Et si Dieu était une femme…

Et si Dieu était une femme…

Dieu ? Dieue ? Dieu·e ? Comment écrire (et dire) le nom de Dieu à une époque où les questions de genre prennent une place de plus en plus importante ? Est-il Homme ? Est-elle Femme ? À moins que, au fond, le sexe de Dieu importe peu. Sauf que son image masculine et paternelle n’a pas fini de hanter les esprits…

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Publié le

29 février 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Image d'une femme avec un halo blanc derrière elle, avec une robe blanche les bras écartés et la tête regardant vers le ciel

L’affaire s’est perdue dans les méandres de la crise du covid. Mais, en septembre 2020, la Jeunesse étudiante catholique allemande (KSJ) avait voulu frapper un grand coup : elle proposait que, dorénavant, le nom de Tout-Puissant s’écrive Dieu*, avec un « astérisque d’indistinction de genre ». Dans une interview, Anna-Sophia Kleine, assistant théologique au KSJ, expliquait : « Dieu* signifie que nous voulons sortir Dieu du plan sexuel. Parce que nous croyons que Dieu est en toutes choses. C’est l’une des convictions fondamentales de la foi catholique et pourtant il a été établi dans les esprits que Dieu n’est qu’un homme. Ce que nous contestons. » Cette proposition n’a pas été suivie par la hiérarchie de L’Église allemande…

Quelques mois plus tard, les fondatrices de l’association Oh My Goddess ! (« Oh, ma Déesse ») organisaient à l’Université de Genève un colloque provocativement intitulé Au nom de la Mère. Si le sous-titre de l’événement révélait qu’il était davantage consacré au féminisme dans les Églises qu’au statut de Dieu le Père ou la Mère, ce colloque a été suivi, l’an dernier, de la publication d’un ouvrage collectif, simplement intitulé : Dieu·e. Avec le “e” médian cher à l’écriture inclusive. À chacun de choisir le genre de Dieu.

LA GRANDE MÈRE QUI RETIENT

La question du sexe de Dieu est dans l’air du temps. Savoir pourquoi, et depuis quand, on lui a créé puis entretenu une image patriarcale semble aujourd’hui à peu près réglé. Car, évidemment, ce n’est pas Dieu lui-même (ou elle-même) qui s’est donné·e un sexe. Depuis la nuit des temps, ce sont les humains qui, naturellement, ont conféré un genre à leurs divinités, ou à leur divinité unique. Mais si l’Humain était resté un chasseur-cueilleur, au lieu de se sédentariser au néolithique, peut-être Dieu n’aurait-il pas été considéré comme masculin. À ce moment-là, bien des choses ont changé sur Terre. Car, aux origines, l’idée de Dieu était plutôt associée à celle de la femme, et en particulier à celle de la Grande Mère.

« Si Dieu avait été pensé comme féminin dès les origines, le langage pour parler de Lui ne serait pas le même. »

« Dans l’univers patriarcal qui a développé les monothéismes, il est commun de se référer à un Dieu “Père”, donc mâle, explique Sylvaine Landrivon, docteure en théologie et coprésidente en France du “Comité de la jupe”. L’identifier au féminin est une tendance contre laquelle ont lutté toutes les religions de peur de référer le divin à la “Grande Mère” qui hante nos inconscients. En effet, un Dieu féminin court le risque de le limiter à la compassion ou plus sûrement de devenir le symbole maternel du lien qui retient et entrave. »

OU LE PÈRE ?

Coordinatrice (avec d’autres théologiennes) de l’ouvrage Une Bible des femmes, la professeure de l’Université Saint-Paul à Ottawa Pierrette Daviau y notait qu’« un premier regard sur les images du divin véhiculées dans le christianisme laisse souvent cette impression que Dieu est surtout défini par le masculin : le Père, le Fils, Jésus, le Seigneur, le Créateur, le Roi, le Tout-Puissant, le Juge, l’Époux, etc. Dieu est aussi présenté comme un vieillard barbu, bienveillant et sympathique, mais parfois intraitable et justicier. » Elle relevait aussi que « si la théologie et l’enseignement religieux ont développé presque exclusivement la paternité de Dieu, c’est pour attribuer au père l’initiative de l’acte créateur ».

« Si Dieu avait été pensé comme féminin dès les origines, le langage pour parler de Lui ne serait pas le même, estime de son côté Justine Manuel, postdoctorante et chargée de cours à l’UCLouvain. Le féminin serait utilisé pour la désigner, et ce serait d’autres aspects du divin qui seraient mis en avant. En négatif d’un Dieu le Père, seigneur de la terre et de l’univers, et qui est traditionnellement vu comme une sorte de Pater Familias, on aurait plutôt une Dieue Mère qui promouvrait d’autres caractéristiques. On peut alors imaginer que les hiérarchisations des valeurs, des caractéristiques, des principes régissant la vie humaine ne seraient plus les mêmes. Cela pourrait être en quelque sorte une loi des mères qui régirait les sociétés, avec un accent très fort mis sur la communauté en général et pas forcément sur la famille, vu que prouver la descendance “légitime” ne serait pas problématique. Ce mode de fonctionnement aurait pu mettre l’importance sur les fonctions/vocations des individus, sans prédéterminer un rôle à chacun en fonction d’un sexe ou d’un genre. »

Se référant aux travaux de la psychologue jungienne Julie Saint-Bris, Catherine Chevalier, enseignante à la Faculté de Théologie de l’UCLouvain, explique que, dans l’Histoire, « l’apparition progressive d’un principe masculin représente le processus de prise de conscience de l’être humain ». « En d’autres termes, commente-t-elle, si Dieu était une femme, elle pourrait être cette terre nourricière… Mais cela ferait courir le risque aux croyants de rester dans une fusion sans séparation et donc sans autonomie par rapport à cette divinité Grande Mère. » 

À côté de cela, il est clair que la masculinisation de Dieu a aussi été une affaire de contexte culturel. « Les catégories culturelles sont les mots que les hommes mettent sur leur expérience de Dieu », souligne Catherine Chevalier. Le rapport au masculin et au féminin en fait partie. Et ces catégories sont liées au contexte culturel dans lequel elles sont établies. Historiquement, leur usage s’est inscrit dans le cadre d’un monde où les femmes étaient subordonnées aux hommes. La représentation de Dieu y était donc en adéquation avec leur temps.

DES CHANGEMENTS D’ÉPOQUES

« Une religion se développe dans une société donnée. Elle absorbe ce que cette société génère », ajoute Paule Zellitch, présidente de la Conférence catholique des baptisé·e·s francophones. À propos des religions dites “du Livre”, elle rappelle que cette Écriture « est le produit des milieux dans lesquels elle a été élaborée. Elle raconte seulement l’histoire d’hommes ou de sociétés en quête de Dieu, qui s’exprime selon les outils dont elle dispose. On ne peut pas faire aux Textes le procès de parler ou de dire des choses autrement que ce qu’ils pouvaient faire, au moment où ils le faisaient. Maintenant c’est à nous de voir comment faire bouger les lignes. Comment on peut, à notre tour, exprimer les choses pour le monde dans lequel nous sommes. Quand des chrétiens pratiquants s’expriment sur leur foi, ils emploient très souvent un vocabulaire de type masculin. Face à cette situation, il m’arrive de demander à des femmes : « Alors ça vous fait quoi ? » À ce moment-là, les langues se délient. Et on rencontre deux types de situations. Il y a des femmes qui, dans leur religion, pensent vraiment s’adresser à un homme. Cela les met en position de femme vis-à-vis d’un homme, ce qui est à mon avis assez peu ajusté. Ou alors elles passent outre, accomplissant une espèce de bascule inconsciente qui fait que, face à cette question, elles réussissent à trouver leur zone de confort. »

«Le récit de la création nous dit que l’être humain, mâle et femelle, est à l’image de Dieu. »

LE TEMPS DE LA RECONSTRUCTION

« On est seulement au niveau social en train de déconstruire des imaginaires qui nous ont fait projeter sur le passé ce qui est le résultat d’un processus culturel, reprend la spécialiste de l’UCLouvain professeure Chevalier. Et ce à une époque marquée par Me Too, troisième grand moment du féminisme. Qu’est-ce qu’on en fait du point de vue de la réflexion scientifique, théologique et anthropologique ? C’est quoi être un homme, c’est quoi être une femme ? Est-ce qu’on peut être ni un homme ni une femme, etc. Ces questions, il y a vingt ans, on ne les posait pas. Aujourd’hui, on peut parler d’un Dieu-père et d’un Dieu-mère. Parce qu’on se rend compte qu’on a été très marqués par ces images de Dieu, parce qu’on parle de patriarcat, etc. Mais, en même temps, on est face à des sources qui disent ce qu’elles disent. Est-ce que redécouvrir cette dimension maternelle en Dieu va nous faire réécrire la Bible ? La Bible, elle est écrite. Dans la fidélité à la révélation se posent beaucoup de questions. »

Des questions, il n’en manque pas chez les théologiennes féministes qui s’appliquent à transcender l’image trop masculine du Dieu de la Bible. « Rechercher les symboles féminins du divin dans la Bible et le christianisme, n’est-ce pas élargir l’image de Dieu, rendre possible une redécouverte de son mystère tout en favorisant une restauration de la dignité des femmes ?, demande Pierrette Daviau dans le livre Une Bible des femmes. Pour mieux rééquilibrer les visions surtout masculines de Dieu encore présentes, des théologiennes féministes ont développé une image féminine de Dieu ; elles honorent avant tout les expériences humaines, en prêtant une attention particulière à celle des femmes colorant d’autres expériences spirituelles des humains. Dieu n’est pas simplement masculin, il présente aussi des traits maternels. » Une autre vision de Dieu qui n’est pas l’apanage du XXIe siècle. Pierrette Daviau rappelle que, notamment à la grande époque des béguinages, certaines mystiques comme Christina de Markyate, Hildegarde de Bingen ou Julienne de Norwich priaient déjà Dieu au féminin…

GENRÉ·E ? OU PAS ?

« Dieu n’a pas un sexe, mais deux. Il est à la fois masculin et féminin », affirmait en 2019 lephilosophe belgeLudovic Robberechts dans une interview. Mais, finalement, faut-il vraiment vouloir sexuer Dieu ? « Il faut faire attention à ne pas naturaliser les caractéristiques et les rôles à partir de ce que l’on connait aujourd’hui, souligne la chercheuse de l’UCLouvain Justine Manuel. Une Dieue pourrait être mise en avant pour sa maternité et son rôle maternel envers les êtres humains, envers sa création. Mais alors comment la croyance en une Dieue aurait-elle influencé la caractérisation de la maternité ? »

Peut-être faut-il plus simplement déposséder l’idée de Dieu de celle du genre. « Dieu ne saurait être dans le genre », considère ainsi Sylvaine Landrivon. Reprenant la phrase : « Si Dieu est mâle, alors le mâle est Dieu», écrite par la théologienne Mary Daly il y a plus de cinquante, elle ajoute : « L’inverse étant vrai aussi, cela vient contredire le fait que tous les humains sont “image” de Dieu, chacun cherchant à se convertir jusqu’à retrouver sa “ressemblance” au créateur, par-delà les affectations sexuées. » « C’est en ce sens, termine-t-elle, que le Comité de la jupe oriente le regard catholique vers la pleine égalité des femmes et des hommes pour servir Dieu qui étant le Tout Autre, est tout en toutes et tous. »

« Selon moi, si Dieu était une femme, ce ne serait pas mieux que si Dieu était un homme, conclut Catherine Chevalier (UCLouvain). Ce qui compte pour moi c’est que Dieu intègre masculin et féminin, comme le récit de la création nous dit que l’être humain, mâle et femelle, est à l’image de Dieu. Le Dieu créateur, en intégrant les polarités, en procédant par séparation et non par destruction, est un Dieu masculin qui intègre le féminin. Un Dieu femme renvoie à l’intériorité, mais pourrait maintenir les humains dans le sein maternel sans les pousser à l’autonomie. Un Dieu seulement masculin pousse à l’action, à l’autonomie, mais pourrait manquer l’intégration des polarités et l’intériorité.» Quant à la question d’un Christ homme plutôt que femme, et celle de toute la masculinisation de l’Église qui en a découlé, c’est encore une tout autre histoire…

Propos et contributions recueillis par Frédéric ANTOINE

Catherine CHEVALIER, « Où sont les femmes ? ». In : Lumen Vitae, Vol. 77 (2022). Pour infos: lumen-vitae.be/la-bibliotheque/

Mary DALY, Beyond God the Father. Toward a Philosophy of Women’s Liberation, Boston, Beacon Press, 1973. Pas disponible.

Anne GUILLARD et Lucie SHARKEY, Dieu·e, christianisme, sexualité et féminisme, Ivry-sur-Seine, les éditions de l’Atelier, 2023. Prix : 18€. Via L’appel : – 5% = 17,10€.

Élisabeth PARMENTIER, Pierrette DAVIAU et Lauriane SAVOY (dir), Une Bible des femmes, Genève, Labor et Fides, 2018. Prix : 21,30€. Via L’appel : – 5% = 20,25€.

Julie SAINT-BRIS, Masculin Féminin face à face, Paris, Médiaspaul, 2018. Pas disponible.

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