François Cheng: un chant profond pour dire le monde
François Cheng: un chant profond pour dire le monde
À nonante-trois ans, François Cheng se dévoile dans Une longue route pour m’unir au chant français qui deviendra son moyen d’expression personnel. Il le fait en toute simplicité dans cette voix si particulière qui est la sienne.
Publié le
· Mis à jour le

Si François Cheng a ressenti la nécessité de relater l’aventure de sa création poétique dans une confession joliment intitulée Une longue route pour m’unir au chant français, ce n’est sûrement pas par vanité. Plutôt pour tenter d’éclairer cet « itinéraire hors norme » qui a fait de lui « un être complexe qui échappe à sa propre compréhension ». Né en Chine en 1929, il est un adolescent torturé au milieu du fracas du conflit avec le Japon et la reprise de la guerre civile entre nationalistes et communistes. Il échange alors des poèmes avec un ami et remporte même un prix lors d’un concours dans son collège. « C’est à l’âge de quinze ans que le chant s’est éveillé en moi. Je m’ouvrais à la poésie et entrais comme par effraction dans la voie de l’écriture. »
EXIL À PARIS
S’ensuivront des années de doute et d’errances. Puis l’exil à Paris. « Il est aisé d’imaginer la peine d’un jeune homme immature de dix-neuf ans transplanté du jour au lendemain dans un autre pays sans connaître un mot de la langue locale », écrit-il. D’autant plus quand on a le désir de se consacrer à la création littéraire. Non pas à l’image des poètes chinois qui se font ermites dans les périodes les plus sévères, mais dans une confrontation avec la vie réelle à travers « une autre pensée, une autre culture et une autre expérience dans un dialogue au plus haut niveau ». Ce qui lui fait dire : « À mesure que l’idée d’exil s’installe en moi s’impose l’évidence : la terre française sera ma terre ; la langue française sera ma langue. Ce sera, pour sûr, une route ardue, forcément longue et tortueuse. »
Il suit alors opiniâtrement des cours de français, flâne chez les bouquinistes sur les quais de Seine et achète des livres de poètes dont il connaît les noms pour les avoir lus en traduction chinoise. Il découvre les bibliothèques, « comme Ali Baba tombant sur la caverne aux trésors », frappe à la porte de Gide, fait de nombreuses rencontres, telle celle – décisive – de Franck Lee. Cet artiste coréen, en exil comme lui, lui fait écouter des disques qui lui permettront de découvrir toute la musicalité de la langue française. Il échange avec des poètes : Guillevic, Tristan Zara, Michaux, Claude Roy. Il en vient aussi à collaborer avec des sinologues, à dispenser des cours sur la poésie chinoise ou à répondre à une invitation de Lacan pour confronter les textes chinois à la lumière des avancées dans la théorie psychanalytique. Il écrit coup sur coup deux ouvrages sur la poésie et la peinture de son pays d’origine.
PRIX FEMINA
En 1980, après cette « longue route », François Cheng ose enfin entrer dans la création poétique en français. En dix ans, il va publier cinq recueils et des essais remarquables sur la beauté, la mort et la vie, l’âme. Tout en se lançant dans l’écriture de romans. L’un d’entre eux, Le Dit de Tanyi, obtient le prix Femina en 1998. Il devient un auteur reconnu, jusqu’à être élu à l’Académie française en 2002. Ce sont ces étapes de son existence qu’il relate avec ferveur.
Pourtant, au-delà de son autobiographie, Une longue route pour m’unir au chant français célèbre la beauté des langues jusque dans leur calligraphie. Nul, par exemple, ne lira plus le mot “arbre” de la même manière, quand il se présente comme un idéogramme avec « le début “ar” qui évoque une chose qui s’élance vers le haut, “b” un équilibre ténu au sommet d’un fût et “rbre” cette même chose qui répand son ombre ». Ou le terme “sens”, « ce mot monosyllabique – caractère familier à une oreille chinoise – d’une extraordinaire densité puisqu’il est porteur de trois acceptations ».
Christian MERVEILLE
François CHENG, Une longue route pour m’unir au chant français, Paris, Albin Michel, 2022. Prix : 18€. Via L’appel : – 5% = 17,10€.