La globalisation de l’indifférence
La globalisation de l’indifférence
Pour le pape François, l’humanité est à un carrefour de civilisations. Elle doit choisir entre une culture de l’indifférence et une culture de la rencontre.
Publié le
· Mis à jour le

C’était le 8 juillet 2013, en la première année du pontificat du pape François. Lors de son premier voyage hors de Rome, sur l’île sicilienne de Lampedusa, le point le plus méridional de l’Italie, il stigmatisait ce qu’il appelait la « globalisation de l’indifférence ». « La culture du bien-être nous rend insensibles aux cris d’autrui », déplorait-il, en lançant à la mer une couronne de chrysanthèmes à la mémoire de tous les migrants qui y avaient perdu la vie à la recherche d’un monde meilleur. Et, s’inspirant d’un grand poète italien de l’époque romantique, il ajoutait : « Nous nous sommes habitués à la souffrance de l’autre : elle ne nous intéresse pas. Revient à l’esprit la figure de l’ »Innommé » de Manzoni. La globalisation de l’indifférence nous rend tous innommables. »
UN CARREFOUR DE CIVILISATIONS
Dix ans plus tard, à Marseille, alors que l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estimait à plus de 28 000 le nombre de personnes disparues en mer depuis 2014, faisant de la Méditerranée la route migratoire la plus dangereuse au monde, il dénonçait cet « immense cimetière » où « est ensevelie la dignité humaine ». Il parlait, cette fois, de « fanatisme de l’indifférence », considérant que l’humanité était arrivée de nos jours à une croisée des chemins. « D’un côté, la fraternité, qui féconde de bonté la communauté humaine ; de l’autre, l’indifférence, qui ensanglante la Méditerranée. Nous sommes à un carrefour de civilisations. Ou bien la culture de l’humanité et de la fraternité, ou la culture de l’indifférence : que chacun s’arrange comme il le peut. »
Et pourtant, durant les onze ans de son pontificat, François n’a pas cessé de déplorer cette « culture de l’indifférence », appelant, surtout dans son encyclique Fratelli tutti, à une « culture de la rencontre » et de l’amitié sociale. Le long premier chapitre de cette encyclique, qui décrit les « ombres d’un monde fermé », demeure malheureusement une description exacte du monde actuel. Le fol enchaînement des cycles de violence et de contre-violence sur la bande de Gaza n’est qu’une des manifestations, quoique sans doute la plus emblématique pour le moment, de ce monde fermé.
TROISIÈME GUERRE MONDIALE ?
C’est dans ce monde que ceux qui ont mis leur foi dans le Ressuscité sont appelés à témoigner de l’appel à la rencontre. François a de nouveau utilisé ces derniers temps l’expression de « troisième Guerre Mondiale ». Même si ce sont des aires géographiques précises qui sont affectées directement, comme l’Ukraine ou Gaza, c’est toute l’humanité qui est défigurée par ces conflits. Ce sont des bains de sang qui blessent tous les êtres humains de toute la terre.
C’est dans ce contexte général qu’il faut comprendre l’importance que François donne au processus de synodalité dans lequel il a fait entrer l’Église. Et puisque toute véritable communion entre les humains ne peut être qu’un don venu de Dieu, c’est aussi ce contexte qui confère son sens à l’année de prière par laquelle le peuple de Dieu doit se préparer au don de la Miséricorde attendu comme une grâce de l’année jubilaire de 2025. Le refrain « tout se tient », qui revient tout au long de l’encyclique Laudato sí, sur l’écologie globale, a également sa place en ce processus de communion.
Ce qui est en cause, dans le présent synode sur la synodalité, ce n’est pas simplement la question de savoir comment aborder les questions qui se posent à l’Église dans le monde d’aujourd’hui et dans sa relation avec les autres confessions chrétiennes et les autres religions, aussi bien qu’avec le monde et le cosmos. C’est la façon même d’être Église. Et donc aussi, par la force des choses, la façon d’être Humanité. C’est donc aussi le sens ultime de l’Incarnation, qui nous a été révélé dans la Résurrection du Premier-Né, que nous venons de célébrer liturgiquement.
Armand VEILLEUX, Moine de l’abbaye de Scourmont (Chimay)