Une voie crédible pour la paix

Une voie crédible pour la paix

Découvrir la force du féminin pluriel avec Mari Sol Pérez Guevara, Stéphanie Lecesne et Heddy Riss, au carrefour de plusieurs initiatives citoyennes liées à la construction de la paix.

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Publié le

21 décembre 2025

· Mis à jour le

21 décembre 2025
De nombreuses personnes réunies devant un grand écran blanc

Les femmes apportent souvent des perspectives différentes sur la signification des notions de paix et de sécurité et sur la manière de les concrétiser. Si les hommes prennent d’ordinaire les armes, elles subissent davantage les conséquences des guerres. Au cœur de ceux-ci, voire en amont ou en aval, certains groupes féminins œuvrent de façon courageuse et inspirée pour maintenir malgré tout des ponts offrant un avenir aux enfants qu’elles ont mis au monde. Écouter leur histoire, c’est comprendre l’enjeu de leur participation à tous les niveaux de décisions et de négociation dans le règlement des conflits en accord avec la Résolution 1325 des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité dont on a fêté le vingt-cinquième anniversaire ce 31 octobre.

DIALOGUE ET DIVERSITÉ

Créé au lendemain des attentats terroristes du 22 mars 2016 à Bruxelles par Éric Melloul, le rabbin Avi Tawil et Sharon Galant, le travail de “Dialogue et Diversité” impose le respect. Il s’agit d’une initiative juive de dialogue interculturel qui promeut la compréhension et l’acceptation des différences afin de réduire les stéréotypes et consolider une société plus inclusive. Poétesse et auteure madrilène vivant à Bruxelles, Mari Sol Pérez Guevara, catholique, a travaillé une trentaine d’années dans le milieu de l’Union européenne et se consacre aujourd’hui autant à l’écriture qui surgit de sa foi qu’à l’engagement au sein d’un groupe de femmes issu de “Dialogue et Diversité”, aux côtés de ses amies Sharon et Nehama, fondatrices. « Nous sommes issues de la diversité religieuse et spirituelle de notre société : juives pratiquantes et laïques, musulmanes, chrétiennes, bouddhistes, agnostiques, athées », explique-t-elle. 

Le dialogue interreligieux l’aide à comprendre l’autre mais aussi la singularité de son propre cheminement et de ses racines spirituelles : « Ce que nous partageons est précieux mais le cadre est donné par des balises précises : parler en “je”, venir pour comprendre et pas pour convaincre ce qui signifie que “ne pas être d’accord” est une situation acceptable pour moi, s’écouter sans s’interrompre et sans aparté. » La foi de la poétesse éclaire alors son visage : « Pour les chrétiens, Dieu trinitaire est présent dans les processus par lesquels nous construisons des relations d’amour et des liens de fraternité. Se réunir au nom d’une humanité commune c’est se réunir au nom de la Vie. C’est le message du Pape François dans l’Encyclique Fratelli Tutti : l’amour est aussi social. »

UNE EXPÉRIENCE DE SORORITÉ

Elle se souvient d’un atelier animé par Stéphanie Lecesne, professionnelle du dialogue interconvictionnel : « J’ai pris conscience qu’on peut avoir plusieurs identités sans en renier aucune. Et chaque identité reconnue et acceptée peut autant devenir un pont qu’un motif de confrontation. Je me souviens d’un atelier sur l’origine des prénoms. J’écoutais une femme musulmane m’expliquer l’origine de son prénom Khadija, symbole de l’attitude libre et indépendante de la première épouse du Prophète Mahomet. J’ai construit une vision nouvelle en écoutant chacune et son histoire. (…) Changer son regard vers les autres impose un travail sur soi. »

Le CEJI (A Jewish Contribution to an Inclusive Europe) est une structure qui apporte, depuis 1991, une contribution juive à une Europe inclusive et multiculturelle, et travaille à améliorer les politiques et les pratiques de lutte contre la discrimination. Stéphanie Lecesne y œuvre depuis 2004 et a participé à la création de programmes de formation Belieforama™ (sensibilisation à la diversité des croyances et des valeurs). Ces programmes deux fois primés, elle les a mis en œuvre pour le compte de la Ligue de l’Enseignement et, plus tard, à l’Institut International des Droits de l’Homme et de la Paix. Elle précise : « Le travail consiste à construire avec les femmes des balises claires sous forme de charte comme un fil rouge ou comme filet de sécurité. (…) Il s’agit ici de prise avec le réel et pas d’idées abstraites. On arrive à ses réunions en acceptant nos vulnérabilités. Les balises sont utiles mais si on est passé au travers de ces moments terribles en gardant la force du lien de sororité, c’est surtout parce qu’avant cela on avait appris à se respecter, s’aimer et se faire confiance. » Peu à peu on s’interdit de réduire l’autre à une seule identité sociale ou religieuse. 

FUTURS VIABLES ET FRATERNELS

Des femmes palestiniennes et israéliennes ont créé respectivement deux ONG, “Women Wage Peace” et “Women of the Sun”, unies dans le désir d’un avenir de paix, de liberté, d’égalité, de droits et de sécurité pour leurs enfants et les générations à venir. Elles œuvrent à la genèse de futurs viables et fraternels. Membre fondatrice du groupe belge qui soutient les deux organisations depuis novembre 2024, Heddy Riss a été directrice de programme à l’Université de Californie à Berkeley avant de venir vire à Bruxelles. Elle a aidé à organiser des dialogues internationaux sur la religion, la démocratie et la gouvernance mondiale. Son travail se concentre sur le leadership des femmes dans la consolidation de la paix et sur la construction de ponts entre la société civile et les institutions dans la résolution des conflits. 

Elle explique les circonstances de la naissance de “L’Appel des mères” issu des deux ONG : « Le groupe féminin “Women Wage Peace” (WWP) a été créé en Israël en 2014. Il compte aujourd’hui 50 000 membres de tous les secteurs de la société (femmes juives, chrétiennes, musulmanes, laïques et religieuses). C’est un large mouvement qui n’est affilié à aucun parti politique et qui promeut une paix juste et équitable au conflit israélo-palestinien avec la participation des femmes à tous les niveaux de négociations et de décisions. En 2021, issu d’un camp de réfugiés en Cisjordanie, un autre groupe “Women of the Sun” (WOS) voit le jour dans le but d’augmenter la participation des femmes palestiniennes dans la vie politique, la prise de décisions et l’économie. Ce groupe de femmes est originaire de différentes parties de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de la bande de Gaza. »

L’APPEL DES MÈRES

Fin 2021, les deux ONG se sont unies pour signer neuf mois plus tard (cela ne s’invente pas) une pétition. “L’Appel des mères” naît en 2022 et une marche commune dans le désert débouche le 5 octobre 2023 sur son lancement officiel… deux jours avant les massacres du 7 octobre. C’est une déflagration. « Juste après ces attaques terroristes du Hamas contre Israël, témoigne Heddy Riss, les femmes veulent se parler, les palestiniennes vont directement téléphoner aux israéliennes. Et peu après la réaction de l’Etat hébreux, les femmes israéliennes contacteront les palestiniennes. Leurs protocoles de dialogue et le passé commun d’amitié leur permet de garder le lien envers et contre tout. (…) L’histoire a montré, par exemple en Irlande du Nord ou au Liberia, que lorsque les femmes se mobilisent, elles arrivent à imposer la paix avec d’autres priorités, comme les droits humains, les droits des victimes, l’éducation, les violences faites aux filles et aux femmes… »

« Ces femmes se concentrent uniquement sur ce qui les unit en adoptant le principe du “no shame, no blame”, ni reproche, ni culpabilité. Elles demeurent pragmatiques et continuent à travailler ensemble. Elles disent que la justice fera son travail après, à l’image des procès en Irlande du Nord contre les terroristes protestants et catholiques qui ont suivi les accords du Vendredi Saint. Elles n’ont pas peur de mettre des mots sur les souffrances. Ce qui change leur vie, c’est de se rencontrer réellement et de voir que l’autre est souvent semblable dans ses douleurs et ses joies, c’est-à-dire dans ses fondamentaux. Elles veulent clamer qu’une autre issue est possible ; une troisième voie menée par les femmes. »

FRATERNITÉ UNIVERSELLE

Le groupe organise des projections, des débats, des rencontres de sensibilisation. Son but est d’aider les deux ONG à se faire connaître en diffusant l’information et les moyens de les aider financièrement. Il œuvre en faisant pression au niveau de la société civile et dans le monde politique. Les journées des 17, 18 et 19 novembre dernier à Bruxelles ont été riches en visibilité politique et convictionnelle : soutien du couple royal, présentation de “L’Appel des mères” au Parlement européen, au Sénat belge et à différents dignitaires religieux à la Chapelle pour l’Europe. Quarante-huit femmes de partis démocratiques l’ont signé à titre personnel. On pointera la présence au cours de ces trois évènements de femmes remarquables issues des deux ONG fondatrices : Naama Barak Wolfman (WWP), Reem Al-Hajajra (WOS), Kifaia Aiaite Masarwy (WWP), plus la modératrice Gina Mclntyre.

Cela fait soixante ans que l’esprit de “fraternité universelle“ a été inscrit au cœur de la déclaration phare de Vatican II, Nostra Aetate ! Un texte qui invite à reconnaitre les valeurs spirituelles, morales et socio-culturelles présentes dans chaque religion. Le dialogue véritable et l’engagement à vivre ensemble seraient donc constitutifs du fait même d’être catholique (entendez universel) dans le monde aujourd’hui. Découvrir la valeur de l’autre sans a priori ne demeure-t-il pas la pierre angulaire de toute pacification ?

Michel DESMARETS

womenwagepeace.org.il/en/french/lappel-des-meres/

dialoguediversity.eu/about-us

vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651028_nostra-aetate_fr.html

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