Le poète aux coquelicots
Le poète aux coquelicots
À travers son œuvre, Christian Bobin, récemment disparu, raconte l’Évangile à voix basse. C’est peut-être pour cela qu’on l’entend si bien. Une voix qui nous accompagnera encore longtemps.
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« Jésus parcourait toute la Galilée » (Matthieu 4,23)
Pour rendre hommage à ce poète qui m’a tant donné, et dont le « Très Bas » tient la main du « Si peu » de Jean Grosjean, j’ai choisi, aujourd’hui, de lui céder ma chronique. Mais lui ne “commente” pas l’Évangile. Il nous y emmène. Et on s’y trouve, à l’instant même, car deux mille ans, c’est comme hier, c’est comme il y a une heure : « Il vient de passer et les jardins d’Israël frémissent encore de son passage, comme après une bombe, les ondes brûlantes d’un souffle. » Alors voici sa “parole”, quelques mots glanés dans L’homme qui marche et, ensuite, dans Le Christ aux coquelicots.
« ÉTERNELLEMENT À VIF »
« Il est juif par sa mère, juif par son père, éternellement juif par cette façon d’aller partout sans trouver nulle part un abri, merveilleusement juif par son amour enfantin des devinettes – comme l’oiseau qui interroge par son chant et reçoit pour toute réponse une pierre et chante encore, même mort chante, encore, encore, encore… »
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« Quelque chose avant sa venue le pressent. Quelque chose après sa venue se souvient de lui. La beauté sur la terre est ce quelque chose. »
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« Il vient d’une famille où on travaille le bois. Il travaille les cœurs qui sont autrement plus durs que le bois. »
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« Ils sont quelques-uns à entrer dans son travail. Il les forme avec peine aux principes d’une économie nouvelle : on ne fait rien par série, on va de l’unique à l’unique. On ne vend pas, on donne. »
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« Les quatre qui décrivent son passage prétendent que, mort, il s’est relevé de la mort. Là est sans doute le point de rupture : cette histoire qui emprunte par bien des côtés à la lumière sereine d’Orient, prend ici une dimension incomparable. Ou l’on se sépare de cet homme sur ce point-là, et on fait de lui un sage comme il y en a eu des milliers, quitte à lui accorder un titre de prince. Ou on le suit, et on est voué au silence, tout ce que l’on pourrait dire étant alors inaudible et dément. Inaudible parce que dément. L’homme qui marche est ce fou qui pense que l’on peut goûter à une vie si abondante qu’elle avale même la mort. Ceux qui emboîtent son pas et croient que l’on peut demeurer éternellement à vif dans la clarté d’un mot d’amour, sans jamais perdre souffle, ceux-là, “dans la mesure où ils entendent ce qu’ils disent”, force est de les considérer comme fous. »
« COMME UNE PETITE FILLE »
Dans Le Christ aux coquelicots, Christian Bobin dit « je » de la première à la dernière ligne, en commençant par une déclaration d’amour : « Je t’aime à en faire peur aux étoiles. »
Il dit encore :
« Quand la vérité entre dans un cœur, elle est comme une petite fille qui, entrant dans une pièce, fait aussitôt paraître vieux tout ce qui s’y trouve. »
« Tu es contagieux comme le feu des coquelicots traçant un chemin de contrebandier dans le sommeil doré des blés. »
« Tu es un tigre de douceur. »
« Tu viens quand plus personne ne peut nous consoler. »
« Ils ont fait de toi une image, ils ont fait de toi une idole, ils ont fait de toi une Église. Moi, je fais de toi un coquelicot. »
« Pourquoi meurent-ils, les coquelicots ? Si nous le savions, alors nous saurions comment ne pas mourir – même de mort intermittente. Si nous le savions, nous saurions tout. »
« Aucun savoir ne peut t’enfermer dans sa cage. Le Livre qui parle de toi, quand je l’ouvre, je vois des papillons s’envoler. »
J’ai parcouru toute la Galilée de Bobin. Et de ses livres, je vois s’envoler des coquelicots.
Gabriel RINGLET