Fatima Zibouh en dialogue spirituel et humain

Fatima Zibouh en dialogue spirituel et humain

Les valeurs de justice, d’amour, de paix, d’entraide animent Fatima Zibouh depuis son plus jeune âge. Son insatiable quête d’une spiritualité porteuse de sens la conduit à s’ouvrir à toutes les confessions. Très active sur de nombreux terrains, elle défend actuellement la candidature de Molenbeek comme capitale européenne de la culture.

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Publié le

29 avril 2025

· Mis à jour le

4 mai 2025
Portrait de Fatima Zibouh souriant

« La joie est, pour moi, une valeur essentielle. J’essaie d’en trouver dans tout ce que je fais. Malgré le contexte morose, malgré les difficultés, rire, rêver est fondamental. Il importe de partager un chemin pour tenter de rendre le quotidien plus beau, magique et joyeux. » Ce qui frappe, lorsque l’on rencontre Fatima Zibouh, c’est son aspect solaire. Elle est tout sourire, le regard pétillant de bienveillance et de vivacité. « Depuis l’enfance, j’ai une obsession : être actrice du changement, confie-t-elle. Dès 16 ans, je menais des actions de solidarité. On est soit consommateur, soit acteur. Et je suis orientée solutions. Pour moi la vie a un sens, elle est un cadeau, un privilège. Mais qu’en fait-on ? Je me pose la question de ma contribution sur terre, je suis mon chemin. Quand on est aligné entre ce que l’on est et ce que l’on fait, on est en paix avec soi-même. Et la mort de ma mère il y a sept ans d’un cancer fulgurant a changé ma vision du monde. Chaque jour est un cadeau que je vis de façon positive et optimiste. »

REMISE EN QUESTION

Venus des montagnes du rif marocain dans les années 60, ses grands-parents ont acheté une maison sur la place communale de Molenbeek. C’est là que ses futurs parents se sont rencontrés. Son père a notamment travaillé sur l’électrification du nouveau bâtiment de la Commission européenne. Aînée d’une famille de quatre enfants, la fillette est inscrite à l’école primaire catholique de son quartier, l’institut des Ursulines. En bricolage, elle confectionne une crèche et les prières qu’elle apprend ne sont pas les mêmes que celles récitées à la maison, où la religion est principalement transmise à travers des valeurs. Et à l’adolescence, elle remet tout en question. « J’étais à la recherche de ma vérité pour pouvoir trouver du sens à ce que je faisais. Depuis mon plus jeune âge, je suis très sensible aux questions liées à la justice, à l’altruisme, à l’idée d’aider l’autre. Je voulais être mère Teresa et les valeurs incarnées par Mandela ou Gandhi m’inspiraient beaucoup. J’ai alors pris mon bâton de pèlerin pour partir à la recherche du sens et je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de points communs entre les différentes spiritualités, il y a du beau dans chacune d’elles. »

S’inscrivant dans l’universel, Fatima Zibouh se situe moins dans une approche religieuse que spirituelle créatrice de sens. Il y a deux ans, lors de l’événement “Ensemble avec Marie” qui s’est tenu dans la basilique de Koekelberg, elle a parlé de Marie devant deux mille personnes, dont la famille royale. Plus récemment, elle a assisté à la messe du pape François au stade Roi Baudouin et, durant le premier week-end de printemps, en plein carême et au lendemain du Pourim, pour réunir toutes les cultures, elle a organisé un iftar, un repas de rupture du jeûne pendant le ramadan, dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Molenbeek. Elle est aussi intervenue au musée juif de Bruxelles et s’est rendue au Vatican en février dernier. 

« J’aime trouver la synthèse, tout en étant attachée à ma spiritualité musulmane qui m’invite à aller à la rencontre de l’autre. Les humains, et les hommes en particulier, instrumentalisent les religions pour justifier l’horreur. Ils ont instrumentalisé les textes pour asseoir leur domination patriarcale. Ce qui m’intéresse, ce sont les valeurs de justice, d’amour, de paix, d’entraide, de partage. Les attentats commis au nom de l’islam font du mal à toute une communauté qui ne s’inscrit pas du tout dans cela. Ils trahissent le message universel d’amour, de prise de soin de l’autre, de la nature. » 

UNE MISSION DE VIE

« À l’école, la majorité des élèves était d’origine marocaine et c’est à l’université que j’ai rencontré la diversité, se souvient celle qui est passée par l’ULB, l’UCLouvain et a travaillé à l’Uliège où elle a fait sa thèse de doctorat. Ce fut un choc. J’ai fait de cette expérience une mission de vie qui consiste à créer des connexions entre les différents univers culturels et sociaux, avec une attention particulière pour les plus vulnérables, les sans-voix. Provenant d’un milieu ouvrier et précaire, j’estime bénéficier désormais de privilèges et la question est de savoir ce que j’en fais. » C’est pourquoi elle est fortement engagée au niveau associatif et donne deux à trois conférences par semaine. 

« Dès que je vois qu’il y a fracture, division, polarisation, j’essaie automatiquement de créer de la synergie. En 2011, quand la Belgique n’avait pas de gouvernement, avec David Van Reybrouck, on a rassemblé mille citoyens belges pour leur demander leur point de vue sur l’avenir du pays. Cette même année, j’ai été nommée au conseil d’administration du Centre pour l’égalité des chances. J’ai beaucoup travaillé sur les discriminations à l’embauche, une question qui me touche particulièrement. Après les attentats de mars 2016, pour dire qu’on ne voulait pas de cela et qu’on était ensemble, j’ai coorganisé une marche contre la haine et la terreur qui a réuni dix mille personnes dans les rues de Bruxelles. Et avec Joanna Maycock, alors Secrétaire générale du Lobby européen des femmes, on a choisi cent femmes bruxelloises actrices de changement de toutes origines culturelles et sociales pour les mettre en lumière. De là est né Women 100 qui a mis en place, devant la Bourse, une expo photo de portraits de femmes actives durant le covid. »

UN AUTRE MOLENBEEK

Depuis deux ans, Fatima Zibouh, qui revendique sa double identité molenbeekoise et bruxelloise, est l’une des responsables de Molenbeek For Brussels 2030. Cette association défend la candidature de cette commune, à laquelle est accolée une très mauvaise image, comme capitale européenne de la culture en 2030. Deux autres villes restent en lice, Namur et Louvain. La décision sera prise en septembre. « Notre objectif est de créer un nouveau “nous”. Dans une Europe qui s’individualise et est marquée par un repli identitaire et la montée des extrêmes droites, on doit mettre l’accent sur la solidarité et la générosité. On a demandé à mille jeunes Bruxellois de nous partager leurs rêves, peurs, préoccupations pour 2030, et cent d’entre eux ont fixé quatre priorités : la justice sociale et les inégalités socioéconomiques, le faire ensemble, la nature dans la ville et la possibilité de vivre l’espace public de façon libre et sécure. » 

Depuis de nombreuses années, Fatima Zibouh subit des attaques injustifiées, racistes, islamophobes et sexistes. Et elles n’ont pas manqué avec cette nomination. « Il était pour certains inconcevable qu’une femme qui avait mon apparence et mon origine puisse être l’un des visages de Bruxelles. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que j’ai reçu comme insultes, attaques, menaces sur les réseaux sociaux ! Je fais des chroniques sur LN24 et c’est horrible la façon dont on caricature ce que je dis, on me prête des intentions épouvantables. Mais, face à cette minorité qui fait beaucoup de bruit, je reste très sereine, je me bats pour l’inclusion et la confiance réciproque. Je me nourris des personnes que je rencontre et qui sont dans l’entraide, le partage, le sourire. » 

Michel PAQUOT

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