Charline Bellot : un vélo, une remorque…

Charline Bellot : un vélo, une remorque…

À 25 ans, Charline Bellot sillonne plusieurs fois par semaine le centre de Liège, son vélo-remorque chargé de restes alimentaires qu’elle distribue aux sans-abris. Son initiative, Repas-sur-Roues, lui a valu le Prix Amnesty Jeunes 2025. Derrière cette reconnaissance, il y a parfois une vie fragile et des moments de découragement. Mais aussi la conviction que chaque geste est une forme de résistance à l’indifférence.

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Publié le

2 novembre 2025

· Mis à jour le

2 novembre 2025
Une jeune fille devant un drapeau d'Amnesty International
ENGAGEMENT. Un prix pour un projet original en faveur des démunis de la rue.

« Donner un repas, cela ne sort pas quelqu’un de la rue. Mais ça réchauffe, ça réhumanise. » Charline Bellot parle de son initiative avec modestie. À Liège, on la croise parfois avec son vélo et sa remorque chargée de plats encore chauds, ou de sandwichs invendus. Elle s’arrête, descend et tend un repas. Des gestes simples, mais pour elle porteurs de sens.

CHOISIE PAR LES JEUNES 

Le Prix Amnesty Jeunes, qu’elle a reçu en mars 2025, n’est pas une récompense comme les autres. C’est une distinction honorifique décernée chaque année à un·e jeune de moins de 35 ans vivant en Belgique, pour son action en faveur des droits humains. La procédure est particulière : les groupes-écoles Amnesty proposent des candidatures, un comité de sélection retient sept finalistes, puis ce sont des élèves d’écoles secondaires qui votent, individuellement et collectivement, pour désigner le ou la lauréat·e. Cette année, parmi les finalistes figuraient notamment le rappeur Youssef Swatt’s et d’autres jeunes engagés, comme Estelle Depris, éducatrice antiraciste, ou Sana Afouaiz (L’appel juin 2025). Finalement, le prix est attribué ex æquo à Charline Bellot et Sana Afouaiz. Sans dotation financière, mais très symbolique, la distinction apporte à Charline une reconnaissance inattendue. Elle pensait n’avoir aucune chance face à des profils médiatisés, mais les élèves ont reconnu en elle quelque chose de concret. Pour Amnesty, le prix est aussi un outil pédagogique : il permet aux élèves d’échanger sur ce que veut dire s’engager à leur âge. 

EXPÉRIENCES SOLIDAIRES

Charline naît en 2000 dans un village de la région de Charleroi. Très tôt, elle s’oriente vers l’engagement. À quinze ans, elle rejoint comme bénévole les Chemins d’Ariane, une institution de Ciney qui accueille des personnes polyhandicapées. « C’était juste une semaine de camp l’été et quelques week-ends par an, mais cela m’a marquée. » En rhéto, elle fait un stage dans un centre d’urgence de jour pour sans-abris à Charleroi. Cela lui sera bien utile plus tard. 

Quand elle s’installe à Liège pour ses études en 2020, elle explore successivement plusieurs voies : psychologie, graphisme et… mécanique vélo. Aucune ne lui plait vraiment, mais, en parallèle, elle accumule les expériences solidaires : service citoyen chez Pro Velo, aide dans l’épicerie solidaire Le Quotidien, stages en centre d’accueil… « Mon CV est rempli d’expériences non rémunérées. Cela ne compte pas beaucoup pour trouver un travail, mais ça m’a construite. »

UN DÉCLIC BRUXELLOIS

En 2022, en travaillant sur le projet de fin d’une formation organisée par Interra et Growfunding, elle trouve sa voie. Elle pensait d’abord concevoir un plan lié au vélo, secteur dans lequel elle avait déjà investi. L’illumination lui vient en écoutant une émission de radio où l’artiste bruxellois Jean-Luc Moerman présente son initiative BicycleEat, qui organise des maraudes à vélo cargo auprès des sans-abris. « J’ai eu un déclic. Je me suis dit que je pouvais faire la même chose à Liège. » 

Son travail de fin de formation devient alors Repas sur Roues. Comme elle s’y était engagée dans le cadre de son projet, elle se lance ensuite dans un crowdfunding, avec l’objectif de récolter six mille euros. « J’avais peur de ne pas atteindre la somme », reconnaît-elle. Dans ce cadre, elle reçoit une aide de Fondation Roi Baudouin et de cinquante-huit contributeurs, qui lui permettront de relever le défi qu’elle s’était fixé. Certains sont des amis, d’autres des connaissances, mais aussi des inconnus, ce qui l’a le plus étonnée. Et encouragée. Avec cette somme, elle s’équipe d’une remorque, de matériel de pluie et de sacoches robustes. Encore aujourd’hui, elle n’a pas utilisé tout l’argent reçu.

POUSSER LES PORTES

La première maraude de Charline a lieu en décembre 2023, grâce à l’aide d’un restaurant, Yaka Afrotoria, qui voulait faire un geste en offrant aux démunis des repas et des desserts pour Noël. « Cela a marché tout de suite. Il fallait simplement que la personne souhaite le repas, parce que tous ceux qui sont dans la rue n’ont pas la possibilité de manger un en dur : certains n’ont plus de dents… Dans ces cas-là, il faut des aliments comme des potages. » Puis elle convainc de l’aider le restaurant végan, bio et local, Ventre Content, et l’épicerie solidaire étudiante Le Kotidien. Mais ces collaborations ne durent pas. Ventre Content choisit de réduire ses déchets au maximum, l’épicerie étudiante ferme l’été… « À un moment, j’ai arrêté de frapper aux portes. Trop de silences, pas de réponses… c’était décourageant. » Mais, à chaque fois, le projet finira par renaître de ses cendres… Car, pour elle, il est aussi une manière de faire de la politique au quotidien. « Résister, ce ne pas rester spectatrice. Même un petit geste, comme distribuer un repas, est une manière de dire non à l’indifférence. »

FORCE ET ENDURANCE

Charline parvient aussi à maintenir son projet malgré les obstacles grâce à sa force personnelle. Depuis deux ans, elle pratique la musculation. Elle a aussi participé au Mullerthal Trail au Luxembourg : cent douze kilomètres parcourus en trois jours. Une endurance qu’elle transpose dans ses maraudes : pousser un vélo-remorque lourdement chargé, pédaler sous la pluie, continuer malgré la fatigue. Au quotidien, Charline vit modestement, en accomplissant des missions d’intérim ou des petits boulots. Elle a même un temps été barmaid. Ses parents lui apportent un soutien ponctuel qui finance son petit logement. 

Depuis peu, l’épicerie étudiante avec laquelle elle travaille ayant repris ses activités, Charline a recommencé ses maraudes. Une sandwicherie l’a aussi contactée pour écouler ses produits invendus. L’espoir renaît de voir le projet se pérenniser. Comme ces escapades en ville ne lui prennent pas tout son temps, loin de là, la jeune femme a aussi développé d’autres engagements. Elle participe très activement au Forum des Jeunes de Liège, dans le groupe de travail “bien-être et emploi” et est membre d’Ecolo J, la branche “jeunes” du parti Ecolo.

IMPACT DIRECT

Au cours de ses maraudes, Charline a été frappée de ne pas souvent rencontrer les mêmes SDF, alors qu’on a souvent l’impression contraire. Elle croise surtout des hommes seuls, parfois des femmes, mais elles sont plus difficiles à rencontrer, car souvent elles se cachent. Elle a aussi parfois rencontré des jeunes de son âge. Souvent, le contact est rapide. « C’est un impact direct, un contact humain dans la journée pour les personnes, cela les humanise, ou les réhumanise parce que la société déshumanise beaucoup. On les chasse de la rue, on ne veut pas les voir parce qu’ils font tache. Donc c’est un geste simple, mais qui répond à un besoin primaire auquel ils ne peuvent pas pourvoir trois fois par jour. » Beaucoup s’expriment seulement par le regard. « Certains parlent, d’autres restent plus réservés. En général ils racontent peu leur histoire, et parlent surtout de la situation qu’ils vivent. » Il existe à Liège plusieurs maraudes, mais, généralement, de manière très structurée et organisée par des associations. Action citoyenne, le type d’intervention de Charline est unique en son genre.

JUSTICE SOCIALE

Charline sait que donner des repas n’est qu’une goutte d’eau dans l’aide à apporter. « Je n’en voudrais pas aux personnes qui n’agissent pas si elles n’en ont pas la possibilité. Moi, j’ai l’énergie. Physiquement, tout va bien et j’ai le privilège d’être blanche. Donc, la police ne va pas m’arrêter pour rien. Je ne trouve pas que ce soit grand-chose de faire ce que je fais. Ce n’est pas un geste de ouf. Donner un repas x fois sur l’année ne va pas aider les personnes à sortir de leur situation. Mais c’est un geste parmi d’autres, dont l’impact est direct. »

Derrière ces démarches, il y a les valeurs qui motivent cette cycliste originale : la solidarité, l’empathie, et toutes les valeurs sociales. « Ce qui me fait bouger est que je suis assoiffée de justice sociale. Et, dans le contexte politique actuel, il y a beaucoup d’injustices pour de nombreuses communautés. Cela ne me va pas. Un bon nombre de personnes vont pâtir des décisions du gouvernement Arizona. On a par exemple un peu définancé le plan Grand-froid, alors qu’il faudrait plutôt aider les personnes précaires et sans logement… »

Si des centaines d’élèves ont voté pour Charline, c’est sans doute parce qu’elle incarne un engagement à taille humaine. Pas une ONG, pas de grands discours : seulement un vélo cargo, et une obstination tranquille. 

Propos recueillis par Frédéric ANTOINE.

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