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Edito

L’ISOLOIR ET LA FORÊT.

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Dans le Payottenland, Peter D. loue une partie des terres où il cultive pommes de terre et oignons à de grands propriétaires qui commencent à les vendre à la Région flamande, afin de les transformer en forêts. Cela ne lui plaît pas. Comme tant d’autres, il en a gros sur la patate. Alors, comme les partis traditionnels n’ont rien fait pour lui, cette fois il va voter Vlaams Belang. Il en est si convaincu qu’il a même posé avec le président de ce parti sur une vidéo de propagande. Et, en octobre, il sera candidat du Blok aux municipales. S’il espère que le parti d’extrême droite viendra à son secours, ce fermier a-t-il une connaissance pleine et complète de l’ensemble de son programme ? Rien ne semble moins sûr. Comme il l’a confié aux reporters de la RTBF, il n’a en effet personnellement aucun problème avec l’immigration. Sa femme, roumaine, est en Belgique depuis 16 ans, et parfaitement intégrée.

Peut-on voter pour le Belang parce qu’il promet de sauver le monde agricole sans mesurer toutes les conséquences de son choix ? La question dépasse largement les paysans flamands. Untel votera pour un parti parce qu’il aura promis de juguler l’immigration, un autre pour sa défense des petits indépendants, pour sa lutte contre les Pfas, voire pour avoir démantelé la réforme du décret Marcourt sur l’enseignement supérieur...

Souvent, le choix du parti aura été fait à partir de l’engagement qu’il aura exprimé dans un domaine touchant la situation personnelle de l’électeur. Quitte à ce que, en même temps, une autre promesse, légèrement différente de la première, soit adressée à une autre catégorie de votants.

La politique est conçue pour que l’électeur ne doive pas être convaincu par l’ensemble des propositions d’un parti, mais soit attiré par au moins un point de son programme.

Comme personne ne prend la peine de se pencher sur tous les programmes de toutes les formations politiques (et on le comprend), la communication politique vend la
motivation au vote comme un produit commercial : en n’en promotionnant que quelques aspects, les plus vendeurs possibles. L’électeur ainsi alléché par une promesse qui lui plaît mord à l’hameçon, et la stratégie de phishing électoral atteint son but.

Mais à force d’être attiré par l’appât, n’oublie-t-on pas vite que derrière ce qui plaît tant se cachent la ligne, la canne et le moulinet du pêcheur ? Promotionner les raisons d’un choix politique comme une poudre à lessiver revient un peu à vendre un arbre sans montrer la forêt qu’il cache.

Les médias ont cette année multiplié les tests électoraux destinés à dire aux électeurs de quel(s) parti(s) ils étaient les plus proches, ce qui revient à leur suggérer à quelle
formation apporter leur voix. Si cette initiative permet d’ouvrir le spectre du choix au-delà d’une seule proposition d’un parti, elle fonctionne à la manière des algorithmes numériques par lesquels les sites web et les réseaux sociaux ne proposent à leurs usagers que des sujets qu’ils apprécient, les renforçant dans les convictions qui étaient déjà les leurs.

Dans le monde des algorithmes, la répétition du connu est la règle, et la découverte est reléguée aux abonnés absents. Qui dit que, dans le programme d’un parti, il n’y a pas des propositions auxquelles on ne s’attend pas, qui ne correspondent pas à notre profil, mais qui pourraient ouvrir nos yeux sur d’autres horizons, nous faire sortir de notre cocon ?

Pourrait-on donc laisser la surprise réorienter notre vote ? Pour peu que cela arrive, il faudrait que l’on prenne la peine de chercher, dans la jungle des programmes, ce qui pourrait générer cet étonnement. Et se dire que ce travail en vaut la peine.
Ce petit effort, à la veille des vacances, est-ce imaginable ?

Frédéric ANTOINE, Rédacteur en chef du magazine L’appel

Mot(s)-clé(s) : L’édito
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