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NARGES MOHAMMADI : « JE CONTINUERAI À ME BATTRE »

Lauréate du prix Nobel de la Paix l’an dernier, l’Iranienne Narges Mohammadi purge actuellement une longue peine dans la prison d’Evin, à Téhéran. Cette militante et résistante non violente, dont le mari et les enfants vivent en exil à Paris, se bat principalement pour le droit des femmes dans son pays et contre l’enfermement cellulaire, une “torture blanche” dont elle dénonce l’inhumanité dans un livre.

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« Je suis une femme du Moyen-Orient, issue d’une région qui, bien qu’héritière d’une riche civilisation, est actuellement prise au piège de la guerre et la proie des flammes du terrorisme et de l’extrémisme. Je suis une femme iranienne qui est fière et honorée de contribuer à cette civilisation, elle qui est aujourd’hui victime de l’oppression d’un régime religieux tyrannique et misogyne. Je suis une femme emprisonnée qui, confrontée aux souffrances profondes et déchirantes dues au manque de liberté, d’égalité et de démocratie, a réalisé la nécessité de son existence et a trouvé la foi. »

Ces paroles, Narges Mohammadi les a prononcées lors de la réception de son prix Nobel de la Paix, le 10 décembre 2023 à Stockholm. Ou, plutôt non, ce n’est pas elle qui lisait ce texte, mais ses deux enfants, les jumeaux Kania et Ali nés en 2007 qui vivent en exil en France avec leur père. Car l’infatigable militante des droits humains, qui se bat depuis les années 1990 contre le régime des mollahs, est en prison. Et elle n’est pas prête d’en sortir puisque, selon ses calculs, toutes peines cu- mulées, elle en encore pour... trente ans. Sans compter les coups de fouet auxquels elle a aussi été condamnée.

RÊVES D’ENFANT BRISÉS

Narges Mohammadi est née 21 avril 1972 dans le nord-ouest de l’Iran. Elle suit des études d’ingénieure au cours desquelles elle écrit dans le journal étudiant des articles soutenant les droits de femmes, ce qui lui vaut d’être arrêtée à deux reprises. Elle est d’autant plus sensible à la question de la violation des droits humains dans son pays qu’à 9 ans, elle a vu pleurer sa mère suite à l’exécution de sa nièce étudiante ainsi que sa grand-mère dont le fils avait été torturé. Ce qui a « cruellement brisé mes rêves d’enfant », confie-t-elle. Elle devient alors journaliste et s’engage dans des associations humanitaires, tel le Defenders of Human Rights Center dirigé par la lauréate du prix Nobel de la Paix en 2003, l’avocate iranienne Shirin Eba- di. Une ONG dont elle sera ensuite vice-présidente. En 1999, elle épouse le journaliste Taghi Rahmani, également militant actif contre le pouvoir théocratique iranien. Après trois séjours derrière les barreaux, en 2012, il s’exile en France avec leurs deux enfants de 5 ans.

Depuis 1998, Narges Mohammadi n’a pas cessé de faire des allers-retours en prison, passant d’un établissement à un autre. Dans ses intermèdes de liberté, jamais elle n’a pu rejoindre son mari et ses enfants, le régime, après l’avoir encouragée à partir, lui refusant désormais un visa de sortie du territoire. C’est chez elle qu’elle entend se battre, principalement pour le droit des femmes et contre la “torture blanche”, l’incarcération en quartier d’isolement géré par le ministère du Renseignement de la République islamique. Elle y a été condamnée à quatre reprises, passant soixante-quatre jours dans cette
solitude atroce.

UNE DOUZIÈME ARRESTATION

En mars 2021, elle a lancé une campagne de soutien aux prisonniers politiques, dénonçant les impacts terribles de l’isolement cellulaire sur la santé mentale et physique des prisonniers. Elle a ainsi mené des entretiens avec treize détenues réunis dans un ouvrage intitulé Torture blanche, qui vient d’être traduit en français. Ce “forfait” lui a valu, le 16 novembre 2021, une douzième arrestation et une nouvelle mise à l’isolement, accusée « de salir le nom de mon pays dans le monde entier ». « Rien ne m’empêchera de poursuivre mon combat », proclame celle qui a été victime d’un infarctus et a
dû subir une opération du cœur. « Je continuerai à me battre jusqu’à ce que les droits humains et la justice règnent dans mon pays. » Résistante de l’intérieur, la quinquagénaire a aus- si contribué à unifier les groupes progressistes, formant des coalitions englobant tout le spectre des orientations politiques.

Dans le texte lu par ses enfants lors de la réception de son prix Nobel en décembre 2023, Narges Mohammadi se livre à une virulente condamnation du régime iranien. « Je tiens à souligner, tonne-t-elle, que la République islamique bafoue de nombreux droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et les conventions couvrant toutes les dimensions de la vie du peuple, que ce soit sur le plan poli- tique, économique, social, culturel et environnemental. » « La République islamique est un régime religieux tyrannique et anti-femme », insiste-t-elle. Avant de constater : « Au fond, la République islamique est essentiellement étrangère à son "peuple".  »

APARTHEID DE GENRE

Le même mois, cette femme éminemment courageuse a écrit une lettre ouverte au Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour dire que « l’heure est venue de criminaliser l’apartheid de genre ». En dix-huit points, elle pourfend « la législation misogyne  » et « l’asservissement des femmes dans la société iranienne ». Elle dénonce notamment le fait que le témoignage d’un homme vaut celui de deux femmes ou qu’un homme peut avoir quatre épouses – et même plus en cas de “mariage religieux temporaire” -, alors qu’une femme adultère encourt la peine de mort. Elle relève aussi que, non seulement, le viol conjugal n’est pas un délit, mais qu’une femme qui refuse de se soumettre au désir de son mari peut être jugée pour “non obtempération”.

« À sa façon, écrit l’universitaire américaine d’origine iranienne Nayereh Tohidi dans Torture blanche, Narges Mohammadi appartient à une contre-culture de plus en plus présente en Iran, une contre-culture qui s’oppose à la culture violente et ascétique prêchée par les extrémistes islamistes fanatiques, une contre-culture qui affirme les valeurs de la vie et revendique la recherche du bonheur, de la liberté et de l’égalité.  »
« Elle est celles et ceux, estime-t-elle, qui croient que nous devrions, en toute honnêteté et ouvertement, promouvoir la beauté, le bonheur, la non-violence et la joie. »

Son prix, la lauréate l’a associé au mouvement “Femme, Vie, Liberté” né en Iran à la suite de l’assassinant, le 17 septembre 2022, d’une jeune femme kurde, Mahsa Jîna Amini, par la police des mœurs pour avoir mal ajusté son voile. Il est « un catalyseur du processus démocratique », écrit-elle, convaincue de la puissance des femmes pour renverser le régime. « Les femmes constituent la force la plus radicale, la plus puissante et la plus largement engagée contre la théocratie autoritaire », déclarait-elle au quotidien Le Monde en février 2024. Et dans son discours de réception : « La répression accrue des femmes par le biais du hijab obligatoire - une honte gouvernementale - ne nous contraindra pas à la "conformité", car nous pensons que le hijab obligatoire imposé par le gouvernement n’est ni une obligation religieuse ni un modèle culturel, mais plutôt un moyen de contrôle et de soumission de toute la société. L’abolition du hijab obligatoire équivaut à supprimer toutes les racines de la tyrannie religieuse et à briser les chaînes de l’oppression autoritaire. » ■

Michel PAQUOT

Narges MOHAMMADI, Torture Blanche, Paris, Albin Michel, 2024. Prix : 21€. Via L’appel : - 5% = 19,95€.

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