House of Compassion
House of Compassion
Ce 7 juillet, l’Église du Béguinage de Bruxelles était relayée, dans sa grève de la faim en soutien à Gaza, par une chapelle du centre de Gand. La communauté catholique ne peut rester les bras croisés, expliquent leurs deux prêtres.
Publié le
· Mis à jour le

Dans l’agitation du centre de Gand, la petite chapelle Onze-lieve-Vrouw du Schreiboom a discrètement ouvert ses portes tôt ce lundi matin. À l’intérieur, dans un coin du transept, un lit de camp recouvert d’un sac de couchage indique que quelqu’un a dormi là cette nuit. Encore seul, le jeune prêtre s’affaire à étaler au sol des pancartes et des banderoles aux messages convergents : « Stop au génocide en Palestine. » Au milieu de la croisée du transept, c’est la bannière avec l’inscription « Hunger Strike 4 Justice » qui prend le plus de place… ou presque. Contre celle-ci, en perpendiculaire, se déroule à travers la nef une longue banderole reprenant les noms de plus de 10 000 Palestiniens tués à Gaza. Si on ne sait dire de quand elle date (au 5 juin dernier, l’ONU évaluait ce nombre à plus de 54.000 depuis le 7 octobre 2023), un détail montre que même une version mise à jour n’aurait pas convenu : déjà, dans son état actuel, une bonne partie de la banderole est restée enroulée autour de son axe en bois. Il n’y a pas la place nécessaire pour la dérouler davantage.
PASSAGE DE TÉMOIN
Au compte-goutte, quelques âmes entrent dans l’église. Dans le calme, de timides échanges démarrent, vaille que vaille, dans toutes les langues : néerlandais, français, anglais, arabe, catalan… Certaines mines semblent fatiguées, mais toutes sont sereines. La quinzaine de personnes présentes se retrouve pour un passage de témoin. L’hôte est le Père Lode Vandeputte, prêtre assistant du Mouvement Saint-Michel qui structure des communautés ayant pour but d’aider les jeunes dans leur cheminement chrétien. Le mouvement est accompagné de trois autres groupes (SOS Gaza, Vreede.be et PalestinianRefugees4Dignity). Les invités sont quelques représentants de House Of Compassion, le projet qui a donné à l’église du Béguinage de Bruxelles sa nouvelle destination, la lutte active pour la justice et la compassion envers les plus démunis. Les premiers prennent le relais des seconds dans leur action symbolique de grève de la faim. Du 16 au 21 juin, des membres et sympathisants de House of Compassion se sont abstenus de manger en soutien à la population palestinienne, « qui jeûne depuis bien plus longtemps », glisse-t-on. Eux-mêmes suivent une initiative européenne qui a démarré en France. Durant les deux semaines qui ont suivi leur action, les sœurs d’une cinquantaine de congrégations ont collectivement assuré le relais de la grève, jusqu’à ce passage de témoin à Gand.
« Pour nous, la spiritualité chrétienne ne se limite pas à la prière et à la liturgie, c’est aussi s’engager pour les pauvres, pour ceux qui sont privés de droits, pour les personnes dans le besoin, explique Lode Vandeputte. Tous les jours, à la télévision, on voit ce qu’il se passe. On ne peut pas rester à rien faire. » Face à l’expression “grève de la faim” qu’il trouve un peu dure, il préfère le terme de “jeûne”. « On ne veut pas violenter notre corps. Mais on veut envoyer le signe, surtout aux gouvernements, que se taire n’est pas acceptable. Quand la Russie a attaqué l’Ukraine, on a enclenché des sanctions la semaine même. Ici, les responsables israéliens commettent un vrai génocide, et on ne fait rien. Même après la grande manifestation à Bruxelles pour dénoncer le fait que la ligne rouge avait été franchie, rien n’a changé. Cela ne suffit pas, il faut faire plus. »
« C’EST DE LA RUE QUE ÇA DOIT VENIR ! »
À quelques pas, un sexagénaire est en train de lire les noms de la trop longue liste déroulée au sol. Auteur et militant connu en Espagne, Grian Cutanda n’en est pas à son coup d’essai. Il avait déjà réalisé une grève de la faim de 42 jours en 2021 en protestation à l’inaction des gouvernements en matière climatique. Aujourd’hui, il n’a pas mangé depuis 28 jours, en solidarité avec Gaza. Il se sent bien, quoiqu’un peu fatigué. « Cette fois-ci, je pense aller au-delà de 50 jours. Je sais que les médecins qui comprennent les grèves de la faim nous recommandent de ne pas dépasser les 42 jours, au-delà de ça, c’est dangereux pour le corps. Mais je sens que je vais
avoir besoin d’y aller. » Chez certains comme Grian, la motivation d’entamer ce jeûne est personnelle. Chez d’autres, elle est collective. « C’est important que les communautés catholiques se lèvent pour que les musulmans voient cela, qu’on est en désaccord avec ce qu’il se passe », tonne Daniel Alliet, prêtre responsable de l’église du Béguinage de Bruxelles (House of Compassion), qui a participé à la grève de la faim en juin. « Il ne faut plus attendre de mouvement de l’État. L’État est occupé de glisser, de laisser de côté toutes ses valeurs humaines. C’est de la rue que ça doit venir. Il faut un signe de la rue ! » Geneviève Frère, coordinatrice de House of Compassion, explique qu’après Gand, d’autres villes (notamment Bruges) se préparent elles aussi à prendre le relai. « C’est un mouvement citoyen, insiste-t-elle. D’une initiative qui a germé dans notre tête quand nous n’étions qu’à 3, on s’est retrouvé, au plus fort de la grève de la faim, à 81 personnes en tout, qui jeûnaient sur place ou depuis chez elles. »
UN APPEL AVEC GAZA
Varius et Jan, présents à Gand, font partie de ces sympathisants qui y ont participé à Bruxelles. « À vrai dire, je n’ai pas vraiment eu faim, évoque Jan. Mais j’ai eu envie de manger. Surtout ce soir où une camionnette est passée nous apporter un plateau plein de restes de barbecue ! Ils ne savaient pas qu’on jeunait, et habituellement ils savent qu’ils peuvent donner à House of Compassion parce que cela va aux personnes dans la rue. » Son compère Varius complète : « On ne sait plus ce que c’est que d’avoir faim. On vit dans un monde avec toute la nourriture à portée de main, dans le garde-manger. On mange à des moments réguliers, avant d’avoir faim, pour prévenir le sentiment de l’estomac vide. Pour moi, ce jeûne était donc aussi une sorte de solidarité, de sentir ce que les gens prisonniers à Gaza ressentent. À l’immense différence près qu’eux y sont contraints ! Nous, on avait le privilège de pouvoir choisir de le faire. »
« VOUS N’ÊTES PAS SEULS ! »
Ils évoquent également un souvenir qui les a marqués. Un soir, pendant l’action, Omar, leader du mouvement Palestinian Refugees 4 Dignity et participant au jeûne de Bruxelles, les a mis en relation par appel vidéo avec des proches à Gaza. « On était en vidéo avec eux, là-bas, dans les ruines, les décombres. Il leur a dit : “Vous n’êtes pas seuls. Ces gens-ci savent ce que vous vivez. Vous n’êtes pas oubliés”. C’est un message qui m’a frappé », se souvient Jan, une pointe d’émotion encore dans la voix.
Sur ces mots, tous rejoignent un petit cercle de chaises disposées à l’entrée du chœur pour officialiser le passage de témoin. À l’heure où la rue exprime sa solidarité avec les Palestiniens qui risquent la famine, l’ONU informera justement ce jour-là du danger que courent les enfants gazaouis de perdre l’accès à l’eau potable. L’essence manque dans la bande de Gaza, or c’est elle qui permettait jusqu’ici de faire fonctionner les unités de dessalement d’eau de mer. Ce midi, dans la petite chapelle du Schreiboom à Gand, le silence retombe. Déjà incapables de contenir la banderole qui liste les victimes, les murs semblent encore plus resserrés que ce matin.

