Un toit en sortant de prison
Un toit en sortant de prison
À leur libération, de nombreux détenus, en plus d’avoir perdu leurs repères sociaux, n’ont ni famille ni proches pour les héberger et sont démunis financièrement. Des associations leur viennent en aide, comme « Le Passage pour Sortants de prison » à Namur et « Plate-forme Sortants de prison » à Liège.
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Driss est Irakien. Il a connu des horreurs et est arrivé abîmé en Belgique. Il a suivi des formations et travaillé, puis a commis un délit, ce qui l’a conduit en prison. À sa libération, l’association namuroise Le Passage a mis à sa disposition un logement. Il a effectué les démarches nécessaires et est aujourd’hui stabilisé. Après un stage de plusieurs mois dans une entreprise de formation par le travail (EFT), il est en intérim, dans l’attente d’un contrat. Son objectif prioritaire est de trouver à se loger, mais il est dépendant de la situation actuelle à Namur où les logements à un prix raisonnable sont difficiles à trouver. Arsène a été libéré après une très longue peine. Ayant eu la capacité d’anticiper et de préparer l’après-détention, il avait un projet de travail et de logement, mais aussi besoin de temps pour le concrétiser. Il a tout construit petit à petit et s’est installé dans sa région de prédilection après un an d’hébergement par l’ASBL.
UN CAS PLUS DIFFICILE
Ce sont deux situations à l’issue positive. Avec Daniel, un toxicomane d’une cinquantaine d’années en fond de peine, cela a été plus compliqué. Après une première incarcération, il a eu une compagne morte de maladie. Il est resté seul dix mois avant d’écoper d’une nouvelle peine pour non-présentations successives à la Maison de Justice. À sa libération, Le Passage lui propose logement et accompagnement. Mais, à nouveau, il n’honore pas ses rendez-vous, sauf ceux où il est accompagné par des membres de l’association. Et la location se passe mal. Il reconnaît lui-même être incapable de vivre seul. Il réside aujourd’hui dans un service d’hébergement de stabilisation avec trois autres personnes et est beaucoup plus détendu. Finalement, l’issue est positive puisqu’il est sécurisé personnellement. L’hébergement non limité dans le temps lui offre un mieux-être au quotidien et lui permet d’avancer pas à pas dans les différents domaines de sa vie, principalement la santé et les aspects financier et administratif.
Voilà quelques exemples d’ex-détenus accompagnés par Le Passage pour Sortants de prison. Cette ASBL namuroise a été créée en janvier 2018 par une poignée de volontaires, dont le mandataire Ecolo Philippe Defeyt, pour venir en aide aux libérés dépourvus de points de chute. « Beaucoup de prisonniers disent ne pas vouloir sortir faute de logement, constate sa présidente, la juriste Pascaline de Meeus. Pendant leur incarcération, surtout si ce sont de longues peines, ils ont en effet perdu leurs liens sociaux, voire tout contact avec la réalité. » « La société n’a rien prévu pour eux, abonde Patricia Vansnick, qui travaillait à l’époque avec les sans-abri et dans des maisons d’accueil. En prison, il n’est pas envisagé de plan de réinsertion, c’est au détenu à le demander. »
« On reste un citoyen, même si on est prisonnier. »
HÉBERGEMENTS MEUBLÉS
Non subsidié, Le Passage repose sur quelques bénévoles et vit grâce aux dons, même s’il a reçu à deux reprises une aide du cabinet de l’ex-ministre Valérie Glatigny qui avait les Maisons de Justice dans ses attributions. Travaillant avec les prisons réservées aux hommes de l’arrondissement de Namur, il possède quatre hébergements meublés dans la capitale wallonne. Il les loue à une société de logements sociaux et les met ensuite à la disposition d’ex-détenus, contre un loyer. Leur occupation est limitée à huit mois, renouvelable une fois quatre mois. Dans le contrat, il est stipulé que la priorité de leur locataire doit être la recherche d’un logement. L’association les seconde dans leurs démarches. Et le CPAS, avec qui un accord a été conclu, leur verse rapidement une aide d’urgence dans l’attente de la constitution de leur dossier.
Ce processus a été tant bien que mal préparé en amont. Dès réception d’une demande, deux bénévoles rendent visite au détenu. Un travail de préparation de la sortie s’organise en fonction de ses besoins et souhaits, et avec la collaboration des professionnels des services psycho-sociaux de la prison et extérieurs quand c’est possible. « Nous avons demandé que les cartes d’identité soient mises en ordre en prison, car on reste un citoyen, même si on est prisonnier, plaide Patricia Vansnick. Sans papiers d’identité, il n’est en effet pas possible d’ouvrir de compte en banque, d’avoir droit à un logement, de faire valoir tes droits au chômage, etc. On a aussi demandé une inscription en société de logements sociaux. Mais il faut le faire dix-huit mois ou deux ans à l’avance. » « La prison rend les détenus plus assistés, remarque sa collègue. Quand un détenu sort, il se retrouve face à lui-même et totalement démuni. Il a du mal à se réinsérer et il lui est difficile de trouver un boulot. Il peut aussi avoir besoin d’un suivi médical. »
Ces hébergements étant temporaires, leurs occupants ne peuvent pas vraiment se poser, ce dont les membres de l’association ont bien conscience. « Il nous est impossible de faire autrement, regrette Patricia. Mais, en parvenant à créer du lien à l’intérieur et à l’extérieur de la prison, nous sommes néanmoins un bon maillon dans cette chaîne-là. Je suis convaincue que ce qui se construit ensemble est bon pour la personne. On a instauré une qualité relationnelle avec elle, elle a été prise en compte, on a sollicité son avis. On n’est jamais dans le contrôle, ce qui peut restaurer la confiance en elle, dans les autres et dans l’avenir. » « C’est de l’humain, renchérit Pascaline. Nous ne sommes pas là pour les excuser. Parfois on me demande ce que l’on fait pour les victimes. On y pense justement : je suis pour la justice restauratrice et réparatrice, le but de la réinsertion est d’éviter qu’ils recommencent. »
PLATEFORME LIÉGEOISE
À Bruxelles et en Wallonie, d’autres associations œuvrent sur le même terrain. L’ASBL Plateforme Sortants de prison, née à Liège en 2006, repose exclusivement sur l’engouement de quelque vingt-cinq bénévoles et vit grâce aux dons et à un apport de la Fondation Roi Baudouin. Sa philosophie est proche de celle du Passage. « On est parti du constat qu’il est extrêmement difficile, quand on sort de prison, de trouver un logement pour pouvoir se réinsérer dans la société, explique l’un de ses responsables, Alain Grosjean, qui fait partie de la commission de surveillance de la prison de Lantin. On s’adresse principalement à des fonds de peine qui n’ont aucune solution à la sortie, sans liens familiaux ni finances. Même si on a également pris en considération les libertés conditionnelles ou avec bracelet. » Lorsqu’un détenu en fait la demande, il reçoit la visite d’un duo d’accompagnateurs avec lequel se construit progressivement une relation de confiance. « On peut ainsi mieux envisager le parcours de la réinsertion. On ne travaille pas en urgence, on le rencontre un an, un an et demi avant sa sortie. On doit le cerner le plus précisément possible afin de répondre au mieux à ses attentes, en mettant le focus sur l’accès au logement. On propose au détenu, s’il en a la possibilité, un plan d’épargne et on lui donne une prime pour son futur logement. »
Mais, contrairement à sa consœur namuroise, la plate-forme liégeoise ne dispose pas de logements propres, elle passe par des centres d’hébergement provisoires. « Le sortant peut se poser et prendre le temps de chercher un logement plus durable et mettre en ordre toute une série de choses, comme sa situation administrative. Mais s’il est logé et nourri, ce n’est pas pourtant l’idéal car il n’est pas chez lui, c’est un peu contraignant avec des horaires à respecter, etc. On aimerait, dans un avenir qu’on espère assez proche, avoir nos propres studios de transit, des appartements où l’on pourrait accueillir des sortants pendant six mois. » Le détenu libéré doit être le propre acteur de son projet de réinsertion afin de parvenir à retrouver ses repères sociaux. Voilà pourquoi l’association l’accompagne dans ses démarches en veillant à ne pas faire les choses à sa place. Et par des actions dans les écoles, elle tente de sensibiliser le grand public à la problématique carcérale et de détricoter les clichés et amalgames. « Il s’agit d’un problème de société qui devrait être davantage pris au sérieux, estime Alain Grosjean. Il faudrait plus de moyens pour permettre la réinsertion de ces personnes. Car un détenu réinséré est tout bénéfice pour la société. C’est une victime en moins. »
« Il s’agit d’un problème de société qui devrait être davantage pris au sérieux. »
RIZOME À BRUXELLES
Basée à Bruxelles et forte d’une équipe pluridisciplinaire de vingt travailleurs, auxquels s’ajoutent des bénévoles, Rizome est, quant à elle, agréée par la Commission communautaire commune de la Région de Bruxelles-Capitale. Cette ASBL fournit un accompagnement social, psychologique et administratif à ceux et celles qui sortent de prison « pour améliorer leurs conditions de vie et renforcer leur estime de soi ». Elle propose notamment un accès à un logement de transit autonome ou un service de médiation de dettes pour toute personne incarcérée ou sur surveillance électronique. Mais elle opère aussi à l’intérieur des établissements pénitentiaires, par exemple en y stimulant l’offre d’activités collectives ou par le biais des visiteurs de prison.
UN UNIVERS À PEINE CROYABLE
Christiane est visiteuse de prison depuis 2016. Pensionnée, elle suit six détenus à Leuze. « Ce que je leur donne ? L’occasion de s’exprimer avec quelqu’un d’extérieur au système pénitentiaire. Je ne les juge pas, je ne connais pas les raisons de leur incarcération. Ils attendent beaucoup des visiteurs », confie-t-elle avec sa voix bien assurée. Précisant : « Je suis bavarde, mais je sais écouter. » Trois d’entre eux ne vont pas au préau. « Ma visite est leur seule bulle d’air. » Les situations avant leur libération sont variables. « Un de mes détenus s’est remis en question. Il a suivi une formation de secouriste. Je l’accompagne chez le psychologue en dehors de la prison, car celui de l’institution est débordé. Il a encore son papa et un fils, lequel revient le voir depuis deux ans, grâce au soutien de la Croix-Rouge. Il pourra sans doute compter sur ce lien familial à sa sortie. Il sait que son combat sera de ne pas retomber dans les travers de l’alcool. Pour son rendez-vous, je le prends en charge pendant quatre heures et nous allons à Tournai. Il s’agit pour lui d’un moment d’aération. »
L’un des détenus n’a aucune attache extérieure ni projet d’avenir. Depuis Noël, célébré avec une grande ouverture à tous, il a demandé la visite de Christiane. « Je suis pluraliste, mais je reconnais que les cultes permettent aussi de nouer des rencontres », remarque-t-elle. Un autre a été accompagné jusqu’à Mons pour recevoir sa carte d’identité avant sa sortie. Si la visiteuse ne l’avait pas fait, il ne l’aurait pas eue… Son impression ? « Rien n’avance. Pas de logement, pas de travail… Il est normal qu’en sortant beaucoup récidivent ! Quand quelqu’un reste sur le parvis sans que personne ne l’attende, il est perdu. »
De plus, beaucoup ne connaissent plus le monde du dehors. Se retrouver dans une gare face à des automates ou utiliser un smartphone peut constituer un frein. « L’année préparatoire avant la sortie n’est pas mise à profit. Le personnel est débordé, mais fait ce qu’il peut. Si Leuze est une prison moderne, ouverte en 2014, il y a un manque de contacts humains. Tout n’est pas mauvais, mais il y a tant à faire ! » Philosophe, elle ajoute : « Et lors d’un débrayage du personnel tout s’arrête. Si je suis bloquée à l’entrée, je leur dis que, étant pensionnée, ils ne doivent pas s’inquiéter, je peux patienter. Les détenus ont des devoirs, mais également des droits, dont celui de recevoir des visites. » Elle se réjouit de certaines initiatives, comme le ciné-club organisé par le Centre culturel et la Bibliothèque de la ville. L’occasion de briser l’isolement et de se reconnecter au monde. Un projet financé pour six mois, seulement. (S.G.)
Michel PAQUOT