Résister par le don et les solidarités
Résister par le don et les solidarités
Face aux nombreux défis à relever, du plan local à la coopération internationale, des hommes et des femmes s’associent et agissent pour la justice dans le monde. Jean-Marie Pierlot le rappelle dans un livre très riche et porteur d’espoirs.
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Jean-Marie Pierlot en est persuadé : « la figure du don est présente partout, même si elle est étouffée par l’égoïsme et l’individualisme. » Il oppose en effet « l’univers du don, de la réciprocité et de la reconnaissance d’autrui à celui d’une économie marchande centrée sur le profit, l’égoïsme et le mépris d’autrui. »« Il est possible et nécessaire, écrit-il, d’orienter notre regard vers l’intérêt que beaucoup de nos contemporains portent à autrui plutôt que vers l’intérêt centré exclusivement sur soi ». Et, pensant spécialement aux jeunes, il invite à voyager « vers des lieux qui permettent de construire étape par étape un autre horizon que celui dans lequel nous vivons, un horizon qui s’ouvre sur le don ».
Avec le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis d’Amérique et la multiplication des gouvernements poussés par des opinions conservatrices, racistes et xénophobes, les inquiétudes pour l’avenir des populations sont de plus en plus élevées. Il faut dès lors se réjouir de la sortie en Belgique de l’ouvrage pluridisciplinaire Vivant ! Résistance et solidarité face au désordre climatique, que son auteur, Jean-Marie Pierlot, “ose” clôturer par une note optimiste.
CONSTRUIRE UN AUTRE HORIZON
Après avoir eu « la chance de pouvoir étudier la sociologie à l’Université catholique de Louvain durant cette période particulièrement créative qu’était la fin des années 1960 », il y a travaillé au Département Communication en tant que chercheur-enseignant tourné vers les associations. Son premier employeur a d’ailleurs été les éditions Vie ouvrière, devenues Couleur Livres, qui publient aujourd’hui son ouvrage.
Une large partie de son parcours professionnel et militant s’est ensuite construite en Belgique comme communicant dans des organisations pluralistes et confessionnelles, telles la Croix-Rouge, WWF, Amnesty International et Entraide et Fraternité-Action Vivre Ensemble. Ayant siégé, ou siégeant encore, au sein de conseils d’administration de certaines d’entre elles, il exprime « une grande reconnaissance vis-à-vis de toutes celles et ceux qui se sont engagés pour un monde meilleur et qui m’ont montré le chemin ».
Également enrichi de « toutes les références glanées au fil des lectures accumulées depuis ma formation universitaire », Jean-Marie Pierlot mentionne spécialement le Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (MAUSS) formé dans les années 80 par des sociologues, philosophes et psychologues opposés à l’homo économicus et qui se réclamaient de L’essai sur le don du sociologue et ethnologue français Marcel Mauss. Les Français Pierre Bourdieu, Bruno Latour, Jean-Marie Pelt, Paul Ricoeur, Pierre Rosanvallon ou Dominique Wolton et, en Belgique, Isabelle Stengers et Cécile de Ryckel, sont quelques-un·es des auteur·es qui l’ont inspiré par leurs apports, dont ceux des deux dernières citées concernant la résistance et l’entraide contre la barbarie et pour la transition.
MENACES ANTI-DÉMOCRATIQUES
« Des menaces surgissent depuis une vingtaine d’années vis-à-vis de ce qui fait le cœur des liens sociaux, s’inquiète-t-il dans son ouvrage. Elles sont entretenues et développées par les dérives des grands acteurs des réseaux sociaux numériques les plus répandus, ceux qu’on nomme les GAFAM », ces géants du web que sont Google, Appel, Facebook, Amazon et Microsoft. Autant de menaces « non seulement à l’égard des individus, mais aussi dirigées contre le système démocratique » qu’il identifie et dénonce longuement. Et face auxquelles, croit-il, « la résistance viendra de la société civile autant que des instances européennes et internationales de régulation ».
Dans son vaste rappel historique, l’ancien responsable associatif cite notamment les apports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évaluation du climat) et la jeune militante écologiste suédoise Greta Thunberg, tout en pointant des partenariats entre associations et consommateurs ou des actions d’économie sociale. À ces acteurs, on peut joindre des femmes de divers continents qui luttent pour l’amélioration des conditions de vie et de travail dans les communautés des pêches artisanales, tant auprès des gouvernements des pays du Nord et du Sud que dans les institutions internationales en Europe et à l’ONU.
DÉFENDRE L’UNIVERS DU VIVANT
Dans son ouvrage, Jean-Marie Pierlot veille également à situer « le don dans l’univers du vivant », c’est-à-dire « dans les alliances que construisent humains et non-humains sur les territoires qui les abritent ». Car c’est là que « s’élabore un monde vivant où chacun peut vivre sereinement ». « Les nombreux chercheurs, anthropologues, sociologues et philosophes, observe-t-il, appellent à construire ce monde que nous voulons, tournant le dos à la course au profit à court terme », « nourri par la solidarité et la réciprocité entre tous les acteurs du vivant ». En se promenant aussi « dans les horizons de ce nouveau monde, tout en veillant à vérifier les solidarités et à rejeter les tentations du repli sur soi ».
C’est donc sur une note optimiste que l’auteur clôture ce« parcours plein d’embûches, mais aussi de résistances du vivant », même si on peut se poser des questions quant aux sociétés civiles mises en avant par lui, mais de plus en plus entraînées dans des fonctionnements issus du monde marchand, si différents de ceux mis en œuvre par leurs aînés qui étaient avant tout des militants de la solidarité.
Coauteur, en 1984, du premier manifeste du mouvement Écolo, avant que celui-ci ne devienne un parti politique, Jean-Marie Pierlot consacre un chapitre de son livre au thème Écologie, science et spiritualité – un dernier terme qui aurait pu être mis au pluriel, comme le prouve chaque mois L’appel.Après avoir évoqué la riche personnalité de l’archevêque brésilien dom Helder Camara, porte-parole des sans voix et adepte de la non-violence décédé en 1999, il souligne que le pape François a été, avec l’encyclique Laudato Si ! appelant en 2015 à la sauvegarde de « notre maison commune », la première plus haute autorité de L’Église catholique à se prononcer à la fois pour une écologie intégrale et contre l’oppression des laissés pour compte touchés par la dégradation du système économique dominant.
PROMOUVOIR UNE ÉCOSPIRITUALITÉ
Jean-Marie Pierlot considère néanmoins que les dernières positions du défunt pape latino-américain à propos de la place de la femme dans l’Église et dans la société « affaiblissent la portée de son message écologique adressé au monde ». Même si, pense-t-il, « rien n’est figé » car « l’espoir d’une transformation réside dans la poussée de communautés ecclésiales de base, comme on les appelle, très présentes en Amérique latine ». Mais ces propos de l’auteur sont désormais nuancés, là comme ailleurs, face à l’évolution à travers le monde de l’Église catholique et des religions.
S’inspirant de divers auteurs, Jean-Marie Pierlot observe plus largement « un changement profond dans la relation que les humains entretiennent entre eux et avec les non-humains », alors que la reconnaissance du don revient à accepter de relever le défi de la transformation. « Accorder une dimension spirituelle à notre relation au vivant : voilà un programme de renouvellement de nos manières de vivre. C’est ce que propose, entre autres, le philosophe Jean-Philippe Pirson – auteur de Méditer comme une montagne. Exercices spirituels d’attention à la Terre et à ceux qui l’habitent – qui évoque l’écospiritualité, une démarche qui n’appartient à aucune religion en propre, mais constitue le socle profond d’une conception relationnelle de notre être humain en tant que vivant parmi les vivants ». Mais Jean-Marie Pierlot invite aussi à éviter « le danger du nombrilisme et du repli sur soi, comme le proposent parfois des approches tournées essentiellement vers l’intérieur de soi, même si elles se parent du titre de sagesse ».
Ce livre à lire, à faire connaître et à prolonger est dédié à six femmes de moins de trente ans qui, selon son auteur, « tracent les chemins de l’avenir en France et en Belgique » : Adélaïde Charlier, Anuna De Wever, Camille Étienne, Chloé Mikolajczak, Lucie Pinson et Salomé Saqué. Il aurait encore pu l’être à bien d’autres femmes, hommes et jeunes engagé·es dans les sociétés civiles à travers le monde. Car ces acteurs et actrices renforcent et enrichissent, par leurs résistances, les associations, mouvements, ONG, réseaux et communautés qui ne sont pas toujours assez considérés par les détenteurs des pouvoirs politiques, économiques, sociaux, culturels et religieux. De tels adeptes de « l’action contre le défaitisme » se voient, en effet, parfois forcés de s’aligner sur des modes de fonctionnements qui leur sont imposés.
Jacques BRIARD
Jean-Marie PIERLOT, Vivant ! Résistance et solidarité face au désordre climatique, Mons, Couleur Livres, 2025. Prix : 19€. Via L’appel : -5% = 18,5€.