Le 1er mai de l’Evangile
Le 1er mai de l’Evangile
Comme le 1er mai dégage souvent une petite odeur d’Ascension, et même si, cette année, Jésus ne s’envole qu’à la fin du mois, permettez-moi de vous offrir un brin de muguet.
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« Il se sépara d’eux et fut emporté au ciel » (Luc 24,51)
Non, ce n’est pas seulement pour sacrifier à la tradition, mais parce qu’à la manière de l’Évangile, le muguet sent bon et peut être dangereux. Son nom français évoque en effet l’odeur de muscade, ce qui, par déformations successives, a donné mugade, mugate, muguette et enfin muguet. Un mot dans lequel on retrouve le latin muscus (musc). Vous voyez bien que nous sommes au pays des parfums prononcés. Et au royaume de la prestidigitation puisque la muscade, la noix du fruit produit par le muscadier, est aussi une petite boule de liège utilisée par les escamoteurs – les illusionnistes, si vous préférez – à l’occasion de leurs tours de passe-passe. D’où l’expression “Passez muscade” à propos d’une chose que l’on fait disparaître avec subtilité.
Si j’ajoute que, depuis 1534, mugueter veut dire courtiser, et qu’au siècle dernier, les guérisseurs de la vieille tradition russe ont mis à jour les propriétés de “médicament du cœur” du muguet… vous conviendrez qu’il faut plutôt l’approcher avec prudence puisqu’il contient des substances actives très proches de celles qu’on trouve dans la digitale, substances qui Ralentissent, Renforcent et Régularisent le rythme cardiaque selon la fameuse règle des trois “R” bien connue des médecins.
UN PORTE-BONHEUR D’ASCENSION
N’allez pas imaginer que me voilà reconverti en herboriste du dimanche, car tous ces renseignements, je les ai découverts dans le très beau livre, déjà ancien mais très actuel, de Jean-Marie Pelt, Fleurs, fêtes et saisons que je viens de relire avec joie. Un livre où l’auteur nous raconte aussi qu’en 1561 le chevalier français Louis de Girard cueillit dans son jardin un bouquet de muguets. Selon la légende, il l’offrit au roi – alors âgé de dix ans – comme porte-bonheur. Le 1er mai de l’année suivante, le roi Charles en offrit à son tour un brin à chacune des dames présentes à la Cour en leur exprimant le même vœu et en souhaitant qu’il en soit désormais chaque année ainsi.
Allez-vous me taxer de vilain récupérateur si je vois aussi dans le muguet un porte-bonheur d’Ascension ? Jean-Marie Pelt ne dit pas cela, évidemment. Il n’empêche que ses explications “techniques” peuvent donner des idées. Ainsi, le plus intéressant du muguet, paraît-il, concerne surtout ce qu’on ne voit pas : sa tige souterraine qui s’allonge d’année en année et qui rebondit chaque printemps pour donner une nouvelle tige aérienne. La croissance du muguet s’effectue donc par à-coups, comme à saute-mouton : il progresse par un bout et périt par l’autre. Comme le dit encore Jean-Marie Pelt, cette tige souterraine, en hiver, est toujours « entre deux tiges », l’une à venir et l’autre à mourir.
LA FOI À SAUTE-MOUTON
Le muguet serait-il donc immortel ? Non, sans doute. Mais bien malin celui qui pourrait dire quel est l’âge de ce muguet que vous tenez en main. Si on vous en offre un brin le 1er mai ou si vous allez vous-même en cueillir dans votre jardin, demandez-vous peut-être quel âge il peut avoir. Et quel âge peut avoir votre foi. Parce que la foi aussi joue à saute-mouton, grandit entre deux tiges, progresse par un bout et périt par l’autre… Heureusement ! N’est-ce pas pour cela qu’elle reste fraîche et qu’elle sent si bon ?
Je me dis qu’en revenant de Béthanie, après le départ de Jésus, si les disciples retournent à Jérusalem « remplis de joie », comme dit saint Luc, c’est peut-être parce qu’ils ont compris que lui-même jouait à saute-mouton ? Parce qu’ils sont sûrs qu’il rebondira bientôt parmi eux, au printemps de la foi, pour donner une nouvelle tige aérienne…
Jean-Marie PELT, Fleurs, fêtes et saisons, Paris, Fayard, 1988.
Gabriel RINGLET