Face au deuil, accueillir
Face au deuil, accueillir
Alors que le monde catholique pleure la mort du pape François, et que le judaïsme se prépare à commémorer les massacres de la Shoah, je me plonge dans l’approche juive du deuil.
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Le deuil est le processus que nous traversons pour revenir à la vie après une perte douloureuse. Il s’applique à la perte des personnes que nous aimons, et également aux grands chocs de vie que nous expérimentons. Nous
perdons un travail, une relation amoureuse, notre bonne santé, et nous devons y faire face. Nous faisons face à des catastrophes politiques et climatiques, nous avons besoin d’amortir les chocs. Ces événements produisent des phénomènes physiologiques dans notre corps, phénomènes qui s’imposent à nous. Comment faire ? Chaque culture a des propositions, chaque personne a ses propres réactions.
PRONONCER UNE FORMULE
Le premier élément que propose le judaïsme est la parole. Lorsqu’une mauvaise nouvelle nous atteint, la première action juive est de prononcer une formule qui prend acte du réel. La Michna BéraHot (IIe siècle, Israël) énonce : « Sur les mauvaises nouvelles, on dit : “Tu es une infinité, toi qui es seul juge de la vérité”. » Cela ne signifie pas que “Dieu.e” aurait siégé et décidé de la mort spécifique d’une personne à un moment précis. C’est juste que la mort fait partie de la vie, ce n’est pas une surprise, la vie et la mort sont les deux faces d’une même pièce, ceci est une vérité. Cette vérité fait partie de la vie même, elle appartient à “Dieu.e”. De ce point de vue, on ne peut pas apprécier la vie sans accepter la mort, d’une façon ou d’une autre.
C’est exactement ce que dit cette phrase de la Michna : nous acceptons la mort d’une certaine façon, elle émane du réel, mais en même temps, nous ne nous y associons pas. Laissez-moi détailler. Nous parlons de la mort, nous prononçons la formule de la michna, nous lui donnons une place, en cela, nous l’acceptons. Mais, par ailleurs, nous ne voulons pas être mélé·es à cette histoire, ce qui nous concerne directement, c’est la vie ; la mort, nous la laissons au “juge de la vérité”, à l’infini,à la transcendance, à ce qui nous dépasse. Cette formule est parfaite, selon moi. Elle nous empêche d’être dans le déni, tout en prenant acte de notre impuissance. Et, mieux encore, elle nous redonne un certain pouvoir, puisque nous ne restons pas bouche bée face au malheur, nous devons parler, recadrer, donner du sens.
DÉCHIRER SON VÊTEMENT
Le deuxième élément, associé au premier, consiste à déchirer son vêtement. Cette pratique courante du Moyen-Orient, est reste ancrée dans la pratique juive. Pourquoi agir ainsi ? Lorsqu’on se sent déchiré, cette déchirure existe dans nos vies. Nos cœurs blessés risquent de produire de la blessure autour de nous si nous nous réfugions dans le déni. Ici également, nous devons prendre en main activement notre douleur, décider de l’objet qui en fera les frais : pas nous-mêmes, pas autrui, mais notre surface, notre carapace, notre vêtement. Jacob, dans la bible, est le premier à déchirer ses habits, lorsqu’il apprend que son fils Josèphe est mort (Béréchit 37 :29). Les catastrophes qui touchent les peuples peuvent faire l’objet de cette même pratique. Le Talmud (Moèd Katan 26a) rapporte la catastrophe que fut la destruction du Temple et de Jérusalem par les Romains en 70 et institue : « Une personne qui voit les villes de Juda détruites dit : “Les villes de ta gloire sont devenues désert” et déchire son vêtement. Une personne qui voit Jérusalem en ruine […] le Temple en ruine […] déchire. »
Nous devons prendre soin des déchirures de nos vies. Mon engagement à ce sujet s’exprime dans les pratiques juives aussi bien que de façon universelle. J’enseigne également l’Écoute mutuelle, une écoute empathique qui aide à accueillir et à mettre de l’humain là où la solitude de la douleur nous met à terre. Et vous, quels sont les éléments qui vous soutiennent dans vos deuils ? Quelles traditions, ami·es, thérapeutes, pratiques diverses, savent vous faire du bien ? Nous pouvons ensemble chercher, trouver, partager ces pratiques, pour que la vie enveloppe la mort, et que la connaissance de notre finitude donne de la force à nos vies.