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Edito

Dévisse, manège !

C’était un « voltigeur », un de ces manèges à chaînes comme on en voyait encore, il y a vingt ans, dans les foires de villages. Et que l’on découvre aujourd’hui, avec un peu de nostalgie, dans de nombreux parcs d’attractions. Un de ces manèges qui donne un peu le tournis, mais sans comparaison avec les attractions sophistiquées des parcs de loisirs qui vous mettent la tête en bas et le coeur en travers.
Elle y était donc montée sans crainte. Puis voilà que, à peine sa nacelle en route, elle avait senti la vitesse augmenter. Sans s’arrêter. De minute en minute, tout s’était mis à tourner de plus en plus vite. À tel point qu’elle devait s’accrocher aux chaînes pour ne pas être entraînée au dehors, par l’effet de la force centripète. Autour, elle entendait les cris des autres passagers. Des appels au forain, pour qu’il réduise la vitesse. Quelques pleurs, aussi. Une seconde, son regard avait croisé celui de l’exploitant, levant les bras au ciel. Il était impuissant. La machine ne lui répondait plus. Elle s’était emballée, entraînant on ne sait où ceux qui étaient montés à son bord.

Comme cette passagère du manège, qui n’a pas aujourd’hui l’impression d’être monté à bord d’une machine folle. Une mécanique qui, depuis des mois, s’était mise à tourner de plus en plus vite. Tellement vite que certaines de ses chaînes avaient déjà cédé. Une mécanique devenue dangereuse, impilotable. Mais dont, en même temps, tout le monde redoute qu’elle ne s’arrête d’un coup sec, éjectant en un instant un grand nombre de passagers.

Devant ce monde qui dévisse, on peut crier : « Stop ! Arrêtez ! », avec l’espoir que quelqu’un entende. Mais, si le manège sourd continue sa course, on peut aussi commencer par tenter de lui échapper. De mettre fin au tournis. En « se retirant sous sa tente », aurait-on envie de dire, si cette expression n’avait pas acquis un cà´té péjoratif associé à l’idée de colère ou à la bouderie.
« Se retirer sous sa tente » pour échapper à l’ivresse de la ronde, sans râler ni fureur, mais peut-être avec un peu de dépit sur le sort de ce monde qui glisse entre nos doigts.
Mais, surtout, « se retirer sous sa tente » pour se retrouver soi-même. Rechercher à mettre la main sur tous ces morceaux de nous-mêmes que l’étourderie du temps nous empêche d’habitude de rassembler.
Le calendrier de l’Église propose, à point nommé, d’accompagner cette retraite. Prendre le temps de se retirer, n’est-ce pas un des « bons » moyens de célébrer le carême ? Non en se livrant à de souvent vaines privations. Mais en s’offrant l’opportunité d’échapper, un temps, à l’ivresse du monde.
Ce petit moment de silence et de regard sur soi-même, qui n’en a, ces jours-ci, pas un brûlant besoin ?

Frédéric ANTOINE

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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