Si vous avez envie que je vous aime…
Si vous avez envie que je vous aime…
« Tout comme un cordonnier fait des souliers et un tailleur des habits, un chrétien doit prier : le métier de chrétien, c’est prier », disait un jour le réformateur Martin Luther.
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Il faisait si beau ce jour-là. Mais pas pour Édith. La petite serveuse du supermarché, toujours si accueillante, paraissait bien sombre depuis quelque temps. Mais elle ne disait pas à ses collègues pourquoi le soleil semblait l’avoir abandonnée. Ils vont bien vite le découvrir, atterrés. Car elle a fini par avouer le crime. Emballé dans un drap de lit à petits carreaux verts et blancs et placé dans un sac poubelle, le bébé portait encore son cordon ombilical. Quelle honte, quelle peur ou quelle désespérance a pu conduire une maman et son entourage à pareille extrémité ? Quelqu’un a-t-il crié, supplié, protesté ?
Chaque jour, l’actualité proche ou lointaine égrène son chapelet de découragements. Parce qu’un conjoint s’en est allé. Parce qu’un enfant n’a pas réussi. Parce qu’une maladie a tout bouleversé. Parce que l’ennui, parce que la drogue, parce que l’argent, parce qu’un accident, parce que la guerre, parce qu’une naissance inattendue… « Mon Dieu, je ne vous aime pas, proteste Marie-Noël, je ne le désire même pas, je m’ennuie avec vous. Peut-être même que je ne crois pas en vous. »
QUAND LA PRIÈRE ATTAQUE
À ses disciples, aussi sombres et désabusés, Jésus dit « qu’il faut toujours prier sans se décourager ». Ah oui ? Vraiment ? Combien sont-ils, dans et hors des Églises, à se lancer dans la prière à corps et à cœurs perdus ? Et qui se battent, et qui s’accrochent comme à une bouée, mais qui finissent par se décourager : « Dieu ne nous aime pas. Dieu ne nous a pas exaucés. »
C’est à eux d’abord que Jésus propose l’histoire du juge corrompu et de la veuve casse-pieds. Elle le sait bien, la veuve, qu’il serait si simple de glisser sous la table un petit bakchich, un pot-de-vin comme le juge en raffole. Justice lui serait vite rendue. Mais elle est pauvre et ne dispose que d’une seule arme : son entêtement. Elle va donc lever les mains et insister, s’obstiner, lui casser les pieds jusqu’à la victoire.
À Réphidim, Moïse, lui aussi, va garder les mains levées jusqu’à la victoire. Réphidim, le « lieu de repos », dit l’hébreu, mais qui sera surtout, pour Moïse, un lieu d’épuisement. Car, pour vaincre les Amalécites, ils sont deux : Josué, le chef de guerre, dans la plaine, et Moïse, le chef de la prière, sur la colline.
Avec “le bâton de Dieu” à la main, symbole du commandement, Moïse encourage les siens, signale les attaques, indique les chemins. La prière mène le combat. Il ne doit surtout pas “baisser les bras”, ce serait une catastrophe pour les combattants. Et lorsque, malgré tout, ses mains s’alourdissent, Aaron et Hour se précipitent pour les lui soutenir. « L’un d’un côté, l’autre de l’autre. » Comme Jésus en croix.
MON DIEU, JE NE VOUS AIME PAS !
Moïse ne prie pas Dieu d’attaquer à sa place, mais de lui donner la force de lever les bras. La veuve ne prie pas Dieu de fléchir le juge à sa place, mais de lui donner le courage de l’affronter sur son propre terrain. Prier n’est pas un art de fuir, mais un art d’attaquer et même, parfois, un art… de protester. Quel dommage que la maman du petit bébé n’ait pas fait sienne la prière de Marie Noël : « Mon Dieu, je ne vous aime pas… mais regardez-moi en passant (…).
Si vous avez envie que je croie en vous, apportez-moi la foi.
Si vous avez envie que je vous aime, apportez-moi l’amour.
Moi je n’en ai pas et je n’y peux rien. Je vous donne tout ce que j’ai : ma faiblesse, ma douleur et cette tendresse qui me tourmente et que vous voyez bien, et ce désespoir et cette honte affolée.
Mon mal, rien que mon mal.
C’est tout et c’est mon espérance. »
Gabriel RINGLET
Marie NOËL, Notes intimes, Paris, Stock, 1984. (épuisé)