de ceux et celles qui veulent s’accorder un temps de pause ne fait-elle sans doute pas le rapport entre leur demande et cette offre possible. On peut d’ailleurs s’interroger sur la manière dont les religions et les spiritualités ont pris en compte ce besoin bien compréhensible de retrouver un temps pour soi, d’une part, et sur la lisibilité de leur message, d’autre part.

SÉJOUR MONASTIQUE

Le séjour de type monastique est l’une des réponses possibles au désir d’oxygéner sa vie. Charles Delhez, jésuite et sociologue, observe que le rythme de la vie sociale laisse peu de temps pour le spirituel ou pour la pratique religieuse. Le monde catholique en tient compte en multipliant les offres de genres variés. « Quand j’étais jeune religieux, à La Pairelle (centre spirituel), toutes les retraites avaient à peu près le même format, se souvient-il. Aujourd’hui, il existe une infinité de propositions avec des succès divers. Les publics sont aussi plus mêlés que jadis. N’est-ce pas parce que, au point de vue spirituel et religieux, la société est davantage éclatée, chacun faisant son parcours personnel ? On est à l’heure du relativisme, du doute et du questionnement, voire du scepticisme, ou bien de l’affirmation identitaire. Les monastères et les abbayes restent des lieux où des personnes aiment se rendre, même si c’est le fait d’une petite minorité. Ce sont des lieux favorables à une rupture de quelques jours dans la course folle du quotidien. Des lieux où passent, et parfois séjournent, des gens qui n’arrivent plus à se situer dans le monde d’aujourd’hui. Le dépaysement, le calme, le côté sacré, l’oreille attentive d’un religieux, tout cela est précieux. »

VARIÉTÉ D’OFFRES

Son confrère jésuite Paul Malvaux, animateur spirituel à La Pairelle à Wépion, distingue trois grandes catégories de demandes, et donc d’offres en matière de séjours. « D’abord, une offre traditionnelle assez structurée autour des exercices spirituels de Saint Ignace de Loyola. Elle s’adresse à des personnes ancrées dans la foi, qui savent ce qu’elles recherchent et où elles mettent les pieds. Le séjour dure plusieurs jours, avec un programme précis. Il existe aussi, et c’est relativement nouveau depuis une dizaine d’années, un public individuel qui cherche un lieu pour faire le point sans entrer dans une démarche aussi exigeante. Ces personnes viennent avec une question. Elles savent qu’un accompagnement individuel est possible. Pour tout qui le souhaite, il existe enfin une troisième catégorie d’offres d’activités spirituelles au sens large, qui se décline à la carte. » 

Le choix proposé est plus vaste et plus varié qu’autrefois : journée-oasis, marche et prière, relecture de journée ou de vie, temps de discernement, retraite-jeûne, aquarelle, méditation de pleine conscience… On le voit, il y a un support “autre”, susceptible d’ouvrir de nouvelles voies d’accès au spirituel et, toujours selon Paul Malvaux, on remarque un effort manifeste pour faire autre chose qu’une retraite classique.

PIQÛRE DE RAPPEL

Sophie Philippart, formatrice, a effectué à plusieurs reprises une retraite d’une semaine au Village des Pruniers dans la région de Bordeaux. Ce lieu créé en 1982 par le moine bouddhiste vietnamien Thich Nhât Hanh est basé sur la tradition bouddhiste zen. Occupé quotidiennement par deux cent cinquante moines et nonnes, ce centre reçoit chaque année des retraitants du monde entier. Sophie raconte : « Le lieu est ouvert à monsieur et madame Tout-le-Monde. Nous avons vécu au rythme des moines et des moniales sans obligation de participer, mais avec des règles à respecter, comme le silence. Le programme commence à six heures du matin par une méditation de pleine conscience, sans connotation religieuse. On assiste à une conférence d’une heure et demie donnée par un moine, par exemple sur le thème de l’émerveillement. J’ai vraiment fait l’expérience du temps suspendu. Je ne suis pas spécialement attirée par la vie en communauté, mais savoir que l’on vit la même démarche ensemble, cela aide réellement. »

La jeune femme a également séjourné à Orval. Selon elle, il n’est pas nécessaire d’être croyant pour participer à une telle retraite. Il n’y a pas d’obligation d’aller aux offices.« Mais évidemment, il vaut mieux ne pas être allergique aux questions religieuses. » « Le danger, poursuit-elle, c’est le retour dans la société. On est à nouveau projeté dans la course. Il faut faire attention à ne pas en arriver à des décisions extrêmes, comme celle de quitter son travail. Je m’accorde des piqûres de rappel, avec des applications, des enregistrements, des chansons, des vidéos, des podcasts pour me recentrer sur l’essentiel. Si je me coupe parfois de la réalité, ce n’est pas pour m’isoler dans un monde de Bisounours, c’est pour mieux vivre mon quotidien dans une société difficile et pour devenir plus tolérante envers les autres ». 

PARENTHÈSE ENCHANTÉE

Selon Pascal André, responsable d’une fondation œuvrant dans le secteur des soins palliatifs, si se ressourcer est une nécessité absolue, partir en vacances ne répond pas à ce besoin, parce que cela engendre encore une forme de pression. Il souligne l’importance de veiller à ce que ces “temps suspendus” ne soient pas autant de lignes supplémentaires dans un agenda déjà chargé. « Quand je fais une méditation, c’est encore du temps programmé, observe-t-il. Il y a même parfois une certaine pression à trouver ces quelque quinze minutes tous les jours. Est-ce que cela modifie vraiment ma vie de prendre ces instants sporadiquement ? L’idée, c’est plutôt de changer en profondeur mon rapport au temps, au quotidien. Toute cette réflexion m’est venue pendant les années covid. J’ai vraiment aimé l’opportunité offerte par le confinement, cette parenthèse enchantée dans ma vie, même si l’on est bien d’accord pour dire que la pandémie a été une catastrophe. J’ai ressenti un soulagement, alimenté par le fait de ne ressentir aucune culpabilité à suspendre le rythme fou de ma vie active. »

Aujourd’hui, il s’apprête à prendre à pied le chemin vers Rome, en suivant la Via Francigena, en compagnie de trois autres personnes avec lesquelles il partage les mêmes valeurs. Ils marcheront de Pise à Sienne. Ensemble, ils ont pris le temps de préparer ce périple, en créant notamment un carnet de méditations, avec des temps de réflexion personnelle et des temps d’échange en fin de journée, pour faire de ce chemin, une route méditative. 

Chantal BERHIN

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