LA FACE CACHÉE
LA FACE CACHÉE
L’a-t-il vraiment co-écrit, comme tout le laisse penser ? Ou s’est-il contenté d’en valider certaines parties, comme il a tenté de l’expliquer ? À quelque niveau que ce soit, la participation d’un ancien pape, ayant volontairement choisi de se retirer du monde, à un ouvrage disant mettre en cause la politique de son successeur est…
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L’a-t-il vraiment co-écrit, comme tout le laisse penser ? Ou s’est-il contenté d’en valider certaines parties, comme il a tenté de l’expliquer ? À quelque niveau que ce soit, la participation d’un ancien pape, ayant volontairement choisi de se retirer du monde, à un ouvrage disant mettre en cause la politique de son successeur est tout simplement impensable. Surtout au sein d’une instance qui se réclame d’inspiration divine. Qu’un monarque ayant abdiqué interfère dans le règne de son successeur est inconcevable. Mais qu’un ancien pape exprime haut et clair son opposition dans un dé- bat qui concerne une Église où il n’a plus aucun rôle paraît presque normal. C’est incroyable, mais vrai. Et particulièrement pernicieux.
Il n’a fallu que quelques heures après la «révélation» de cette future parution par le très conservateur quotidien français Le Figaro pour que le pape actuel s’empresse de réagir. Et dise que, mais non, sur le fond, lui non plus n’était pas pour, rappelant qu’il avait déjà confié être incapable, à titre personnel, de prendre une décision globale à ce sujet. Quelle efficacité de communication ! Alors que l’ouvrage lui-même n’était pas encore rendu public, le buzz médiatique autour de l’identité d’un de ses auteurs avait déjà fait mouche.
À partir de là, il était d’un côté aisé de nier être le véritable co-auteur du livre. Tandis que, de l’autre, le premier co-auteur démontrait, preuves à l’appui, que l’ancien pape avait bien contribué à l’ensemble de l’oeuvre et savait, depuis le début, dans quelle pièce il jouait. Ce n’était donc la faute à personne, mais à de mauvaises compréhensions, voire des confusions.
Mais sûrement pas une intention de nuire. En tout cas de la part du prédécesseur de François.
Dont acte ? Peut-on en rester là ? Au-delà de l’objet de la polémique, cette remarquable opération de communication a superbement rempli son objectif sur le long terme : manifester aussi clairement que possible, en la portant au faîte de la hiérarchie, l’existence de divergences doctrinales qui, vues de l’extérieur, semblaient jusqu’ici n’être que de petites querelles de chapelles.
L’existence au sein de l’Église catholique de diverses tendances « conservatrices » ou « progressistes » n’est pas neuve. « L’affaire du livre » rend universelle- ment visible le fait que ces positions s’incarnent dans deux champions. Non, dit en sous-texte « le livre », l’élection de François après le très rigoriste pontificat de son prédécesseur n’a pas fait basculer l’Église de Rome d’une tendance à l’autre. Un courant n’a pas baissé les bras. L’implication de l’ex-souverain pontife le démontre à l’envi : il y a désormais deux papes, chacun porteur d’une bannière différente.
Les Vaticanistes avertis diront que tout cela est trop grossier, qu’il ne faut pas perdre de vue le rôle souterrain de la Curie, en perte de pouvoir, et les ingérences de milieux conservateurs américains et internationaux dans les affaires romaines. Sans oublier tous les complots ourdis dans l’Église.
Mais, en faisant croire que le catholicisme peut se di- viser en deux camps alors que les positions, souvent, sont plus nuancées, « le livre » a parfaitement exploité à la fois les réflexes des médias et le talon d’Achille de cette Église : se fonder sur une structure où l’essentiel du pouvoir repose sur une seule tête, maîtresse de la pluie et du beau temps, dont les décisions seraient absolues et irrévocables. Alors, quand une deuxième tête réapparaît… â–
Frédéric ANTOINE
Rédacteur en chef