L’humour intergénérationnel de François Pirette
L’humour intergénérationnel de François Pirette
Prêt à remonter sur les planches pour son nouveau spectacle, X Y Z – Trois générations, l’humoriste borain jette un regard sur sa carrière. Il se réjouit de la connivence qui le lie depuis quarante ans à son large public friand de ses multiples personnages.
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« Lors des montages en studio, je suis ému quand je vois les plans du public réalisés par les cadreurs-snipers. Je me rends compte qu’il y a vraiment de très jeunes spectateurs, qui ont parfois à peine dix ans. Ça me touche assez fort. » Lorsque François Pirette écrit ses spectacles, il n’imagine jamais que des enfants y assisteront. En 2023, Thierry Van Cauberg soufflait ses soixante bougies au moment où François Pirette fêtait ses quarante ans de carrière. Le premier a en effet enfilé le pseudonyme du second peu avant ses vingt ans. Sa nouvelle tournée X Y Z – Trois générations, reportée au printemps 2024 suite à une blessure, vient marquer ce double anniversaire. « Les jeunes adultes qui m’écoutaient à l’époque sont devenus parents et, pour certains, grands-parents. Je me suis rendu compte que trois générations étaient maintenant concernées par ce que j’avais fait ces quarante dernières années. Tout ça me chatouillait un peu l’orgueil. Je cherchais un titre pour cette tournée, c’était une manière de synthétiser ces trois générations de spectateurs. Trois lettres, on fait difficilement plus court ! »
QUESTION DE CONNIVENCE
Des enfants qui accompagnent leurs parents, aux seniors derrière leur poste de télévision, l’humour de François Pirette est véritablement intergénérationnel. « Je crois que tout est une question de connivence », confie-t-il. Une connivence avec le public qu’il a bétonnée en partie grâce à ses différents personnages, ceux qui restent comme ceux qui partent. « Certains d’entre eux faisaient partie d’un paysage qui n’existe plus aujourd’hui. Je jouais par exemple avec candeur des Italo-Belges, de cette génération qui avait gardé un accent. Ça n’a plus cours aujourd’hui, les nouvelles générations d’Italiens n’ont pas conservé celui du village de leurs parents. » Face à la récente vague du stand-up à la française, il s’est remis en question : « Je me suis demandé s’ils n’étaient pas devenus trop encombrants, voire anachroniques, désuets, ringards… » Très proche de son public, l’artiste a aussi perçu une forme de nostalgie chez lui : « Des gens me demandaient pourquoi je ne jouais plus tel personnage ou tel sketch. »
C’est pourquoi il va tenter la carte de la madeleine de Proust. « En février, juste avant le début de la tournée, je vais donner cinq représentations d’un programme qui s’appellera ‘VHS’. On est dans la lignée de ‘XYZ’, s’amuse-t-il. L’idée est de revisiter une toute dernière fois les sketches qui n’ont jamais existé que sur des cassettes VHS dont je sais, pour avoir reçu les témoignages à l’époque, que les gens se les offraient pour des anniversaires, les glissaient sous le sapin à Noël. Elles réunissaient la famille autour d’une télé, quand tout ça coûtait encore très cher. Je crois que je vais vraiment prendre du plaisir. Certains sketches sont devenus complètement anachroniques, ça va paraître incongru… » C’est là que la connivence a toute sa place : « Si j’arrive à établir cette connivence, on peut envisager un troisième degré au sketch, dans l’absurdité de jouer ça aujourd’hui, une espèce de mise en abyme, d’autodérision… »
CARICATURES
D’autres personnages sont indéboulonnables. Si l’humoriste éprouve beaucoup de tendresse pour “la maman de Nathalie”, inspirée des trois femmes qui l’ont élevé, il a créé aux antipodes l’infecte “Madame Termol », vieille dame caricaturale affublée de tous les défauts de la Terre. Mais, à sa naissance, elle lui a joué quelques tours. « Quand je l’ai créée, je l’ai simplement dotée d’une perruque mal mise et d’un manteau, sans finir le personnage. Il y avait une telle équivoque que certains spectateurs acquiesçaient, au premier degré, aux propos racistes que je lui faisais tenir. » Plus fort : un soir, le comédien et son équipe sont invités au restaurant par le bourgmestre d’une petite ville dans laquelle François Pirette se produisait. « Il commence à me flatter et me dit combien ce que je dis dans mon spectacle est vrai… Je me rends compte qu’il a pris mes propos au premier degré. » Énorme malaise à table. Ne pouvant laisser flotter ce malentendu, l’artiste l’interrompt : « Monsieur, je crois qu’il y a méprise. On ne s’est pas compris, je suis à l’opposé de cette mentalité et de vos convictions, et je combats les gens comme vous. » Grand silence glacial. « Il est parti, mais il a quand même rincé la table », se souvient l’humoriste.
Son inspiration, il la trouve dans l’humour anglo-saxon, dont il est friand. « Ils ont une culture de l’outrance qui fait que, tout à coup, ça devient génial. Ça m’émeut parfois, au point d’en avoir les larmes aux yeux d’admiration. » Parmi ses comiques de référence, on retrouve Sacha Baron Cohen, Rowan Atkinson (Mister Bean), Ricky Gervais… Mais peut-on rire de tout ? Il y a une vingtaine d’années, l’artiste s’était juré de ne plus jamais répondre à cette question. « Mais le fait est que l’époque a évolué de manière telle qu’elle se justifie de plus en plus, même si la réponse reste inchangée : on doit rire de tout. »
EMBRASSER JERRY LEWIS
Parmi les sujets de l’époque actuelle, il évoque évidemment la crise climatique : « Ce qui me rend triste, c’est qu’il y a aujourd’hui plus de désillusion que d’espérance. Ça me désole un peu pour mes enfants. » L’intelligence artificielle passe aussi sur la table : « Je pense que le vocable n’est pas approprié : l’IA n’a rien d’intelligent, elle a tout d’artificiel. L’IA générative ne m’inquiète absolument pas pour mon métier. Je ne crois pas qu’une machine puisse faire rire. Il faut ce sens de la surprise, du décalage… Et puis, le rire est tellement culturel ! »
D’un bref coup d’œil dans le rétro, il garde comme moments forts de sa carrière ses collaborations sur scène et les personnes qu’il a pu croiser. « Si on m’avait dit un jour que je rencontrerais untel ou unetelle… », est la phrase qu’il s’estime heureux d’avoir le plus souvent prononcée. « Je suis toujours épaté, je suis encore un peu groupie… Si je n’avais pas fait ce métier, je n’aurais jamais pu embrasser Jerry Lewis ! C’était un de mes héros d’enfance ! ». Pour le futur, il ne rêve que d’un duo avec… Paul McCartney et Ringo Starr. « À une époque, j’aurais répondu jouer un soir à l’Olympia de Paris, mais plus maintenant. J’ai appris ce qu’était la réalité parisienne. J’ai une mentalité belge qui fait que ce n’est pas mon biotope. Les caricatures qu’on fait des Parisiens, c’est réel… C’est super hard. » De là à faire du Parisien cliché le personnage d’un prochain sketch ? « Non, c’est beaucoup plus légitime aux Français de s’en moquer. Nous, on a largement de quoi faire avec le Brabant wallon ! »
François HARDY
X Y Z – Trois générations. Tournée en Wallonie jusqu’en mai. Infos : pirette.com