Les deux faces du pape François
Les deux faces du pape François
Qui est vraiment le pape François ? se demande Emmanuel Van Lierde, un journaliste belge qui l’a approché de près. Le portrait qu’il en dresse éclaire les aspects progressistes et conservateurs de ce successeur de Pierre qui sort de l’ordinaire.
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Depuis son apparition sur le balcon de la basilique Saint-Pierre à Rome, le 13 mars 2013, le jésuite argentin Jorge Mario Bergoglio, alors inconnu de la plupart des gens, se démarque du style de ses prédécesseurs. Il a déjà accumulé les grandes premières : premier pape venu d’Amérique Latine, premier jésuite à être évêque de Rome, premier souverain pontife à s’appeler François. « À lui seul, le nom de François résume et annonce la pensée du pape et l’orientation de son action », relève Emmanuel Van Lierde. Si le journaliste se défend d’écrire sa biographie, il commence cependant par brosser à grands traits son parcours, de sa naissance à son accession au trône de Saint-Pierre (pour autant que ce terme pompeux lui convienne), en mettant en lumière les signes avant-coureurs de ce qui constitue le propre de son apostolat. Le livre se présente comme un bilan de ses dix ans de pontificat analysés sous deux angles opposés : le progressisme et le conservatisme.
UN PAPE PROGRESSISTE…
En tant que pape, François dévoile le visage d’une Église centrée sur la figure de Jésus, fuyant les honneurs et toujours soucieux de celles et ceux qui vivent à la marge. Plusieurs dizaines d’exemples illustrent combien le protocole le dérange. Avec cet état d’esprit, il ne cesse d’interpeller le monde entier, en allant sans chichis à la rencontre des gens, en adoptant un style de vie simple, en s’exprimant dans un langage accessible, ou en donnant priorité aux contacts plutôt qu’aux cérémonies rigides. Parmi ses positions novatrices, qui sont soigneusement décrites dans ce livre, on pointera celles-ci : il prône, au nom de l’Évangile, une nouvelle solidarité universelle, il se positionne comme un prophète de la création et veut conscientiser les personnes, chrétiennes ou non, à l’urgence écologique. Ses paroles sont fortes.
En une décennie, il a publié trois encycliques, cinq exhortations et de nombreux documents pontificaux, et a tenu quatre synodes. L’encyclique Laudato Si’ a connu un retentissement mondial incontestable. Parmi ces effets, on notera, à côté des prises de conscience individuelles, la création de plusieurs projets qui agissent contre le réchauffement climatique, tout en tenant compte du volet social. Car, derrière les problèmes écologiques, rappelle le pape, se profilent des êtres humains. « La vision de François en ce qui concerne le soin de la maison commune (écologie) est intimement liée à la recherche d’une économie de marché alternative et plus éthique (…) qui bénéficierait aussi aux pauvres de la terre », résume le journaliste à propos des idées et des actions de cet homme qu’il connaît personnellement. On lira d’ailleurs avec intérêt l’interview exclusive qu’il lui a accordée le 19 décembre 2022 et qui est parue dans les hebdomadaires chrétiens belges Tertio et Dimanche.
…ET CONSERVATEUR
Socialement, François est donc progressiste. Cependant, ainsi que l’écrit Emmanuel Van Lierde, s’il est vrai qu’il « retourne aux intentions et au message de Jésus » et « incarne un véritable radicalisme évangélique », il reste « éthiquement conservateur en ce qui concerne l’avortement, l’euthanasie et l’éthique familiale et sexuelle ». Comment expliquer l’absence de prises de position en matière de morale sexuelle ? Comment justifier sa frilosité par rapport à des questions brûlantes comme le rôle des femmes dans l’Église ou le célibat des prêtres ? Le langage et le style ont changé, mais la doctrine ecclésiastique, elle, n’a pas bougé. « Il est sans doute humain d’essayer de caser les gens dans des catégories. Les conservateurs trouvent évidemment que François va trop loin et les progressistes, à leur tour, qu’il ne va pas assez loin. »
Pour pondérer ces accusations de conservatisme, probablement faut-il tenir compte de la difficulté de faire évoluer les mentalités au sein même des institutions. On ne démet ni ne remplace un évêque d’un claquement de doigts ! Et l’on connait la violence des attaques envers l’évêque de Rome émanant des milieux les plus conservateurs, notamment aux États-Unis. « Le pape n’est pas le chouchou de tout le monde », relève l’auteur.
Derrière les oppositions, se cache souvent le refus clair de ce qui est prioritaire pour François : le dialogue, la synodalité, le soin de la création et l’accueil des migrants. Il doit veiller à garder l’unité dans l’Église et freine lui-même certaines avancées qu’il souhaiterait voir se réaliser. On a cependant le droit d’espérer que les questions qui n’ont pas encore été prises à bras le corps par les institutions puissent bénéficier de la même urgence que d’autres sujets. Le pontificat de François n’est pas terminé.
Chantal BERHIN

Emmanuel VAN LIERDE, Le pape François. Le révolutionnaire conservateur, Paris-Bruxelles, Éditions jésuites, 2023. Prix : 16€. Via L’appel : – 5% = 15,20€.