Pour une école bienveillante

Pour une école bienveillante

Le concept a le vent en poupe dans le monde du travail, comme dans beaucoup d’autres secteurs de la société. Qu’en est-il à l’école ? Deux directeurs d’établissements ont voulu creuser la question dans Une si naïve bienveillance ?

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Publié le

31 décembre 2022

· Mis à jour le

26 avril 2025
Une institutrice et 4 élèves autour d'une table en train de faire leurs devoirs
ÊTRE POSITIF. Un comportement prosocial à l’école et en d’autres circonstances.

La bienveillance au travail, Le management bienveillant, Le manager bienveillant 2.0… Depuis quelques années, la bienveillance est dans l’air du temps, comme en témoignent ces quelques titres de livres, parmi bien d’autres. Pas seulement d’ailleurs dans le monde du travail et de l’entreprise. Le secteur du développement personnel s’en est emparé : La puissance de la bienveillance : prendre soin de soi, des autres et du monde, L’entrainement de l’esprit et l’apprentissage de la bienveillance, etc. Le milieu éducatif lui-même s’y rallie avec, par exemple, éducation bienveillante : petit guide à l’usage des parents. Face à cette émergence, Paul-Benoit de Monge et Alain Maingain, deux anciens directeurs d’école, ont voulu réfléchir à propos de ce concept en se basant sur leur expérience de terrain. De leurs échanges est né Une si naïve bienveillance ?, avec un point d’interrogation.

PLUS DE LAXISME ?

Lorsque la ministre Caroline Désir, en pleine épidémie de covid, a appelé les équipes éducatives à faire preuve de “bienveillance” lors des délibérations de fin d’année, beaucoup y ont vu un appel à moins d’exigence, à plus de laxisme. Les deux co-auteurs se sont demandé pourquoi cela avait provoqué de telles tensions. C’est sans doute notamment dû au fait que le terme est employé à tort et à travers, comme toute notion à la mode. Paul-Benoit de Monge avait en effet été étonné d’entendre des élèves réclamer davantage de bienveillance. Or, à ses yeux, elle faisait partie du vocabulaire du petit catéchisme, un peu vieillot ou désuet. Pour approfondir la question, ils ont voulu interroger le concept jusqu’à ses racines, avant de revenir à des aspects plus concrets. L’un des deux collectionnait, depuis 2010 environ, des ouvrages à son propos. Quant à l’autre, s’il n’était pas surpris d’entendre Mathieu Ricard évoquer cette attitude, il en a été tout autrement quand l’économiste libéral Bruno Colmant l’a intégré dans son discours.

Leur expérience d’enseignant puis de directeur les a conduits à constater que l’école est parfois très dure, ou en tout cas ressentie comme telle par beaucoup d’adolescents. Pour Alain Maingain, « si l’on additionne les élèves qui sont dans une spirale d’échec, d’exclusion ou de relégation, ceux qui sont victimes de violences verbales voire d’agressions ou de harcèlement, cela fait un nombre important d’élèves en souffrance ou, comme certains le disent, fracassés par l’école. S’interroger sur la bienveillance dans ce contexte est donc loin d’être anodin. » Son collègue précise : « Attention, il n’y a pas que les enfants qui sont en souffrance. C’est également le cas des parents et des enseignants. On ne peut pas laisser l’école être un lieu de souffrance. »

OBJECTIFS DE PERFORMANCE

Ils regrettent que la vision de l’école soit aujourd’hui essentiellement managériale, avec des objectifs de performance ou d’excellence mesurés par diverses évaluations, au niveau local comme international. Ce sont les résultats qui comptent. Pour eux, la question fondamentale n’est pas là. Il faut d’abord déterminer quelle est la mission de l’enseignement obligatoire, au service de quel projet sociétal. « Nous disposons d’un décret missions qui est d’ordre plutôt social-démocrate, mais le pilotage est guidé par l’OCDE (l’Organisation de Coopération et de Développement Economique), qui est de tendance néo-libérale. Dans les réflexions autour de l’enseignement, on parle beaucoup de structures, de référentiel, mais on omet souvent de s’interroger sur la relation. » « Si nous avons choisi pour titre de notre livre Une si naïve bienveillance ? c’est pour soutenir les enseignants et autres acteurs qui posent des actes de bienveillance et qui sont souvent l’objet de l’ironie voire du mépris de leurs collègues. »

Paul-Benoit de Monge poursuit : « Pour ma part, j’ai ressenti une évolution autour des années 2005-2006. Jusque-là, on vivait sous le règne de l’enfant-roi, marqué par un grand individualisme. On a vu alors de plus en plus d’élèves aspirer à davantage de solidarité, de travail en commun, de structures accueillantes. La sensibilité au bien commun s’est développée. Et le mouvement n’a fait que se renforcer depuis. Se sont imposés ensuite les enjeux climatiques, avec des élèves existentiellement inquiets, demandeurs de réconfort. Le covid n’a évidemment fait que rajouter une couche d’inquiétude. La bienveillance, le soin, sont des alternatives aux souffrances, aux angoisses. »

STIMULER LE DÉSIR DE L’ENFANT

Comment concrétiser cette bienveillance ? Pour les auteurs, il faut tout d’abord abandonner la croyance selon laquelle c’est l’exigence qui produit de bons résultats. Ils pensent que c’est plutôt la stimulation du désir et du plaisir de l’enfant qui y parvient. L’école exigeante en génère pour les meilleurs, mais pas du tout pour les autres. Aujourd’hui, ceux qui ne maitrisent pas les codes scolaires, même s’ils sont intelligents, sont exclus. Travailler sur le climat de l’établissement et de la classe est également plus efficace que d’agiter le bâton. Installer la bienveillance n’est pas une question de délibération de fin d’année, mais de posture au quotidien. Si la tâche de l’enseignant est de tracer un certain nombre de voies d’apprentissage, elle consiste à se demander si tel élève progresse sur les bons chemins ou s’il ne faut pas l’aider à en trouver de plus appropriés. 

« Dans les réflexions autour de l’enseignement, on parle beaucoup de structures, de référentiel, mais on omet souvent de s’interroger sur la relation. »

Cette attitude relève donc d’un souci permanent. La relation prime sur le contenu. Or, pendant leur formation, les professeurs sont très focalisés sur les seconds et très peu sur la première. Quand une ONG engage un travailleur pour les pays du Sud, elle le met en situation dans des jeux de rôle afin de tester ses interactions avec les autres et de l’amener à interroger ses représentations interculturelles. N’est-ce pas ce type d’apprentissage qu’il serait utile d’intégrer dans le cursus des enseignants ? En effet, pour apprendre, il faut d’abord que les élèves se sentent reconnus, dans leur contexte, leur histoire, leur tradition familiale. Cela demande du temps, mais c’est du temps gagné. 

Alain Maingain évoque sa propre expérience : « Entre le 1er septembre et le début du congé de Toussaint, je veillais à avoir au moins trente minutes de rencontre avec chacun de mes élèves. Cela me prenait tous mes temps de midi, mais dès le mois de novembre, j’avais en face de moi des visages et j’étais dans une relation facilitée, ce qui favorisait les apprentissages. Dans les lieux où il est compliqué d’enseigner, je pense que beaucoup d’élèves sont anonymisés, ils ne sont ni connus ni reconnus pour ce qu’ils sont. De plus en plus d’écoles mettent d’ailleurs en place des initiatives facilitant cette reconnaissance, comme des petits-déjeuners ou des journées résidentielles à l’extérieur en début d’année. »

Le livre édité par le Centre Avec se présente comme un parcours de douze rencontres et échanges de points de vue sur différents thèmes liés à la bienveillance. Chaque chapitre se termine par des tableaux récapitulatifs et une série de questions au lecteur. Des questions qui stimulent la réflexion, à se poser seul ou en équipe, à l’école, mais aussi dans bien d’autres contextes.

José Gérard

Paul-Benoit de MONGE et Alain MAINGAIN, Une si naïve bienveillance ?, Bruxelles, Centre Avec, 2022. .  centreavec.be 

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