Déposons nos cruches

Déposons nos cruches

Dans l’évangile de Jean, Jésus rencontre une femme samaritaine au bord d’un puits. À la suite de leur échange, cette femme abandonne sa cruche et part en ville dire aux gens : « Venez donc voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Messie ? »

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Publié le

31 décembre 2023

· Mis à jour le

4 février 2025
Photo de la chroniqueuse Laurence Flanchon souriant à la caméra

Un récit qui m’encourage à préciser ce que je ne veux/“vœux” plus pour 2024 (et les années qui suivent) : du moralisme, des jugements à la va-vite, de la condescendance et de l’immobilisme…

Déposons nos cruches. Celles remplies de l’eau stagnante des interprétations jugeant la vie de cette femme. À trop vouloir souligner la capacité – réelle – de Jésus à accueillir sans discrimination, il ne faudrait pas en venir à surinvestir le récit d’une charge morale contre la vie de cette femme qui n’est pas présente. L’échange à propos des cinq maris qu’elle a eu est bref, il est pourtant trop souvent devenu central dans les commentaires de ce texte. La Samaritaine n‘est pas plus une trainée qu’une femme fatale (dans tous les sens du terme !), tentant de séduire Jésus avec des allusions déplacées autour d’un puits – pour reprendre quelques-uns des stéréotypes qui lui ont été attribués. 

SUBORDINATION ET DÉPENDANCE

C’est oublier un peu vite que les femmes étaient en situation de subordination et de dépendance par rapport aux hommes. L’un ou plusieurs de ses maris sont-ils morts ? Elle a donc dû traverser le chagrin, la précarité et suivre la loi du Lévirat qui voulait qu’un frère du mari épouse la veuve. Femme interchangeable et sans nom qui ne semble pas avoir eu d’enfant. Un malheur – et même une malédiction – qui était cause de répudiation. Le dernier compagnon pourrait ne pas l’avoir épousé pour cette raison. Plutôt qu’une vie de “légèreté”, c’est une vie d’épreuves et de précarité. Le seul commentaire que fait Jésus à ce sujet concerne le fait qu’elle répond honnêtement à sa question à propos de sa situation personnelle.

Déposons nos cruches. Celles remplies de l’eau stagnante de la condescendance : « Cette femme met du temps à comprendre. » Vraiment ? Certes, il y a une série de quiproquos – une manière “classique” de faire de la pédagogie pour Jésus. Le dialogue entre Jésus et la Samaritaine avance progressivement, de malentendus en décloisonnement, ils parviennent à se parler en vérité. La femme qui ne voyait en l’eau que de l’eau, accède peu à peu à une autre compréhension : une eau-parole donnée par Jésus, qui deviendra source en elle d’une autre qualité de vie.

ESPACE DE RESSOURCEMENT

Les disciples sont-ils plus rapides ? Pas vraiment : parallèlement au dialogue que Jésus mène à propos de l’eau avec la Samaritaine qu’il vient de rencontrer, il en mène un autre avec ses compagnons de route à propos de la nourriture. Alors qu’il leur parle d’une nourriture qu’ils ne connaissent pas – faire la volonté de Dieu -, les disciples se demandent si quelqu’un d’autre lui a apporté à manger ! Tous les enfants de Dieu, indépendamment de leur lieu d’origine, situation sociale ou genre mettent du temps à arriver au puits de la rencontre. Nous mettons du temps à comprendre que Jésus vient, pour chacune et pour chacun ; pour nous rencontrer, nous relever, nous libérer. Pour nous offrir un espace de ressourcement à construire, par sa Parole et son Souffle, quel que soit le lieu où nous nous trouvons. Espace physique et symbolique où nous pouvons nous dire en vérité et en sûreté, où nous pouvons être accueillis pour être capables d’accueil.

Déposons nos cruches. Celles remplies de l’eau stagnante des traditions qui ne se laissent pas irriguer par un courant neuf, celles des vieilles querelles qui nous retiennent en arrière. Jésus se soucie-t-il de “l’impureté” supposée des Samaritains ? Il aurait pu choisir de ne pas traverser ce territoire, et il n’aurait pas demandé à boire à la femme ni envoyé ses disciples faire des courses s’il avait voulu n’avoir aucun contact avec la population. Déposons nos cruches. Aussi souvent que possible. La route se fera plus légère. Et nous pourrons, à l’image de cette femme, courir vers autrui pour témoigner d’une rencontre qui transforme et qui a la saveur d’une eau vive.

Laurence FLACHON

Pasteure de l’Église protestante de Bruxelles-Musée (Chapelle royale)

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