Michaël Privot pour un « islam des Lumières »

Michaël Privot pour un « islam des Lumières »

Devenu musulman dans sa jeunesse, sans pour autant changer de nom, Michaël Privot est un islamologue et théologien engagé depuis de nombreuses années contre les discriminations et toutes formes de radicalisme, au profit d’une religion ouverte, bienveillante et inclusive.

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Publié le

21 décembre 2025

· Mis à jour le

21 décembre 2025
Portrait photo de Michaël Privot

« La seule étiquette que je revendique est celle de théologien libéral », insiste Michaël Privot, prônant, avec d’autres islamologues, une alternative à l’islam salafiste radical, identitaire et politique. À travers des conférences, des formations et des livres, il défend un « islam des lumières » et l’étude historico-critique de cette religion au nom de laquelle de nombreux attentats meurtriers ont été perpétrés. « J’essaie de comprendre comment on en est arrivé là aujourd’hui, soupire-t-il. Je récuse l’idée que l’islam dont se revendiquent les djihadistes ne serait pas l’islam. Au contraire, ce l’est spécifiquement et Daech en est une maladie. Il utilise le même registre que les autorités musulmanes, cite les mêmes sources, les mêmes auteurs, mais pousse les manettes à fond. Et beaucoup de croyants n’ont rien à voir avec cet islam et se sentent démunis. C’est pourquoi, avec d’autres, nous voulons combler ce vide. L’idée est de constituer un corpus pour offrir une alternative, un islam permettant d’être soi, en phase avec les valeurs de la société, tout en vivant sa spiritualité. Je me suis d’ailleurs engagé à la défense belge comme réserviste pour devenir un analyste sur les questions du djihadisme afin d’aider les troupes au sol. »

FRÈRES MUSULMANS

Et pourtant, colle à la semelle du quinquagénaire l’accusation d’être proche des frères musulmans. Pour la comprendre, il faut remonter quelques décennies en arrière. Michaël Privot est né à Verviers, en 1974, dans une famille de culture catholique, mais non croyante. « Vers 15 ans, se souvient-il, alors que je me considérais comme athée, j’ai ressenti un besoin de spiritualité, une sorte d’appel où l’on se dit qu’il y a quelque chose d’autre qui nous dépasse. Et j’ai commencé à chercher. » Il va dès lors s’intéresser à diverses spiritualités. Jusqu’à ce que, entamant des études de langues orientales et apprenant l’arabe, il rencontre un professeur de religion islamique. Il se met à lire des livres sur le soufisme, cette mystique musulmane qui lui convient. Et il se convertit, « seul dans ma chambre », considérant que c’est d’abord « une affaire entre soi et Dieu ». « Dans ma vie quotidienne, ça n’a pas changé grand-chose, j’ai mis du temps avant de commencer à pratiquer. Ce qui a été modifié, c’est mon regard. Comme si je regardais le réel à travers une autre fenêtre. J’étais, par exemple, assez contre le christianisme, à cause de l’inquisition, etc., et j’ai été amené à voir les choses de manière plus apaisée et à redécouvrir sa richesse. »

À cette époque, il commence à s’impliquer dans la mosquée la plus dynamique de Verviers, où l’on parle français et dont le projet est très axé sur l’inclusion à destination de la deuxième génération, voire de la troisième. Lorsqu’il apprend qu’elle est animée par les frères musulmans, qui sentent déjà un peu le souffre sans avoir l’image radicale qui est la leur aujourd’hui, il est surpris. « Ce que je voyais sur le terrain, c’est qu’il n’y avait aucune contrainte, que c’était ouvert. » Il devient leur représentant au FEMYSO (Forum of European Muslim Youth and Student Organizations), curieux de connaître son fonctionnement de l’intérieur, en posant ses conditions : ne jamais devoir dire ce qu’il n’a pas envie de dire et pouvoir partir quand il le veut. Il va siéger quatre ans dans son CA en restant toujours sur une même ligne : anti-discrimination, respect des droits humains, développement de l’Europe, etc. 

AUCUNE IDÉOLOGIE

Dans le même temps, il reste actif à la mosquée de Verviers qui organise, par exemple des conférences mixtes, même si « la mentalité est assez conservatrice en termes de mœurs, au niveau social, avec un robuste code moral. Mais il n’y a rien d’idéologique. Je n’ai jamais eu ni une leçon ni un cours, que ce soit au niveau européen ou local, sur la pensée des frères, sur ce qu’il faut faire ou pas. Il n’est pas question de prendre le pouvoir, de subvertir la société, ce n’est pas un islam politique, pas du tout. C’est une éducation à la citoyenneté, former de bons citoyens pour pouvoir être reconnu à sa vraie valeur. Je ne me suis jamais trahi, j’ai essayé de pousser ce que je pouvais pousser ». À partir 2008, il est attaqué dans la presse et s’éloigne progressivement des frères musulmans, à cause notamment de leur refus de toute analyse critique. De ce passage, il s’en expliquera dans un récit paru en 2017, Quand j’étais Frère musulman. Parcours vers un islam des lumières. En parallèle, il a poursuivi ses études pour devenir islamologue, espérant décrocher un poste à l’université et continuer à faire de la recherche. Finalement, après avoir réussi sa thèse de doctorat, il entre au Réseau européen contre le Racisme où il restera seize ans et dont il deviendra directeur, travaillant sur les phénomènes de radicalisation.

Michaël Privot s’est opposé à la Grande mosquée de Bruxelles subsidiée par l’Arabie Saoudite et donc, d’après lui, située « dans la ligne du wahhabisme largement responsable de l’idéologie qui a amené Daech ». Avec l’auteur de théâtre belge Ismaël Saidi, ils ont proposé dix mesures pour un islam de Belgique. En 2023, il a été chargé, pour une mission de deux ans, de mettre sur pied le Conseil musulman de Belgique (CMB), qui succède à l’Exécutif des musulmans de Belgique, et dont les prérogatives sont la reconnaissance des imams, des mosquées, des aumôniers ou la gestion des cimetières. « Je suis respecté, on écoute ce que je dis, même si tout le monde n’est pas d’accord avec moi. Comme j’ai fait des études d’islamologie, que je parle arabe et que je travaille sur les manuscrits, il n’est pas facile de me critiquer. Sur les interprétations, on ne peut pas dire que je ne sais rien. » 

CULTIVER L’EMPATHIE

Qu’espère-t-il pour 2026 ? « Je ne peux qu’encourager à cultiver l’empathie et le décentrement. Car il nous faut reconstruire tellement de choses : la confiance en soi, en l’autre, des espaces de dialogues, des ponts… Après tant de mensonges de nos autorités et d’inversions orwelliennes du langage au quotidien qui minent drastiquement la respectabilité des paroles politique, médiatique et, de plus en plus, scientifique, les individus et les collectivités sont livrés à une désagrégation de plus en plus prononcée des repères qui nous permettaient de construire une interprétation raisonnable et relativement partagée du réel. Ces mensonges, ces dé/mésinformations nous abiment profondément et vont rester un danger pour longtemps : nos liens, notre confiance et notre respect mutuels, ou tout simplement notre tolérance de l’autre, chavirent, nourrissant cette concurrence, voire cette guerre, de tou·tes contre tou·tes au cœur du projet néo-libéral, qui démontre chaque jour son incapacité foncière à résoudre nos problèmes. Alors, le cadeau le plus généreux que nous puissions nous faire, individuellement et collectivement, c’est de parler vrai, avec le plus de bienveillance possible, et reconstruire de l’empathie – et de refuser, tant que faire se peut, les assignations, les oukases, les émotions prescrites et les ostracisations sur commande. »

Michel PAQUOT

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