Gabriel Ringlet : « Une société qui ne célèbre pas est une société en difficulté »

Gabriel Ringlet : « Une société qui ne célèbre pas est une société en difficulté »

Dans son tout nouveau livre, Des rites pour la Vie, Gabriel Ringlet raconte quelques-unes des célébrations qui ont marqué son existence. Chacune est le fruit d’une rencontre qu’il considère comme un cadeau. À travers ces récits bouleversants, c’est aussi un art de célébrer qu’il dessine en creux, un art qui soigne et relève.

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Publié le

1 septembre 2025

· Mis à jour le

2 septembre 2025
Gabriel Ringlet les bras croisés, debout devant des arbres

— D’où vous vient cette passion pour la célébration ?

—Je crois qu’elle remonte très loin dans mon enfance, à l’âge de 4 ans. Pendant la guerre, les Américains étaient restés chez nous, dans le petit village où je suis né, et y avaient laissé des parachutes. Il m’arrivait d’en déchirer des morceaux pour en faire des chasubles, ce qu’on n’appelait pas encore des aubes à l’époque. Mon père était chantre et maçon, et j’allais à l’office avec lui. Je l’accompagnais au jubé et je voyais donc toujours la messe de haut. Depuis la balustrade, entre les barreaux, je regardais les gens circuler, j’observais les mouvements du curé avec les enfants de chœur. C’était une fameuse ambiance, comme au théâtre. Quelques années plus tard, quand j’ai eu 12 ans, je disais très souvent la messe, comme beaucoup d’enfants de l’époque. Mais j’avais un très gros avantage : je la disais avec de vraies hosties qui venaient de ma tante carmélite, et avec du vrai vin. Inutile donc de dire que mon église était toujours pleine. Les enfants du quartier n’auraient voulu rater ça pour rien au monde. Célébrer est donc une passion qui m’habite complètement depuis toujours.

— Vous vous associez souvent à des comédiens, des artistes, pour vos célébrations. Une célébration est aussi un spectacle ?

J’avoue que je ne crains pas du tout le mot spectacle ni le mot mise en scène d’ailleurs. Une célébration en est toujours un. La vraie frontière, c’est qu’il y en a de mauvais et de bons. Mais dès qu’il y a des personnages qui circulent, des rites posés, des textes dits, des chants entendus, nous sommes dans le spectacle. On accole trop souvent à ce mot l’idée de superficialité ou d’extériorité. Comme si un spectacle, même au théâtre, ne pouvait pas être intime, bouleversant, très intérieur. Comme si un spectacle ne pouvait pas avoir beaucoup de silence. 

— Faut-il réécrire les prières auxquelles la plupart des chrétiens ne comprennent rien, à moins d’avoir étudié la théologie ?

C’est une question cruciale. Il s’agit, même dans la prière, de parler la langue de nos contemporains. C’est un travail de réécriture très exigeant, et si l’on ne s’en sent pas capable, il existe dans la littérature aujourd’hui bon nombre de livres qui ont réécrit la liturgie et dont on peut se servir. 

« La célébration fait surgir chez ceux qui la vivent quelque chose qui transforme, bouleverse, conduit plus loin » 

— Comment revisitez-vous les grandes célébrations chrétiennes que sont Noël et les trois jours saints de la fête de Pâques ?

Au départ, je me pose des questions toutes simples. Pour Noël, c’est quoi naître ? Pour le Jeudi saint, c’est quoi partager le pain ? Pour le Vendredi saint, c’est quoi souffrir ? Pour le Samedi saint, c’est quoi se relever ? Naître, manger, souffrir, se relever, tous ces mots appartiennent à l’expérience commune. Et c’est bien en cela que les grandes célébrations devraient concerner tout le monde, puisqu’elles abordent les questions que tout le monde se pose. Mais tout change lorsqu’on ajoute le mot aujourd’hui. C’est quoi naître aujourd’hui ? Et là, on plonge dans l’actualité. C’est quoi naître à Gaza ? Prenons l’exemple des questions que soulève le Vendredi saint : c’est quoi la traversée difficile dans ma vie ? C’est quoi la souffrance ? Alors, ma préoccupation, devant une célébration comme celle-là, c’est qu’on ne parle pas de la souffrance de la Passion du Christ de manière livresque, de manière théorique, de manière répétitive. Ma règle de base est exactement la formule qu’utilise Jean Grosjean : « En ce temps-là, c’est maintenant. » Et donc, qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui être flagellé, porter sa croix, tomber ? Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui être crucifié ? Toute la force d’une célébration est de rendre présent ce temps-là.

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