Les Jeux olympiques : les deux faces de la médaille
Les Jeux olympiques : les deux faces de la médaille
Les Jeux olympiques réunissent tous les quatre ans plus de dix mille athlètes représentant quelque deux cents pays et qui s’affrontent dans une trentaine de disciplines différentes. Les facettes de cet événement sportif au retentissement mondial exceptionnel et fortement sensible aux secousses de la planète sont multiples et parfois contradictoires. Petit aperçu avant sa trente-troisième édition cet été à Paris.
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« Héroïques », « HistORique », « Les Belges en or », « L’or des Belges », « Historisch Goud »… Lorsqu’aux Jeux olympiques de Tokyo, le 6 août 2021, la Belgique remporte deux médailles d’or, la presse nationale ne cache pas sa joie. En plus de Nafissatou Thiam, qui récidive en heptathlon, les Red Lions, l’équipe de hockey masculine, montent, pour la première fois de leur histoire, sur la plus haute marche du podium, cinq ans après s’être inclinée en finale lors de la précédente édition. « Les JO étant le plus grand théâtre sportif au monde, ce succès a eu d’énormes répercussions sur l’image du hockey sur gazon en Belgique, se souvient Denis Van Damme, responsable de la communication à Association royale belge de hockey (ARBH). C’est un sport où le respect et le fairplay sont importants et omniprésents, cela se voit pendant les matchs : les joueurs chantent l’hymne national, ne contestent jamais des conditions d’arbitrage… Cette image favorise le recrutement de supporters et de membres, des parents considérant que c’est un chouette sport pour leur enfant. Cependant, dans un pays où le roi est le football et la reine le cyclisme, il reste encore un sport de niche. Même si la niche s’est agrandie grâce à une plus importante médiatisation. »
« Le succès des Red Lions aux Jeux de Tokyo a eu d’énormes répercussions sur l’image du hockey en Belgique. »
MANQUE D’INFRASTRUCTURES
La croissance du nombre de demandes doit néanmoins faire face à un problème de taille : la trop faible capacité d’accueil. « Si on vivait dans le meilleur des mondes, ironise Denis Van Damme, on aurait, sur l’ensemble du territoire, des clubs capables d’accueillir tous les membres qui le souhaitent. Malheureusement, on ne vit pas dans ce monde-là, on ne peut pas pleinement profiter, partout en Belgique, de l’effet médaille d’or. Alors que beaucoup d’enfants veulent commencer à jouer au Hockey quand ils voient que c’est le seul sport d’équipe belge à avoir jamais gagné une médaille aux JO. » En effet, principalement dans la région bruxelloise et sur son pourtour, les infrastructures et l’encadrement (coachs, entraîneurs, etc.) n’ont pas le potentiel suffisant pour accueillir des demandes d’inscriptions trop nombreuses. Dès lors, les listes d’attente s’allongent. Alors qu’aux Pays-Bas, par exemple, de grands clubs sont allés s’installer en dehors des villes pour disposer de plus vastes infrastructures. « Pour les clubs belges, ce n’est pas une option », soupire le porte-parole de l’ARBH. L’association valorise par ailleurs ce sport auprès des écoliers grâce au kit Hockey2school qui encourage les profs d’éducation physique à en introduire les bases dans leurs cours.
Les Jeux de Paris ne vont certainement pas tempérer cet enthousiasme. Outre les Red Lions, qui visent l’or, leurs alter egos féminins, les Red Panthers, ont été brillamment sélectionnés, douze ans après leur première participation à Londres. « Ce n’est plus du tout le fruit du hasard, un grand travail a été fait depuis lors. La mentalité n’a plus rien à voir, l’équipe a été rajeunie. Elle est classée 5e mondiale, tout près de la 4e place, et a de sérieuses chances de médaille. Cela a provoqué un énorme boost auprès du grand public, la médiatisation est remarquable. Nous avons ainsi inscrit beaucoup de nouveaux membres féminins. Un des joueurs des Red Lions est même venu me dire, déconfit, voire irrité, que toutes les demandes des médias étaient pour les filles. »
PLUSIEURS PARADOXES
À propos de ces grand-messes sportives, Jean-Michel De Waele, professeur en sciences politiques à l’ULB, qui a beaucoup travaillé sur les rapports entre le sport et la politique, pointe plusieurs paradoxes. D’une part, si les JO sont bien le plus grand événement planétaire où sont représentés tous les pays, jusqu’aux plus petites îles du Pacifique, très peu d’entre eux, finalement, repartent médaillés. Il s’agit, à ses yeux, d’une contradiction intrinsèque. D’autre part, tout en mettant l’accent sur ce mondialisme, on regarde en priorité ses propres athlètes. Comme les épreuves sont extrêmement éclatées et se déroulent au même moment, chaque télévision filme d’abord ses nationaux. Contrairement à la Coupe du monde de foot, par exemple, où l’on suit tous le même match au même moment.
Une troisième contradiction, du sport en général, mais portée à son paroxysme lors des Jeux olympiques, est le soi-disant apolitisme d’une manifestation éminemment poreuse aux fracas du monde. « Quand vous êtes un vecteur aussi important, mobilisant des millions de personnes, nier tout lien avec la politique est assez absurde, remarque l’universitaire. C’est le même mouvement olympique qui suspend la Russie tout en se disant apolitique. Permettre à Israël de participer, c’est aussi faire de la politique. Mais celle-ci n’est pas sale en soi, elle ne doit pas être confondue avec la politique politicienne. C’est quelque chose de noble qui concerne la gestion de la cité. »
TRÊVE OLYMPIQUE ?
« Il est néanmoins important que les Jeux olympiques existent, admet Jean-Michel De Waele. Parce que c’est quand même un moment de rassemblement de l’humanité derrière – au moins symboliquement – une représentation de l’égalité, de l’effort, où chacun est censé pouvoir l’emporter. Et la trêve olympique est un bel idéal, même s’il n’a jamais été acté dans les temps modernes. C’est un message extrêmement positif, il est important de s’attacher à des idéaux et à de l’espoir. Pour autant, je ne suis pas sûr qu’il faille les déménager tous les quatre ans. À un moment donné, il a été envisagé de les maintenir en Grèce, ou en Afrique pour favoriser son développement. Faut-il à chaque fois dépenser autant d’argent, construire tous ces bâtiments qui ne serviront qu’à une élite ? Faut-il que ce soit toujours l’occasion de démonstrations très nationales, voire nationalistes, pour montrer la grandeur d’une culture, d’un pays, d’une ville ? Qu’un pays fasse le paon pendant quelques semaines, je ne suis pas persuadé que ça aide beaucoup. Et cela coûte très cher, sans rapporter économiquement ce qui avait été prédit. »
« Auparavant, on disait que les JO, comme toutes les manifestations sportives d’ampleur, bénéficiaient à l’image du pays. Je ne suis pas sûr que ce soit encore le cas. Celle du Qatar ne me semble pas sortie grandie de la dernière Coupe du Monde. On n’a en effet jamais autant parlé des droits humains, du traitement des travailleurs, des questions d’égalité, etc. Ce type d’événements sont des loupes. Et leur organisation me semble beaucoup plus dangereuse pour le pays qui les reçoit qu’il y a vingt ans. Ne faudrait-il pas un grand village olympique permanent où les athlètes de tous les pays pourraient aller s’entraîner pendant quatre en bénéficiant des meilleures infrastructures possibles ? »
« Faut-il que les JO soient toujours l’occasion de démonstrations très nationales, voire nationalistes, pour montrer la grandeur d’une culture, d’un pays, d’une ville ? »
HISTOIRES À RACONTER
« Il n’y a rien de plus beau que les Jeux olympiques, s’enthousiasme l’ancien commentateur sportif phare de la RTBF, Michel Lecomte. Le spectacle qu’ils offrent, leur dramaturgie sont magnifiques. Et toutes les disciplines sont belles à couvrir. Où que vous alliez, il se passe toujours quelque chose, il y a des histoires, belles ou tristes, à raconter. Le sport réserve tellement de surprises ! Les favoris peuvent s’écrouler, les outsiders venir jouer les trouble-fêtes. » Au cours de sa longue carrière journalistique, dont une bonne partie au service des sports de la radio-télévision belge, ce passionné de football a couvert pas moins de neuf olympiades, de celles de Moscou (1980), depuis le bureau de Namur où il venait d’arriver, à celles de Rio (2016) – la RTBF n’ayant pas eu les droits pour les Jeux de Sidney (2000). Le plus souvent, il officiait depuis le studio bruxellois, à l’exception de Barcelone (1992), Pékin (2008) ou Londres (2012), qui voient notamment l’émergence des Jeux paralympiques et son puissant message pour l’inclusion (voir ci-dessous), bien mis en valeur sur les antennes nationales.
« Les Jeux olympiques ont une importance sportive maximale, constate l’ancien journaliste, qui estime que la délégation belge comptera cent cinquante athlètes cet été. Ils constituent un aboutissement pour tous ceux qui s’y préparent pendant quatre ans et permettent à certains d’entre eux de sortir de l’ombre, dans des disciplines pas nécessairement les plus porteuses. Ils ne sont pourtant pas à l’abri des dérives du sport spectacle, comme, en 1988, lorsque Ben Johnson, vainqueur d’un 100 mètres d’anthologie face à Carl Lewis, a été convaincu de dopage. Ils réunissent aussi toutes les nations dans un message positif, même si la “trêve” est un vœu pieux et s’ils ont connu plusieurs boycotts, des États-Unis et de certains pays occidentaux en 1980 à Moscou, des Soviétiques et des pays du bloc de l’Est en 1984 à Los Angeles. Et même si, pour figurer en tête dans le haut du classement des médailles, il y a toujours des dérives. On se souvient des suspicions de dopages à l’encontre des gymnastes russes, des nageuses est-allemandes, des athlètes chinois à Pékin, etc. Quand on montre de belles images à la télévision, on ne sait pas toujours ce qui se cache derrière. Ce n’est pourtant pas une raison pour rejeter les JO : s’il y a des points dans la colonne des moins, il y en a aussi beaucoup dans celle des plus. »
LES JEUX PARALYMPIQUES ONT UN IMPACT SUR LA PERCEPTION DU HANDICAP
Début mai, la joueuse de para badminton Man-Kei To a été sélectionnée en compétition simple dames pour les Jeux de Paris. Jamais encore la Belgique n’avait envoyé de représentants de cette discipline à des Jeux Olympiques. Et elle est la première à figurer dans la délégation nationale qui devrait compter une trentaine d’athlètes ou d’équipes. « Il existe deux critères de sélection, développe le président du Comité paralympique belge (BPC), Olek Kazimirowski, chef de mission pour les JO parisiens. Le comité international paralympique impose les siens. Mais comme nous recevons moins de places qu’il y a d’athlètes belges qui y satisfont, nous avons donc établi nos propres critères qui, pour une série de sports, sont plus sévères et plus difficiles à atteindre. »
Chapeautant les deux fédérations communautaires, la Ligue handisport francophone et G-Sport Vlaanderen, le BPC envoie les athlètes francophones et néerlandophones à des compétitions nationales et internationales. Tous sports confondus, jusqu’à quatre-vingts délégations peuvent y participer chaque année. Mais il officie aussi en tant que Comité paralympique, au même titre que le Comité olympique.
C’est à ce titre qu’il est chargé des sélections pour les Jeux paralympiques. Le nombre de places disponibles est fonction des résultats obtenus par les athlètes et équipes lors des grandes compétitions au cours des deux dernières années. Aux Jeux de Tokyo, en 2020, la Belgique avait vingt-neuf représentants qui ont ramené quinze médailles.
« On promeut des valeurs, commente Olek Kazimirowski. Il s’agit de montrer qu’une personne en situation de handicap est capable de faire de grandes choses et a autant sa place dans la société qu’une valide. Le sport est un moyen mis à la disposition de cette cause afin de tendre vers une société plus juste et égalitaire. L’impact le plus fort des JO concerne l’image du Belge vis-à-vis de ces sportifs. Sept sur dix affirment avoir uneperception plus positive du handicap après avoir vu nos athlètes en action. On a aussi constaté un intérêt grandissant dans les médias. Aux JO d’Athènes, il n’y avait pas de journalistes sur place, c’étaient nos équipes qui devaient envoyer un reportage ou une interview. Et si Londres a provoqué un accélérateur, à Paris, certains médias veulent des studios permanents, ce qui n’était jamais arrivé. » (M.P.)
Michel PAQUOT