Églises : sacré or not sacré ?

Églises : sacré or not sacré ?

Depuis quelques années déjà, l’utilisation des bâtiments religieux pose question. Leur entretien est souvent lourd, alors que leur occupation est réduite. C’est pourquoi un grand nombreux d’entre eux connaît une reconversion culturelle.

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Publié le

31 janvier 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Une femme et deux hommes se tiennent l'un à côté de l'autre, l'un des deux hommes joue de la guitare.

En 2018, trente-et-une églises ont été désacralisées en Belgique. Plusieurs de ces édifices religieux sont devenus des lieux culturels, comme, à Bruxelles, la chapelle des Brigittines et celle des Riches Claires. D’autres ont été transformés en logements, musées, hôtels ou même en magasin de vêtements !L’ancienne abbaye cistercienne Notre-Dame du Vivier à Marche-les-Dames a connu un destin singulier. En octobre 2018, des particuliers ont acquis ce monastère classé pour lui rendre vie, tout en respectant son histoire. Depuis s’y déroulent des spectacles, des visites guidées permettant de découvrir les lieux, des brocantes… On peut aussi y déguster une bière brassée à nouveau avec l’eau de la source locale. 

UNE FINALITÉ BIEN DÉFINIE

En novembre 2018, à Rome, un colloque intitulé Dieu n’habite plus ici ? a abordé cette question des églises désaffectées. Selon le site Vaticanews, cité par l’Institut pèlerin de patrimoine, « la nouvelle destination d’usage de ces églises déconsacrées doit avoir une finalité culturelle, sociale ou caritative bien définie, en excluant dans tous les cas une quelconque utilisation commerciale, à moins qu’elle ait une finalité solidaire ». Et dans une lettre datée du 27 juin 2019, les évêques de Belgique rappellent les défis auxquels ils sont confrontés. « L’infrastructure héritée du passé ne correspond plus à la situation réelle de l’Église dans notre société », écrivent-ils. Ils insistent sur le fait que les bâtiments d’église perdraient une signification profonde si on ne se limitait à les ouvrir que pour les célébrations : « Les églises sont des lieux d’accueil dont les portes sont ouvertes. On y entre et on en sort comme on veut. (…) Ce sont des lieux ouverts pour tous, croyant ou non. »

L’ASBL Églises ouvertes, fondée et dirigée par Marc Huynen, incite ses membres gestionnaires du patrimoine religieux (fabriques d’église ou communes) à faire des églises « des lieux de vie ». En Flandre, les responsables doivent avoir, pour chaque bâtiment, un projet d’avenir qui conditionne la subsidiation par la Région flamande. En Wallonie, où la prise de conscience a été plus tardive, mais plus claire qu’en France, cette association édite une brochure qui fournit des exemples de rénovation en lieux de vie à travers un réseau européen (Belgique, France et Grand-duché du Luxembourg) de plus de quatre cent vingt-cinq édifices religieux, dont près de trente en Belgique. Leur accessibilité à l’ensemble de la population est un défi important et d’actualité. Ce réseau défend l’idée d’« ouvrir nos églises si souvent fermées et rencontrer le désir de beaucoup, quelles que soient leurs convictions, d’entrer dans les édifices religieux pour des motifs d’ordre spirituel, culturel ou par simple curiosité ». 

PROJETS CULTURELS

Plusieurs édifices religieux ont aujourd’hui un projet culturel, à côté du culte qui est préservé. À Verviers, le devenir de l’église Saint Remacle a été l’occasion d’une discussion avec les habitants. À Forest, dans la partie désaffectée de l’église Saint Antoine de Padoue, une salle d’escalade a été installée. L’autre partie du bâtiment reste dévolue au culte. Durant les fêtes de la Saint-Martin, qui donnent lieu à un parcours d’artistes dans l’entité de Beauvechain, la superbe église romane Saint-Martin de Tourinnes-la-Grosse accueille des concerts. Ce qui n’a rien d’exceptionnel : la fabrique d’église en organise dans cet espace, essentiellement de musique classique, et l’école de musique met sur pied des concerts philanthropiques. Sans oublier qu’au cours du festival Max Van der Linden, du nom du célèbre céramiste, des concerts internationaux résonnent tout au long du week-end de trois jours. 

De son côté, la chapelle Notre-Dame du Marché, à Jodoigne, a été partiellement désacralisée et est devenue un lieu culturel. Une convention a été signée entre la paroisse, la commune et le centre culturel pour un usage partagé. Le chœur a été conservé intact et il est possible de célébrer la messe, l’espace peut être clos par un dispositif. Il existe aussi un lieu de recueillement dans la sacristie modernisée. Le reste du bâtiment est aménagé pour la culture : conférences, théâtre, concerts et expositions. Marcel Huynen précise qu’il n’y a pas de difficulté à ouvrir les lieux consacrés à du culturel si le projet est porteur de sens.

UN PROJET AMBITIEUX

Le projet sans doute le plus abouti est celui de l’église du Prieuré de Malèves-Sainte-Marie qui vient d’être profondément rénovée et dont l’inauguration s’est déroulée le week-end des 11 et 12 novembre derniers. Non seulement le culte y est célébré chaque semaine pour la paroisse, mais l’endroit rassemble plus de cent cinquante personnes plusieurs samedis dans l’année autour d’invités issus de tous horizons. L’église pourra également accueillir des célébrations laïques. Le Prieuré a signé une convention avec la commune de Perwez, qui a le souci de la qualité de vie de ses habitants et qui veut leur offrir des lieux et des projets intéressants. 

La particularité de celui-ci réside dans une autre convention passée avec le cardinal et l’évêque du Brabant Wallon qui rattache directement l’ASBL Le Prieuré Sainte-Marie au Vicariat de la province. Cette convention indique que l’église n’est pas seulement un lieu de culte, mais aussi de culture. « En effet, peut-on y lire, la culture n’est pas étrangère à la spiritualité. Le Verbe se fait chair quand il prend la voix d’un comédien, quand il trouve son chemin dans les mots d’un écrivain, les mouvements d’un danseur ou les couleurs d’un peintre. Chaque fois qu’une parole remet un homme debout, lui redonne de l’espoir, ressuscite en lui l’envie de vivre, chaque fois qu’une parole pardonne, donne une nouvelle chance, elle offre une résonance à la parole de Jésus. » 

Lors des grandes fêtes liturgiques, telles que la célébration de Noël ou la Semaine sainte, étant donné que son église ne peut accueillir que cent cinquante personnes, le Prieuré se déplace à la Ferme du Biéreau, à Louvain-La-Neuve. Ainsi, ce 24 décembre 2023, trois célébrations de Noël s’y sont déroulées. Deux musiciens, l’accordéoniste Didier Laloy et le guitariste Pascal Chardome, le comédien Philippe Vauchel et l’ensemble Muz’and friends participaient à l’animation de cette veillée autour du thème Au nom de ma mère, un récit de l’écrivain italien Erri De Luca. Ces célébrations ont rassemblé près de mille deux cents personnes. 

Il est certes impossible de conclure, au vu des évolutions des bâtiments et des mentalités, mais il faut retenir la volonté de certaines églises de s’ouvrir à la culture, dotées parfois d’un vrai projet. Et cela même si, dans certains cas, des fabriques d’église refusent toutes possibilités de concert, justifiant leur décision par l’absence de désacralisation du bâtiment. Comme si le sacré était incompatible avec la culture !

Thierry MARCHANDISE

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