Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°449

Edito

Cliquez pour télécharger cet article en PDF

LES FUMÉES DE LA NATURE RÉVOLTÉE

Cet été encore, ils avaient décidé de passer leurs vacances dans cette agréable maison, qui respire la fraîcheur aux alentours des bois et d’un lac. Trouver le frais n’était pas de refus : depuis des semaines, le thermomètre ne cessait de grimper. Suite à la sécheresse persistante, les médias parlaient de menaces de feux de forêt dans la région. Lorsque ceux-ci se sont rapprochés de leur petit havre de paix, Didrik, sa femme Carola et ses enfants ont préféré temporiser. Rester sur place, à l’instar de ce vieil homme qui était leur voisin. Et ce même si les pompiers leur conseillaient de partir. Un matin, l’incendie s’est furieusement rapproché. À contrecoeur, Didrik s’est décidé à mettre fin au séjour. Mais au moment de quitter les lieux, sa superbe voiture électrique n’a rien voulu entendre. Batteries à zéro. Parents et enfants ont été obligés de déguerpir à pied, en emportant le barda maximum, alors que l’air devenait irrespirable et que, sans réseau GSM, trouver son chemin était ici plus que hasardeux. Les vacances s’étaient transformées en opération de sauvetage, et la famille en réfugiés climatiques. Au bout d’une longue errance, ils rejoindront d’autres personnes dans la même situation, toutes perdues dans un univers de plus en plus apocalyptique. Le monde
rassurant dans lequel Didrik et Carola croyaient vivre s’est fissuré. Et, peu à peu, les catastrophes générées par les incendies ont déstabilisé toute leur société.

Ce récit rappelle furieusement ce qui s’est déroulé cet été dans le Sud-Ouest de la France, où des feux de forêt incontrà´lables ont dévasté des espaces immenses, brûlé des maisons et des voitures, détruit des campings. Et forcé des milliers de personnes à fuir. Des images jamais vues ici, différentes de ces feux de garrigue qui touchent souvent les régions méditerranéennes, rappelant plutà´t les gigantesques incendies qui affectent la Californie ces dernières années, où le feu anéantit tout sur leur passage.
Un seul élément, mais de taille, différencie l’histoire de Didrik et les feux de cet été : alors que ces derniers étaient bien réels, Didrik et les leurs sont, eux, des personnages de fiction. Les antihéros d’un roman "d’anticipation– (si on peut dire) qui se déroule en Suède, racontant un probable futur proche d’une manière si réelle que tout le monde devrait lire ce récit à l’heure où la planète s’embrase. Une oeuvre littéraire qui désigne la cause de l’effondrement d’une société empêtrée dans des situations de crise, de la sécheresse qui engendre des incendies aux inondations causées par des pluies diluviennes sur un sol sec comme de la pierre. La faute à tout cela se désigne en deux mots : réchauffement climatique.

On pouvait jadis considérer que les feux de forêt avaient toujours existé et, en fin de compte, ne nous concernaient pas. Peut-on encore l’affirmer alors que ces incendies se déclarent là où ils n’existaient pas jadis. Et qu’ils ont même cette fois embrasé des coins de la Belgique : des abords d’autoroutes aux... terrasses, en passant par des bois ou des jardins.

À travers son roman prémonitoire déjà traduit dans vingt- deux langues, le Suédois Jens Liljestrand lance une véritable alerte. Un SOS universel qui s’interroge sur la place des hommes et des femmes face aux catastrophes.

Ayant créé l’anthropocène (voir à ce sujet l’article du Père Veilleux dans ce numéro), l’humanité a conséquemment inventé la pyrocène. Une manière pour la nature de se révolter face à ce que les humains ont fait du monde. Alors qu’il y a le feu aux portes de la maison, les humains peuvent-ils changer ? Les paroles, aussi belles et spirituelles soient-elles, suffisent-elles encore ? Ou n’est-on pas obligé de s’engager ? La littérature peut, parfois, y aider.

Frédéric ANTOINE

Rédacteur en chef

Jens LILJESTRAND, Et la forêt brûlera sous nos pas, Paris, Autrement (Flammarion), 2022. Prix : 24,90€. Via L’appel -5% = 23,71€.

Mot(s)-clé(s) : L’édito
Documents associés
Partager cet article
Vous êtes ici: Archives / Numéros parus / N°449