L’émerveillement, malgré tout

L’émerveillement, malgré tout

Prendre le temps de regarder, de savourer, de découvrir… Un luxe dans nos sociétés occidentales où nous courons sans cesse, essayant de tirer le meilleur parti du temps qui nous est donné pour être efficaces.

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Publié le

1 septembre 2022

· Mis à jour le

29 août 2025
Photo de la chroniqueuse Laurence Flanchon souriant à la caméra

À chaque instant, une multitude de possibilités s’offrent à nous. Sursollicités, nous vivons dans l’illusion qu’être libre, c’est saisir le plus d’opportunités possibles. Mais l’infini des possibles – ou plutôt la croyance que les possibles sont infinis et immédiatement accessibles – nous impose une pression forte. Nous sommes épuisés, et la planète l’est aussi. De tant de courses, de tant de consommation, de tant d’attitudes prédatrices.

À ce jeu, il se peut que nous perdions de vue ce qui relève de la gratuité. Ce qui n’est pas production, mais réception. Ce qui se vit maintenant dans la pure joie, dans la pure disponibilité à ce qui est. À ce jeu, il se peut que l’on se perde de vue soi-même. Comment, alors, se retrouver et se rendre présent à ce qui est réellement important ? 

L’émerveillement est un chemin possible : il pose comme préalable de ralentir pour prendre le temps de regarder ; il passe par le consentement, l’ouverture à ce qui advient. L’émerveillement nous garde alors dans l’étonnement. Il fissure nos préventions et nos défenses pour faire de nous des êtres capables d’admiration et d’enthousiasme.

CHEMIN DIVIN

L’émerveillement est un chemin, et dans la Bible, ce chemin passe par Dieu. Dieu qui, le premier, s’émerveille devant la création : « Dieu vit que cela était bon » est ainsi répété six fois dans le premier chapitre de la Genèse. Si, dès les premières pages de la Genèse, Dieu s’émerveille, Jésus va être régulièrement le témoin de cet émerveillement divin, non seulement devant la création, mais aussi face au comportement de certaines personnes qu’il rencontre.

Le récit du centurion qui envoie quelques anciens chercher Jésus pour guérir un serviteur auquel il est attaché (Luc 7, 1-10) en est un bon exemple. Cet homme est à la fois courageux par la confiance absolue qu’il met en Jésus, humble par la conscience affichée de son indignité, et “patriote” tant sur le plan politique que sur le plan religieux puisqu’il a bâti une synagogue alors qu’il n’est pas juif. Il n’a pas vu Jésus, il en a seulement entendu parler et cela lui suffit : « Dis un mot pour que mon serviteur soit guéri. » Un mot… que Jésus ne prononcera pas. 

Dans la conjugaison de cette réserve et de cette demande exprimée avec conviction, Jésus reconnaît une foi fervente. Il ne prononce pas le mot demandé, mais en prononce d’autres. Après avoir admiré le centurion, il dit à la foule qui le suit : « Je vous le déclare : je n’ai jamais trouvé une telle foi, non, pas même en Israël. »

“PLEIN DE DIEU”

Grand étonnement ! Et l’étonnement vient du terme “tonnerre”, donc “coup de tonnerre” dans le ciel jusque-là sans nuages des responsables religieux ayant conscience d’appartenir au peuple élu ! Ils avaient plaidé la cause du centurion en évoquant ses œuvres, en se posant comme ceux garants de la légitimité de sa demande. Jésus, sans se soucier de leur recommandation, leur propose à eux, des croyants exemplaires, ce païen comme un modèle de foi. Renversement de perspective.

Si le Père et le Fils s’émerveillent… n’est-ce pas pour nous inviter à faire de même ? Rester disponible à la surprise d’être touché, emporté, par la beauté d’une rencontre, d’un geste, d’un paysage, d’une œuvre d’art… Et le temps se suspend, et nos préjugés tombent. Il se pourrait alors que nous devenions habités par l’enthousiasme devant une telle découverte, un terme qui vient du grec « en-theou-siasmenos », littéralement « endieusement », c’est-à-dire « plein de Dieu », selon Denis de Rougemont.

Laurence FLACHON, Pasteure de l’Église protestante de Bruxelles-Musée (Chapelle royale)

Denis DE ROUGEMONT, L’Amour et l’Occident, cité par Bertrand VERGELY, Retour à l’émerveillement, Paris, Albin Michel, 2010.

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