Des concerts, de la danse, du cinéma, de la littérature, du théâtre, des expos sur la culture et l’histoire… : le menu de la 55^ème édition du Festival Europalia consacré à la Géorgie d’octobre 2023 à janvier 2024 offrira aux visiteurs une palette d’approches très variées, qui reflètent le caractère métissé de la culture géorgienne.  « Il y en aura pour tout le monde », affirmait Théa Tsulukiani, ministre géorgienne de la Culture, lors de la présentation du programme en juin dernier. Mais parce que la culture n’est pas indépendante de la société dans laquelle elle se développe, elle rappelait que son pays avait façonné son identité en résistant à de nombreuses agressions et qu’il était d’ailleurs toujours occupé par l’armée russe. Elle espérait donc qu’Europalia faciliterait son adhésion à l’Union européenne, demandée en 2022, en même temps que l’Ukraine, d’autant qu’elle avait su jouer « un rôle de rempart pour le reste du continent européen ». 

LES RÈGLES DU SUPRA

Les événements organisés par Europalia sont trop nombreux pour pouvoir les évoquer tous. La musique, et en particulier le chant polyphonique, est l’un des axes majeurs de la programmation. D’ailleurs, près de la moitié des propositions du programme sont d’ordre musical. Le chant polyphonique caucasien, très différent de la polyphonie occidentale, semble constituer un lien très puissant pour la grande majorité des habitants. Tous les événements de leur vie sont en effet l’occasion de chanter ensemble : chants de table ou chants à boire, chants profanes ou religieux, chants traditionnels, musiques anciennes ou contemporaines. Les mélomanes seront comblés. 

Parmi les traditions où le chant est présent, le supra est un banquet animé par le tamada, un maître de cérémonie qui propose des toasts aux convives, les invitant à en prononcer à leur tour, entre les discours et les chants polyphoniques qui rythment le repas. Le supra est régi par des règles strictes et traditionnellement réservé aux hommes, les femmes s’occupant de la cuisine. Pour questionner cette tradition, Europalia programme Supra – A feast, où quatre chanteuses et trois actrices explorent cette tradition d’un point de vue féminin. Elles mangent, boivent et chantent autour d’une table, racontent des histoires et remettent en question l’ordre patriarcal établi. 

LE VIN, ÉLÉMENT CENTRAL DE LA CULTURE

Parmi les nombreux spectacles de chant, on pointera Triple Bill, présenté à Bruges et à Bruxelles, qui réunit trois chœurs célèbres dans un même spectacle et propose des chants traditionnels, comme des créations contemporaines. Le chœur Basiani interprétera des chants polyphoniques traditionnels : musique folklorique et hymnes chrétiens des XI^e et XII^e siècles. De leur côté, Gori Women’s Choir et le State Chamber Choir présenteront des œuvres modernes de compositeurs géorgiens renommés tels que Giya Kancheli et Josef Kechakmadze.

Pour faire connaître la situation particulière de la Géorgie, le Musée Art et Histoire de Bruxelles propose Géorgie : une histoire de rencontres. Cette exposition raconte l’histoire, l’art et la culture de cet État depuis le néolithique. Par sa localisation à la charnière entre l’Occident et l’Orient et du fait des puissants voisins qui l’ont depuis toujours entourée et convoitée, la Géorgie a développé une culture faite d’influences et d’échanges divers qui ont considérablement enrichi son patrimoine. L’expo démarre par l’évocation étonnante du vin, produit depuis au moins huit mille ans et considéré comme un élément central de la culture et du patrimoine local. Il s’allie évidemment aux chants pour animer les repas et festins que les habitants apprécient tant. Les Grecs ont installé des comptoirs commerciaux, suivis par les Romains, les Perses, les Arabes, les Byzantins, les Mongols et les Ottomans qui se sont succédé au fil de l’Histoire, laissant leur empreinte sur la culture locale, y semant également très souvent la destruction.

AVANT-GARDE ARTISTIQUE

Dans un tout autre registre, Bozar accueille l’exposition L’avant-garde en Géorgie. 1900-1936. Les années 1910 en Europe ont vu l’éclosion d’une effervescence et d’une créativité artistiques sans précédent. Après l’invention du cubisme par Picasso, de nombreux mouvements nouveaux ont fait leur apparition, révolutionnant l’art occidental. La situation de la Géorgie est un peu particulière, mais elle a aussi connu une période bouillonnante entre la chute de l’empire russe en 1918 et l’invasion du pays par les Soviétiques en 1921. Le futurisme, le dadaïsme, l’expressionnisme, le cubisme, le cubo-futurisme y ont cohabité, provoquant un véritable feu d’artifice artistique, que les visiteurs découvriront à travers deux œuvres issues des grands musées géorgiens et pour la plupart exposées pour la première fois en Belgique. Tombé dans l’oubli suite à la répression soviétique, ce patrimoine est très peu connu en Belgique et mérite d’être découvert. 

SAZ ET POÉSIE ÉPIQUE 

Les personnes intéressées pourront bien sûr se rendre sur le site d’Europalia pour étudier l’ensemble des propositions et faire leur choix en fonction du type d’activité, de sa localisation et de la date à laquelle ils sont disponibles. Au sein de cette offre plantureuse, parfois dans des secteurs très spécifiques, on relèvera un spectacle de marionnettes qui s’inspire de la dame aux camélias ; une expo d’art contemporain sur le thème du fil de soie et du cocon, qui rappelle que la sériciculture est pratiquée en Géorgie ; une exposition de photographies sur les traces d’oiseaux dans la culture géorgienne ; ou encore un récital de poésie épique accompagné d’un saz, un luth à manche long… 

À noter que si une grande partie des activités ont lieu à Bruxelles, le festival couvre l’ensemble du pays. En Wallonie, à Liège, Namur ou Mons, les amateurs auront surtout l’occasion d’entendre des chœurs. D’autres événements, et dans des secteurs plus variés, sont proposés à Anvers, Bruges, Ostende, Malines et Gand.

José Gérard

Informations : europalia.eu