« En attendant la fin » : au-delà du rire
« En attendant la fin » : au-delà du rire
Dominique Bréda retrouve ses acteurs fétiches pour une nouvelle comédie théâtrale déjantée : En attendant la fin. En suivant Alice de l’autre côté du miroir, le seul risque est de mourir de rire.
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Alice, récemment décédée, se retrouve dans un monde étrange, un peu inquiétant, une sorte d’entre-deux où les vivants et les morts se croisent. La voilà passée de l’autre côté du voile, pour une odyssée inouïe, pour une ultime traversée, dont personne n’est jamais revenu, mais que Dominique Bréda imagine bordée de personnages loufoques et de rencontres improbables. Elle croise la mort, en chair et en os, une personne foutraque, survoltée, les bras chargés de dossiers qu’elle tente de faire signer aux gens. Elle ne sait pas très bien ce que contiennent ces fardes et elle s’étonne que personne ne l’aime. Elle a beau annoncer sa présence en grande pompe et essayer de détendre l’atmosphère ou de faire de l’humour, rien ne fonctionne. Jamais elle ne parvient pas à réchauffer l’ambiance. Le rôle est taillé sur mesure pour Julie Duroisin qui déploie toute l’étendue de sa palette comique. C’est elle aussi qui préside au jugement dernier, en passant en revue les bonnes et mauvaises actions d’Alice, à la manière d’un huissier obsessionnel.
RÉUSSIR SA MORT ?
La nouvelle arrivée va devoir, en effet, endosser la responsabilité de tout ce qu’elle a fait depuis sa naissance. Catherine Decrolier rend ce personnage attachant. Avec elle, on passe par toutes les émotions que l’on traverse lors d’un deuil : le déni, la tristesse, le questionnement. Ira-t-elle jusqu’à l’acceptation ? Va-t-elle réussir sa mort ? Parviendra-t-elle à quitter ce “purgatoire” peu rassurant ? Quand elle était encore en vie, elle travaillait dans un magasin d’électroménagers avec une collègue particulièrement désagréable… qu’elle retrouve collée à ses basques dans cet espace où le temps semble aboli. Mais que fait-elle là ? Au fur et à mesure de ses apparitions, le sentiment d’étrangeté s’accroît et le mystère s’épaissit.
Dominique Bréda a écrit cette pièce sur mesure pour cette joyeuse bande de copains rassemblés pour la cinquième fois, après Purgatoire, Le Groupe, Enfer, et Délivre-nous du mal. Ils se connaissent bien, se font rire mutuellement et leur bonne humeur est on ne peut plus communicative. Ils sont dirigés par Emmanuelle Mathieu qui, avec son sens du rythme, signe une mise en scène efficace, réglée comme une partition musicale, où se rencontrent sa douce folie et celles des comédiens. Avec eux, elle a particulièrement travaillé l’univers sonore et le bruitage.
LA BANDE À BRÉDA
On retrouve avec bonheur Jean-François Breuer, que l’on peut applaudir par ailleurs dans Les garçons et Guillaume à table ! Sa seule apparition sur scène étire les sourires sur les lèvres des spectateurs. Amélie Saye et Thomas Demarez complètent magistralement la distribution. Tous ces joyeux drilles se sont liés d’amitié au Conservatoire de Bruxelles, avant de se retrouver au café-théâtre de la Toison d’Or dont Julie Duroisin avait pris la direction. C’est à cette époque que Dominique Bréda les découvre. Jusque-là, il s’était intéressé à la musique, au cinéma et à la photographie, et avec eux, il se frotte à l’écriture théâtrale et y prend goût. Tout au long de son travail, il organise des lectures communes et peaufine son texte. C’est, pour lui, une phase jubilatoire.
Dès lors, lorsque le producteur Denis Janssens lui a demandé de les réunir à nouveau autour d’une nouvelle pièce, il n’a pas beaucoup hésité. Leur cohésion et le plaisir de jouer ensemble se sentent, se voient et se mesurent aux éclats de rire qu’ils déclenchent. Sans jamais tomber dans la routine ni la facilité, ils connaissent leurs points forts respectifs et en jouent habilement. De leur union naît la force comique.
À eux cinq, ils se partagent tous les rôles, car ils sont nombreux à attendre Alice, derrière les portes de la mort. Comme l’héroïne de Lewis Caroll, elle est sans cesse bousculée par des rencontres étranges, telle celle avec un professeur amnésique qui ne se souvient jamais d’elle et qui tente de lui expliquer l’univers par des théories particulièrement alambiquées. Et qui est cet être de lumière qui sert d’homme à tout faire au service de la mort ? Les personnages, souvent absurdes, ont des failles qui les rendent attachants.
UN HOMMAGE À LA VIE
L’auteur a toujours eu ce don de traiter de sujets difficiles, de questions philosophiques très profondes, avec un humour léger, sans avoir l’impression d’y toucher. Il y a, chez lui, une forme de sagesse qui sous-tend son travail d’écriture. À la façon d’un Pierre Desproges, qu’il admire, il fait dérailler la raison d’un coup de plume et trouve les mots qui atteignent leur cible, entre le rire et les larmes. Il reprend certains codes et des images culturellement liées à la mort ou à Dieu pour mieux les détourner et créer un décalage qui n’est pas sans rappeler les Monty Python. S’il faut rire de l’au-delà, c’est parce que, au-delà du rire, se posent toutes les questions qui ont taraudé l’humanité depuis ses origines. Puisque la science, la philosophie et la religion n’ont pu donner de réponses définitives à ces questions, pourquoi l’art ne relèverait-il pas le défi ? Puisque rien ne peut apaiser les angoisses existentielles, pourquoi ne pas en rire ? En attendant la fin n’apporte pas de réponse à ces multiples interrogations, mais les soulève toutes : « Retrouverons-nous un jour nos chers disparus ? Pourrons-nous rencontrer Dieu ? Pourrons-nous brancher notre pc sur la télévision via Bluetooth ? »
Dans une interview accordée à La Libre en 2010, Dominique Bréda disait déjà : « Dans la comédie, on peut écrire tout ce qu’on veut, d’ailleurs, les histoires sont souvent terribles. Pourtant, grâce à l’humour, c’est moins agressif pour les spectateurs et on peut aller très loin sans violence. Le fait d’alléger les choses pour aller vers la gravité fait partie de moi, je ne parviendrais pas à écrire autrement. » Il le confirme avec cette nouvelle pièce qui, si elle aborde le sujet de la mort, n’a rien de morbide. En creusant ces thèmes, il ne fait rien d’autre que de rendre hommage à la vie.
Jean BAUWIN
En attendant la fin, de Dominique Bréda, en tournée en décembre et janvier à Nivelles, Obourg, Huy, Sambreville, Gembloux, Namur, Ciney, Verviers, Beloeil, Éghezée, Braine-le-Comte, Andenne, Welkenraedt et Dinant. Toutes les dates sur wwww.livediffusion.be/
$LG photo :
Catherine Decrolier. Elle incarne une Alice au pays des mortels.