Le textile écoresponsable comme art de vivre
Le textile écoresponsable comme art de vivre
À l’aube des années 2020, Vanessa Colignon, une tout juste trentenaire sensible à la question des déchets, et particulièrement du plastique, a lancé Design for Resilience, une marque de linge de maison et d’accessoires éthiques et locaux. En espérant pouvoir prochainement réaliser des vêtements.
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À l’origine, il y a L’île aux fleurs, un documentaire brésilien d’une douzaine de minutes réalisé en 1989. Avec un humour aussi malicieux que mordant, ce court métrage aborde la question des déchets et des inégalités économiques (et raciales) en suivant une tomate depuis sa cueillette par un travailleur saisonnier japonais jusqu’à son ramassage par des hommes, femmes et enfants miséreux dans un enclos à porcs sur l’île aux fleurs. En passant par la mère de famille (vendeuse de parfum blanche et aisée) qui l’a achetée au supermarché et, la jugeant impropre à la consommation, l’a jetée aux ordures. La vision de ce film, vers ses 16 ans, a été, chez Vanessa Colignon, un élément déclencheur de son « réveil environnemental », approfondi par sa découverte de mouvements activistes, tel L214 dénonçant la maltraitance animale. Elle se met alors à lire des études sur le sujet, et notamment sur les méfaits du plastique dont les résidus empoisonnent les oiseaux, les poissons, ainsi que les humains.
PRODUCTIONS LOCALES
Après avoir étudié le stylisme à la Cambre, à Bruxelles, « où on nous fait produire pour produire », elle fonde en 2020 sa propre marque, Design for Resilience. « Mon but est de créer des productions locales, sans plastique, avec des matériaux respectueux du bien-être animal, des travailleurs de la filière textile et donc de la santé et de l’environnement. Plus jeune, en job étudiant, dans le magasin où je travaillais, je devais sans cesse me laver les mains qui sentaient le poisson à cause des traitements et produits toxiques destinés à tuer les puces accrochées aux vêtements arrivés d’Europe de l’Est. » Elle se lance sans budget, ses premiers fonds sont avancés par son producteur, un tricoteur qu’elle a dû convaincre car il était loin d’être acquis au chanvre et au lin, matières qu’elle avait appris à tricoter au cours d’un executive master de spécialisation sur la maille. « On me mettait en garde, il existait plein de croyance sur la manière de faire, et aussi des difficultés bien réelles sur le métier à tisser. Au début, je n’y arrivais d’ailleurs pas, j’expérimentais sur des machines. » Ses premiers produits sont des éponges biodégradables. En effet, en s’installant à Bruxelles, elle s’était rendu compte que, pour cet objet du quotidien, elle ne disposait pas de solutions alternatives au plastique.
« Je voulais d’abord faire du vêtement, mais c’est très compliqué à mettre en place à cause des coûts de production en Belgique. Le plus gros obstacle est le prix. » Et ce n’est pas le seul. « Je dois évoluer à travers beaucoup de concurrence déloyale. Il n’est pas normal que des produits qui arrivent de l’étranger ne respectent pas les normes européennes [comme le règlement REACH concernant la dangerosité des substances chimiques] ou les droits humains, cela tue toutes les industries belges, durables ou pas. Des gens font aussi du black et vont sur des marchés de créateurs sans avoir de numéro de TVA. Une autre concurrence, ce sont les ETA car leurs prix sont ultra-concurrentiels. Ils font du made in Belgium, mais leurs coûts de production sont très faibleset ne permettent pas un réel transfert de savoir-faire, ni de créer de débouchés pour tou·tes les jeunes diplômés. Sans aucune animosité envers ces lieux qui font un travail humain exemplaire, il est cependant nécessaire de souligner que ce modèle ne soutient pas les dernières entreprises de production textiles indépendantes belges qui ont beaucoup plus de charges et ne sont pas ou peu soutenues financièrement. »
ÉDUQUER LES ENFANTS
« Dans le textile, en ce qui concerne la prise de conscience du public, c’est comme dans l’alimentation, mais avec vingt ans de retard, constate la jeune entrepreneuse. Les gens ne connaissent plus les matières premières, certains savent que quelque chose cloche, mais rares sont ceux qui comprennent les matières qu’ils achètent ou vendent et les enjeux derrière. Il faudrait absolument éduquer les enfants dans les écoles ou via les communes. On devrait créer des ateliers de sensibilisation pour apprendre ce qu’est le coton, la viscose. J’en avais mis en place il y a quelques années, je donnais des formations sur la technologie et la connaissance des matières premières dans le textile, jusqu’aux techniques de confection. Le but est de permettre aux gens de savoir lire l’étiquette d’un vêtement. De comprendre si une marque leur ment. »
Car il y a énormément de greenwashing dans ce secteur, ce qui la met en colère. « Des matières dites écoresponsables ne le sont pas du tout. Mais, en Belgique, les lois ne sont ni appliquées ni contrôlées. Dire qu’un tee-shirt, c’est de la pulpe de bois, ce n’est pas légal. Les gens croient que c’est naturel, or c’est faux. La vraie appellation est la viscose, un polymère non biodégradable dans l’environnement qui participe à la déforestation. Les propriétaires de forêts dont sont issues les viscoses dites écoresponsables sont des entreprises qui ont racheté des forêts en Amérique du Sud et en Afrique. Ils en ont sanctuarisé un tout petit pourcentage pour dire qu’ils font de la gestion durable et le reste, ce ne sont que des plantations d’eucalyptus, des cultures qui boivent énormément d’eau et assèchent encore plus le sol. Et leurs feuilles qui tombent sont extrêmement inflammables. »
PLAISIR ET MOTIVATION
Design for Resilience propose actuellement des coussins, des plaids, des essuies de cuisine, des draps de bain, des écharpes en laine ou des vêtements à la demande. Tout est tricoté sur place ou en Belgique. Vanessa Colignon assume son positionnement haut de gamme car ce sont des matières premières très difficiles à travailler au niveau de la dextérité. Même si ce métier reste exigeant et requiert un véritable engagement personnel dans un contexte économique délicat, elle y trouve du plaisir et de la motivation. Les défis qu’elle rencontre — comme devoir s’adapter à un marché en constante évolution ou une société sous tension perpétuelle — restent des opportunités pour se réinventer, innover et rester en phase avec les attentes de ses clients. Aujourd’hui, malgré un contexte mondial incertain, elle observe que les consommateurs continuent d’apprécier et de soutenir les produits de qualité. La satisfaction de ses clients confirme la pertinence de son travail et de ses choix. Et puisque, d’après elle, l’austérité amplifie la délinquance, il est urgent d’augmenter le pouvoir d’achat et le confort de vie de tous pour encourager l’économie circulaire. Prochainement, elle va lancer un appel de fonds via un crowdfunding (financement participatif sur internet) dans le but d’acquérir quelques petites machines de tricot et de confection industrielle, afin de reprendre le contrôle sur une partie de sa production et de développer son service de confection (plus abordable, augmenter sa qualité, etc.).
Michel PAQUOT
instagram.com/vanessacolignon/
