House of Compassion

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Ce 7 juillet, l’Église du Béguinage de Bruxelles était relayée, dans sa grève de la faim en soutien à Gaza, par une chapelle du centre de Gand. La communauté catholique ne peut rester les bras croisés, expliquent leurs deux prêtres.

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Publié le

16 juillet 2025

· Mis à jour le

16 juillet 2025
House of Compassion

Dans l’agitation du centre de Gand, la petite chapelle Onze-lieve-Vrouw du Schreiboom a discrètement ouvert ses portes tĂ´t ce lundi matin. Ă€ l’intĂ©rieur, dans un coin du transept, un lit de camp recouvert d’un sac de couchage indique que quelqu’un a dormi lĂ  cette nuit. Encore seul, le jeune prĂŞtre s’affaire Ă  Ă©taler au sol des pancartes et des banderoles aux messages convergents : Â« Stop au gĂ©nocide en Palestine. Â» Au milieu de la croisĂ©e du transept, c’est la bannière avec l’inscription « Hunger Strike 4 Justice Â» qui prend le plus de place… ou presque. Contre celle-ci, en perpendiculaire, se dĂ©roule Ă  travers la nef une longue banderole reprenant les noms de plus de 10 000 Palestiniens tuĂ©s Ă  Gaza. Si on ne sait dire de quand elle date (au 5 juin dernier, l’ONU Ă©valuait ce nombre Ă  plus de 54.000 depuis le 7 octobre 2023), un dĂ©tail montre que mĂŞme une version mise Ă  jour n’aurait pas convenu : dĂ©jĂ , dans son Ă©tat actuel, une bonne partie de la banderole est restĂ©e enroulĂ©e autour de son axe en bois. Il n’y a pas la place nĂ©cessaire pour la dĂ©rouler davantage.

PASSAGE DE TÉMOIN

Au compte-goutte, quelques âmes entrent dans l’église. Dans le calme, de timides Ă©changes dĂ©marrent, vaille que vaille, dans toutes les langues : nĂ©erlandais, français, anglais, arabe, catalan… Certaines mines semblent fatiguĂ©es, mais toutes sont sereines. La quinzaine de personnes prĂ©sentes se retrouve pour un passage de tĂ©moin. L’hĂ´te est le Père Lode Vandeputte, prĂŞtre assistant du Mouvement Saint-Michel qui structure des communautĂ©s ayant pour but d’aider les jeunes dans leur cheminement chrĂ©tien. Le mouvement est accompagnĂ© de trois autres groupes (SOS Gaza, Vreede.be et PalestinianRefugees4Dignity). Les invitĂ©s sont quelques reprĂ©sentants de House Of Compassion, le projet qui a donnĂ© Ă  l’église du BĂ©guinage de Bruxelles sa nouvelle destination, la lutte active pour la justice et la compassion envers les plus dĂ©munis. Les premiers prennent le relais des seconds dans leur action symbolique de grève de la faim. Du 16 au 21 juin, des membres et sympathisants de House of Compassion se sont abstenus de manger en soutien Ă  la population palestinienne, « qui jeĂ»ne depuis bien plus longtemps Â», glisse-t-on. Eux-mĂŞmes suivent une initiative europĂ©enne qui a dĂ©marrĂ© en France. Durant les deux semaines qui ont suivi leur action, les sĹ“urs d’une cinquantaine de congrĂ©gations ont collectivement assurĂ© le relais de la grève, jusqu’à ce passage de tĂ©moin Ă  Gand.

« Pour nous, la spiritualitĂ© chrĂ©tienne ne se limite pas Ă  la prière et Ă  la liturgie, c’est aussi s’engager pour les pauvres, pour ceux qui sont privĂ©s de droits, pour les personnes dans le besoin, explique Lode Vandeputte. Tous les jours, Ă  la tĂ©lĂ©vision, on voit ce qu’il se passe. On ne peut pas rester Ă  rien faire. Â» Face Ă  l’expression “grève de la faim” qu’il trouve un peu dure, il prĂ©fère le terme de “jeĂ»ne”. « On ne veut pas violenter notre corps. Mais on veut envoyer le signe, surtout aux gouvernements, que se taire n’est pas acceptable. Quand la Russie a attaquĂ© l’Ukraine, on a enclenchĂ© des sanctions la semaine mĂŞme. Ici, les responsables israĂ©liens commettent un vrai gĂ©nocide, et on ne fait rien. MĂŞme après la grande manifestation Ă  Bruxelles pour dĂ©noncer le fait que la ligne rouge avait Ă©tĂ© franchie, rien n’a changĂ©. Cela ne suffit pas, il faut faire plus. Â»

« C’EST DE LA RUE QUE ÇA DOIT VENIR ! Â»

Ă€ quelques pas, un sexagĂ©naire est en train de lire les noms de la trop longue liste dĂ©roulĂ©e au sol. Auteur et militant connu en Espagne, Grian Cutanda n’en est pas Ă  son coup d’essai. Il avait dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© une grève de la faim de 42 jours en 2021 en protestation Ă  l’inaction des gouvernements en matière climatique. Aujourd’hui, il n’a pas mangĂ© depuis 28 jours, en solidaritĂ© avec Gaza. Il se sent bien, quoiqu’un peu fatiguĂ©. « Cette fois-ci, je pense aller au-delĂ  de 50 jours. Je sais que les mĂ©decins qui comprennent les grèves de la faim nous recommandent de ne pas dĂ©passer les 42 jours, au-delĂ  de ça, c’est dangereux pour le corps. Mais je sens que je vais

avoir besoin d’y aller. Â» Chez certains comme Grian, la motivation d’entamer ce jeĂ»ne est personnelle. Chez d’autres, elle est collective. « C’est important que les communautĂ©s catholiques se lèvent pour que les musulmans voient cela, qu’on est en dĂ©saccord avec ce qu’il se passe Â», tonne Daniel Alliet, prĂŞtre responsable de l’église du BĂ©guinage de Bruxelles (House of Compassion), qui a participĂ© Ă  la grève de la faim en juin. « Il ne faut plus attendre de mouvement de l’État. L’État est occupĂ© de glisser, de laisser de cĂ´tĂ© toutes ses valeurs humaines. C’est de la rue que ça doit venir. Il faut un signe de la rue ! Â» Geneviève Frère, coordinatrice de House of Compassion, explique qu’après Gand, d’autres villes (notamment Bruges) se prĂ©parent elles aussi Ă  prendre le relai. « C’est un mouvement citoyen, insiste-t-elle. D’une initiative qui a germĂ© dans notre tĂŞte quand nous n’étions qu’à 3, on s’est retrouvĂ©, au plus fort de la grève de la faim, Ă  81 personnes en tout, qui jeĂ»naient sur place ou depuis chez elles. Â»

UN APPEL AVEC GAZA

Varius et Jan, prĂ©sents Ă  Gand, font partie de ces sympathisants qui y ont participĂ© Ă  Bruxelles. Â« Ă€ vrai dire, je n’ai pas vraiment eu faim, Ă©voque Jan. Mais j’ai eu envie de manger. Surtout ce soir oĂą une camionnette est passĂ©e nous apporter un plateau plein de restes de barbecue ! Ils ne savaient pas qu’on jeunait, et habituellement ils savent qu’ils peuvent donner Ă  House of Compassion parce que cela va aux personnes dans la rue. Â» Son compère Varius complète : Â« On ne sait plus ce que c’est que d’avoir faim. On vit dans un monde avec toute la nourriture Ă  portĂ©e de main, dans le garde-manger. On mange Ă  des moments rĂ©guliers, avant d’avoir faim, pour prĂ©venir le sentiment de l’estomac vide. Pour moi, ce jeĂ»ne Ă©tait donc aussi une sorte de solidaritĂ©, de sentir ce que les gens prisonniers Ă  Gaza ressentent. Ă€ l’immense diffĂ©rence près qu’eux y sont contraints ! Nous, on avait le privilège de pouvoir choisir de le faire. »

« VOUS N’ÊTES PAS SEULS ! »

Ils Ă©voquent Ă©galement un souvenir qui les a marquĂ©s. Un soir, pendant l’action, Omar, leader du mouvement Palestinian Refugees 4 Dignity et participant au jeĂ»ne de Bruxelles, les a mis en relation par appel vidĂ©o avec des proches Ă  Gaza. « On Ă©tait en vidĂ©o avec eux, lĂ -bas, dans les ruines, les dĂ©combres. Il leur a dit : “Vous n’êtes pas seuls. Ces gens-ci savent ce que vous vivez. Vous n’êtes pas oubliĂ©s”. C’est un message qui m’a frappĂ© Â», se souvient Jan, une pointe d’émotion encore dans la voix.

Sur ces mots, tous rejoignent un petit cercle de chaises disposées à l’entrée du chœur pour officialiser le passage de témoin. À l’heure où la rue exprime sa solidarité avec les Palestiniens qui risquent la famine, l’ONU informera justement ce jour-là du danger que courent les enfants gazaouis de perdre l’accès à l’eau potable. L’essence manque dans la bande de Gaza, or c’est elle qui permettait jusqu’ici de faire fonctionner les unités de dessalement d’eau de mer. Ce midi, dans la petite chapelle du Schreiboom à Gand, le silence retombe. Déjà incapables de contenir la banderole qui liste les victimes, les murs semblent encore plus resserrés que ce matin.

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