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VRAIMENT TROP BÊTES, LES ANIMAUX ?

Déniant aux « bêtes » la faculté de penser, donc la possession d’une âme, Descartes les comparaient à des machines mues par des procédés purement mécaniques. Quatre siècles plus tard, le bien- être animal est devenu un droit et, entre l’humain et son animal de compagnie, se tissent des liens très forts, et assumés.

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« Plus je fréquente les hommes, plus je préfère les animaux. » Ce slogan imprimé sur des tee-shirts portés principalement par des femmes au début des années nonante marque encore un tant soit peu les mémoires. À la même époque, l’ASBL
Gaïa, souvent de façon assez agressive et violente, tentait de sensibiliser l’opinion publique au bien-être animal. Beaucoup d’esprits “chagrins” acceptaient difficilement ces mobilisations en vue de la reconnaissance de la mal- traitance animale. Qui aurait pu alors imaginer que, deux décennies plus tard, pratiquement chaque commune pos- sède en son collège un échevin du Bien-être animal et, tout gouvernement, un ministre compétent dans le même domaine. En Wallonie, celui-ci est associé à l’Environne- ment, la Nature, la Forêt et la Ruralité. Au point que Gaïa, aujourd’hui, a obtenu d’inscrire à l’agenda parlementaire l’inclusion de ce droit dans la Constitution. Chaque région a ainsi reconnu que les animaux jouissent d’une sensibilité et d’une dignité qui leur sont propres.

Cependant, dans ce nouveau courant, personne n’oserait comparer son chien à un enfant. Vraiment ? C’est compter sans Hélène Gateau, docteure en sciences vétérinaire, qui, sans op- poser l’amour des chiens à l’amour des hommes, veut vivre l’un et l’autre... mais sans enfant. Elle avoue pouvoir considérer son chien, son Colonel, comme un enfant, le nommant « mon fils poilu », « mon alter ego canin ». « Cessons de dire : ce n’est qu’un chien. Effectivement, notre relation s’enrichit du quotidien et d’autres aventures plus ponctuelles : les vacances à la montagne, les week-ends au bord de la mer, les retrouvailles en famille avec les cousins et cousines... J’ai franchi des épreuves et des étapes avec Colonel à mes côtés, ma valeur sûre : la crise du covid et ses confinements, la fin d’une histoire d’amour, l’aménagement dans un nouvel appartement... Colonel a grandi. Il s’est étoffé physiquement. »

REDÉCOUVRIR SES SENS

Cédric Sapin-Dufour ne dit pas autre chose en racontant son histoire d’amour avec son bouvier bernois, dénommé Ubac. de tendre vers une société d’émancipation partagée. Regarder « À vivre auprès de lui, observe-t-il dans Son odeur après la pluie, un livre qui a connu un grand succès, s’installe une lente certitude que nos âmes s’alignent juqu’à se ressembler et l’idée qu’elles se rejoignent n’est pas si répugnante. Ce pas vers l’autre, n’est-ce pas une relation ? » Il ajoute : « Vivre avec un animal, c’est se rappeler que nous sommes dotés de plusieurs sens. C’est redécouvrir l’écoute, l’odorat, le
toucher.
 » Cela permet à Hélène Gateau d’affirmer que « l’amour que j’ai pour Colonel est digne d’un amour maternel et je sais que, en toute logique, je lui survivrai. Lorsque la vie est bien faite, une maman n’a jamais à subir la disparition d’un enfant. Et fort heureusement. Moi, je vais y être confrontée. Le plus tard possible, mais un jour Colonel me quittera définiti- vement. J’ose espérer le garder avec moi jusqu’à ses quinze ans. Quelle parallèle étrange avec un enfant humain ! La durée de vie d’un chien correspond à peu près au temps néces- saire à un enfant pour devenir un adulte autonome. Est-ce qu’une telle relation de dépendance, un tel attachement entre un parent et son enfant, entre un humain et un chien, ne doit finalement pas dépasser quinze, vingt ans ? Peut-être ».

François Schuiten, de son côté, a vécu avec douleur le décès de son chien Jim. « Nous avons vécu treize ans ensemble jours et nuits, relate-t-il dans un petit livre illustré. Face à cette disparition, dans les heures qui suivirent, je n’ai eu qu’un seul désir, le dessiner... comme pour le garder encore un peu. Le dessiner pour souder les espaces si intimes qu’il a écoutés. Pour atteindre ce que l’on ne peut exprimer par des mots. Dessiner Jim pour faire le deuil et accepter de le laisser partir. Le dessiner pour comprendre tout ce qui s’était joué entre nous. Cette relation invisible, si mystérieuse et en même temps si réjouissante. »

DÉJÀ DANS LA BIBLE

L’ouverture à une résonance émancipée des frontières et des hiérarchies entre nimalité et humanité n’est pas spécifique à la période contemporaine. Elle a déjà été énoncée dans la Bible (Ecclésiaste. Ch.VI,22) : « La destinée des enfants d’Adam et celle des animaux sont une seule et même chose. La mort des uns, c’est la mort des autres. La supériorité de l’homme et de l’animal n’existe pas. » Se réapproprier l’afffirmation " comme si nous étions des animaux",c’est dire la nécessité de se reconnaître comme des animaux égaux dans la considération de ses intérêts, quelle que soit l’espèce, afin de tendre vers une société d’émancipation partagée. Regarder en face à la fois la manière dont l’humain traite les êtres non humains et son animalité, c’est déverrouiller le tabou de l’anthropocentrisme.

En effet, les êtres humains se considèrent comme des créatures à part. Leur espèce, pense-t-on, est la seule à avoir conscience d’elle-même, à être capable de communiquer avec précision par le biais du langage, à ressentir la joie et le chagrin. Pourtant, depuis quelques années, les mentalités ont évolué. Peter Wohlleben en a fait, de façon exemplaire, l’éclatante démonstration. Ce forestier allemand s’est révélé au grand public en publiant deux ouvrages sur la vie secrète des arbres. Il a observé que leur système radiculaire, semblable à un réseau internet végétal, leur permet de partager des nutriments avec les arbres malades, mais aussi de communiquer entre eux. Et leurs racines peuvent perdurer pendant plus de dix mille ans.

ANIMAUX JUSTICIABLES

« Lorsque leurs voisins vont mal, a-t-il remarqué, les hêtres leur fournissent une solution sucrée pour les aider. Sur ce point, la science n’est qu’à ses débuts. Quoiqu’il en soit, les arbres remarquent la détresse de leurs camarades et se mobilisent pour les aider. Et si les hêtres et les chênes en sont capables, les animaux qui vivent en société le sont nécessairement aussi. La relation entre la mère et l’enfant, par exemple, ne fonctionne que si la mère est en mesure de comprendre les besoins de sa progéniture. Des chercheurs anglais ont établi que le rythme cardiaque des mères poules
s’accélérait lorsqu’elles sentaient leurs poussins en état de stress. On peut donc supposer qu’il en va de même chez la plupart des oiseaux et des mammifères. Bon gré, mal gré, nous sommes obligés de reconnaître aux animaux qui partagent cette pla- nète avec nous la capacité à éprouver des émotions.
 » Si les animaux ne sont pas des personnes, des sujets de droit, cela n’empêche pas qu’à certaines époques, ils ont été jugés comme des humains. En 1494, par exemple, un pourceau a été pendu pour avoir mordu à mort un jeune enfant.

Depuis quelque temps, le droit animalier commence à faire son apparition dans certaines universités, notamment à la faculté de Droit de Limoges. Olivia Symniacos, avocate au sein d’un cabinet spécialisé dans le droit des affaires, en a suivi la première formation, au point d’y ouvrir un département en droit animalier et de devenir « une avocate passionnément animaliste  ». Son diplôme universitaire de droit animalier lui a principalement appris que le statut des bêtes détermine la manière dont ils sont traités et protégés. Si l’absence totale d’empathie pour un animal vient d’un autre temps, il n’est plus admissible au XXIe siècle. Elle découvre, au fil de sa carrière, que, «  comme tous les grands chambardements de société - les féministes, les militants des droits de l’homme, les végans, les représentants de toutes les minorités -, la révolution animaliste passera par un changement en profondeur de notre manière de percevoir nos rapports avec le monde ani mal et, plus globalement, avec le monde des êtres vivants. » ■ Michel LEGROS

Hélène GATEAU, Pourquoi j’ai choisi d’avoir un chien (et pas un enfant), Paris, Albin Michel, 2023. Prix : 18 €. Via L’appel : -5% = 17,10 €.
Cédric SAPIN-DUFOUR, Son odeur après la pluie, Paris, Stock, 2023. Prix : 21 €. Via L’appel  : - 5% = 19,95 €.
François SCHUITEN, Jim, Paris, Rue de Sèvres, 2024. Prix : 16 €. Via L’appel : -5% = 15,20 €.
Peter WOHLLEBEN, Les émotions des animaux, ce qu’elles révèlent d’eux, de nous, Paris, Les Arènes. 2023. Prix : 29,90 €. Via L’appel : - 5% = 28,41 €.
Olivia SYMNIACOS, avec Valérie PÉRONNET, Au nom de tous les animaux, Paris Les Arènes, 2024. Prix : 19 €. Via L’appel : - 5% = 18,05 €.

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