L’esprit du vin au château de Bioul

L’esprit du vin au château de Bioul

Ancienne comédienne devenue viticultrice, Vanessa Vaxelaire incarne la renaissance du vin belge. À Bioul, dans un domaine familial enraciné depuis 1904, elle cultive bien plus que des vignes : une vision, un art de vivre, une alchimie où la terre, le ciel et l’humain dialoguent.

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Publié le

1 septembre 2025

· Mis à jour le

2 septembre 2025
Portrait de Vanessa Vaxelaire au château de Bioul

Vanessa Vaxelaire, née en 1972 à Bruxelles, n’a pas toujours eu les pieds dans la terre. C’est sur les planches, dans la lumière des projecteurs, qu’elle a d’abord trouvé sa voie. « La comédie était une passion, se souvient-elle. J’y ai mis toute mon énergie. Et ça a fonctionné. » Pourtant, la vie en a décidé autrement. Une rencontre, trois enfants, puis un déménagement de la capitale belge vers Bioul ont réorienté le cap. « Le métier de comédienne s’est arrêté tout seul. Ce n’est pas une voie facile. Je suis sortie du cercle. Et puis… il y a eu ce retour au château familial. On s’est dit, avec mon mari : pourquoi pas le vin ? »

TREIZE HECTARES BIO

Le château de Bioul, situé dans la commune d’Anhée, au sud de Namur, et propriété de sa famille depuis plus d’un siècle – 1904 précisément -, va devenir le terreau d’un renouveau. Aux côtés de son mari Andy Wyckmans, Vanessa initie une aventure viticole audacieuse en 2009. Quinze ans plus tard, le domaine s’étend sur treize hectares certifiés bio, conjuguant permaculture, biodynamie, respect du vivant et passion pour les cépages du Nord. « On savait qu’on était sur le bon chemin. Nos cuvées ne sont pas là pour ajouter des litres au monde. Elles portent une identité, une fraîcheur, une acidité assumée. » Chaque étape de cette aventure s’est construite avec une foi intuitive dans les rencontres et les signes. « Tout s’est emboîté au bon moment. Les bonnes personnes sont arrivées, ainsi que les idées. »

Dans le monde du vin, l’acidité peut faire grimacer. Vanessa, elle, l’assume avec aplomb. « On utilise soixante termes pour ne pas dire ce mot tabou. On parle d’attaque vive, de vivacité, de piquant, d’agrumes… mais l’acidité, si elle est bien maîtrisée, est un gage de qualité. » C’est d’ailleurs ce profil net, trempé, qui fait la réputation des cuvées du château de Bioul. « Chez nous, le maître de chai est au service du raisin et non l’inverse. Tout part de la terre et nous indique la direction que nous devons prendre. Un solaris, par exemple, s’exprimera différemment d’une région à l’autre, en fonction de la terre, de l’ensoleillement, de l’environnement, des animaux qui y évoluent… C’est ça, la magie du terroir ! »  

LIEU DE TRANSMISSION

Au total, cinquante mille bouteilles sont produites chaque année : deux effervescents, trois blancs, un rosé ou un rouge selon les années. En 2025, ce sera un rouge très léger. « On ne traite, pour ainsi dire, presque pas les vignes, souligne Vanessa Vaxelaire. On a choisi des cépages résistants. On travaille en bio, en biodynamie, et on laisse la terre s’exprimer. L’année dernière a toutefois été la pire que nous ayons connue : nous avons perdu 68% de nos récoltes à cause de la pluie. En quinze ans, nous avons eu trois mauvaises années. Il s’agit là d’un rythme normal en viticulture… »

Au-delà de la production, le domaine est aussi un lieu de transmission. Grâce à l’œnotourisme, Vanessa partage sa passion avec des visiteurs toujours plus nombreux. « Du jeudi au dimanche, d’avril à septembre, on ouvre nos portes. Un parcours découverte (en-dehors du château) raconte notre histoire, nos choix, la biodynamie, les jours fruits et racines… C’est vivant, pédagogique, poétique parfois. » La visite se complète d’une petite restauration, et bientôt de chambres d’hôtes, pour prolonger l’expérience au cœur des vignes. Un musée interactif occupe une place de choix au sein de la visite du site. « On y parle de notre famille, de l’histoire du lieu, mais aussi des mystères de la biodynamie, de la dynamisation de l’eau, des influences lunaires. » Même les plus chevronnés y apprennent encore…

À CENT À L’HEURE

Depuis juillet 2024, Vanessa Vaxelaire est également présidente de l’Association des vignerons de Wallonie. « La différence, c’est que je travaille désormais quatorze heures par jour au lieu de douze. Mais c’est tellement passionnant que c’est un plaisir. » Sous sa houlette, l’association s’attèle à faire évoluer un cadre législatif encore jeune. « On travaille sur les appellations, qui datent de vingt ans et sont trop génériques. Et avec le gouvernement fédéral, on essaie de faire baisser les assises, qui sont énormes chez nous. »

Le travail est structuré en trois pôles : technique, commercial et légal. « On développe l’identité du vin belge avec les Flamands, on participe à des salons internationaux comme Wine Paris, et on avance sur le dossier des appellations. »Sur le terrain, Vanessa reste omniprésente. « Le matin, il faut un bon petit déjeuner, sinon on tourne de l’œil à 11h30 ! Ensuite, tout s’enchaîne. Il y a toujours au moins deux, voire cinq à six personnes dans les parcelles. Au château, c’est l’administratif. Moi, je gère le commercial, les RH, la comptabilité, la com… Il faut aussi régler les problèmes. » Son mari Andy supervise l’ensemble. « C’est un bon manager. Il voit tout d’en haut comme un drone. » Leur fille les a rejoints. « Elle est juriste, elle s’occupe des contrats, mais aussi des abeilles. Elle est en effet également apicultrice et s’intéresse beaucoup à la partie viticole. » À Bioul, le vin est une affaire de famille, de lignée, de transmission.

LE VIN EST UN ART

Derrière cette énergie inépuisable se dissimule une autre quête, plus intime : une quête de sens. « Est-ce un acte politique, être vigneronne ? Non, c’est un acte agricole. Mais il y a une magie, un mystère, quelque chose de spirituel dans l’élaboration du vin. » À Bioul, tout parle : les cépages résistants, les petits cailloux placés sous les cuves comme autant de porte-bonheur, les cycles lunaires, la respiration des saisons. « Je dis souvent qu’on fait du vin, pas des chaussures. On se situe entre les tableaux et les livres. Le vin, c’est un art. » Quand elle goûte un jus de vendange, elle se demande : « Sera-t-il plus “terre” ou plus “ciel” ? Le vin se construit par lui-même. Il me dicte qui il est et comment je dois le traiter. »

Aujourd’hui, Vanessa Vaxelaire, élue en février dernier “Wine Lady of Year 2025”, est plus que jamais sur le terrain, pleinement investie dans chaque geste, chaque décision, chaque vendange. Elle court d’une réunion à une parcelle, d’un contrat à une cuve, avec la passion des bâtisseurs et la force tranquille de ceux qui savent pourquoi ils sont là. Mais elle porte en elle une vision plus vaste du temps, et une sagesse discrète. « Ce que j’aimerais, un jour, c’est pouvoir dire : j’ai fait tout ce que j’ai pu, j’ai bien travaillé, je suis fatiguée, et je laisse la place aux autres. Mais ce moment-là n’est pas encore venu. » Pour l’instant, elle trace. Elle sème. Elle bâtit. Et dans le sillage de ses pas, la vigne murmure déjà quelque chose de durable. Quelque chose qui, certainement, lui survivra.

Virginie STASSEN

Château de Bioul, Place Vaxelaire 1, 5537 Bioul.  info@chateaudebioul.com

  chateaudebioul.be

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