Réapprendre à patienter ?
Réapprendre à patienter ?
Livraisons par drone pour recevoir un colis à peine commandé. Cyclistes prêts à apporter, à n’importe quelle heure, un repas sorti d’un fast-food. Chatbots répondant instantanément là où un call-center surcharge les lignes. Documents officiels disponibles sur le web sans passer par une file interminable. Prêts d’argent accordés en quelques clics…
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Le XXIᵉ siècle installe partout la logique du “tout, tout de suite”. Dès qu’un désir s’exprime, la satisfaction doit suivre. Au temps d’Aladin, il fallait appeler un génie pour satisfaire ses souhaits. Désormais, il suffit d’être connecté.
Dans cet environnement, attendre devient une épreuve. Trois heures aux urgences pour qu’un médecin s’occupe d’un cas ? Inadmissible. Une commande à retirer quinze jours plus tard ? Archaïque. Une liste d’attente pour un logement social ? Mais que font les politiques ? Et que dire du concessionnaire automobile avertissant son client qu’il en a pour plusieurs mois avant de recevoir son SUV 100 % électrique ? Impensable. Les Chinois, eux, livrent à temps.
Toute attente est devenue une souffrance telle qu’il faut la meubler. Qui imagine encore profiter d’un temps suspendu pour se mettre à rêvasser ou partir dans ses pensées ? Heureusement que Dieu a créé le smartphone. Grâce à lui, plus d’ennui. Finis le vide, l’absence d’activité, le néant. Même en amour, on a peur de voir surgir un moment entre le désir et son accomplissement. Alors qu’il pouvait autrefois nourrir l’émotion et la relation.
Une forme d’attente survit pourtant toujours : celle du temps de l’Avent. L’approche de Noël conserve une telle puissance symbolique que certains s’y préparent des mois à l’avance. Le succès des calendriers de l’Avent en témoigne. Chaque jour de décembre, une fenêtre ou une petite boîte s’ouvre pour révéler un chocolat, un objet, une miniature ou un échantillon. Malgré l’ère de l’instantané, ce rituel progressif continue de séduire bien au-delà de l’enfance.
Le calendrier de l’Avent calme l’attente, il la rend supportable. Pas sûr qu’il réapprenne vraiment à patienter, car on est souvent avide de savoir quel trésor révélera la case du jour suivant. Mais il tempère l’attente et contribue à découvrir la tempérance. À condition que les calendriers ne tombent pas dans la démesure. Or, leur hyper-commercialisation conduit à des versions luxueuses, parfois tarifées au-delà du millier d’euros, très éloignées des premières images pieuses que les familles protestantes allemandes utilisaient au XIXᵉ siècle ou des calendriers imprimés par le Munichois Gerhard Lang au début du XXᵉ.
D’où l’intérêt d’une initiative plus simple et plus juste : le calendrier de l’Avent inversé, popularisé en 2015 par la Canadienne Julie Van Rosendaal. Son idée : collecter des dons plutôt que de recevoir des cadeaux pendant l’Avent. Placer chaque jour un objet utile dans une boîte destinée aux plus démunis (denrées, produits d’hygiène, vêtements chauds ou petits accessoires). Le geste reste encore marginal en Belgique, mais il offre une manière accessible, concrète et solidaire de redonner du sens à l’attente. Une façon d’enfin apprivoiser la patience.
Joyeux Noël !
Frédéric ANTOINE, Rédacteur en chef du magazine L’appel
