Amal : « Je crie ton nom, liberté »

Amal : « Je crie ton nom, liberté »

Amal est un drame intense et puissant, réalisé par Jawad Rhalib. Face au radicalisme de certains de ses élèves, une professeure de français bruxelloise défend la liberté d’expression coûte que coûte.

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Publié le

31 janvier 2024

· Mis à jour le

4 février 2025
Une institutrice tenant le bras droit, devant des élèves assis sur des bancs dans une classe d'école

On pourrait voir ce film comme un hommage vibrant à Samuel Paty, ce professeur français décapité en 2020, et à Dominique Bernard, assassiné lui aussi en 2023 à Arras. À l’instar d’Amal, son héroïne, ils étaient enseignants et avaient défendu dans leur classe la liberté d’expression, la tolérance et le respect de l’autre. Mais le long métrage de Jawad Rhalib, cinéaste belgo-marocain, est bien plus que cela. En mettant en évidence le radicalisme islamiste qui touche aujourd’hui des jeunes musulmans dans bien des pays, dont la Belgique, il met le doigt sur un des plus douloureux dilemmes de la société actuelle. Car c’est aussi au nom de leur liberté d’expression, de la tolérance et du respect pour leur foi que ces extrémistes réclament le droit de pratiquer leur religion comme ils le veulent, et parfois même au mépris des lois belges.

RADICALITÉ EN COL BLANC

En ouverture du film, la caméra glisse sur le corps meurtri de Monia. Cette jeune adolescente se rend ensuite en classe, au milieu de ses agresseurs. Amal, sa professeure de français, d’origine musulmane elle aussi et magistralement interprétée par Lubna Azabal, tente de les conscientiser aux enjeux de la peine de mort, à partir du Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo. Elle ne craint pas la polémique et a l’habitude de gérer des débats houleux. Mais, pour la première fois, elle se retrouve confrontée à la violence d’une foi pervertie par les milieux salafistes, à la radicalité de jeunes manipulés par des prêcheurs de haine. 

À la fin du cours, elle retient les deux agresseurs de Monia. Jalila est une jeune fille qui revendique une foi affirmée et sans concession. Elle accuse Monia d’être lesbienne, d’avoir changé son look et de la mater dans les vestiaires. Pour elle, Monia mérite d’être jetée du haut d’un immeuble. L’autre agresseur est Rachid qui considère qu’il faut l’exorciser. Rachid est aussi le neveu de Nabil, un professeur de religion musulmane, fraîchement converti et qui pratique un double langage. « Avec Fabrizio Rongione, j’ai développé un personnage nonchalant, sournois, schizophrène et rusé, capable de rendre Amal dingue », commente Jawad Rhalib. Il confère à ce personnage l’apparence d’un musulman modéré, intégré et respectueux des valeurs de la société belge, mais dans le secret de ses cours, il prêche la haine et la lutte contre ces valeurs prétendument perverses. « Les individus les plus problématiques sont souvent des convertis qui s’habillent en costume-cravate, explique le cinéaste. C’est de cette manière qu’aux yeux de la direction de l’école, ils donnent l’impression d’être sympathiques et ouverts. »

RÉSISTER PAR LA LITTÉRATURE

Amal décide de ne pas laisser s’installer ce genre d’idées radicales parmi ses élèves. Elle croit en la force de la lecture et de la raison : « Lisez, posez-vous des questions, développez votre esprit critique, et vous serez libres ! » Et comme elle croit aussi à la puissance de l’esprit des Lumières qu’elle leur enseigne avec enthousiasme, elle apporte en classe des poèmes d’Abu Nawas, un des plus grands poètes musulmans du VIIIe siècle, célèbre pour ses poèmes satiriques et érotiques, où il évoque son amour pour les femmes comme pour les hommes. Le réalisateur explique qu’il a étudié cet auteur lorsqu’il était au Maroc : « À l’époque, son orientation sexuelle n’était pas un problème, mais aujourd’hui ce poète a disparu des librairies et des bibliothèques. Il était profondément religieux, tout en appréciant le vin et les hommes. Sa vie incarne le concept de « Din wa dounia » (la religion et la vie). Pour les islamistes et de nombreux musulmans, ces deux notions sont incompatibles. Les islamistes se servent de fake news et de mensonges pour faire croire qu’ils détiennent la vérité. »

À l’école, cet acte de résistance à l’intolérance est vécu comme une provocation par les parents d’élèves qui remettent à Amal une liste d’auteurs homosexuels qu’il est interdit d’évoquer en classe. « Avec Amal, mon objectif était de traiter la question de l’influence de la communauté musulmane au sein de nos écoles, précise Jawad Rhalib, et à mettre en lumière la peur que cela peut susciter chez les enseignants. Il est rare de trouver des professeurs, à l’instar d’Amal, qui sont capables et désireux de s’opposer aux pressions des parents et des associations religieuses. Mon but était de donner une voix à ce corps enseignant et, surtout, de mettre ce constat en lumière. »

LA FORCE DES GUEULARDS

Amal ne se laisse pas faire et n’entend pas soumettre sa liberté pédagogique aux diktats de ces dingues. Mais la directrice, jouée par Catherine Salée, tente d’éviter l’embrasement de la situation, car elle n’a pas le pouvoir d’agir comme elle le voudrait. Son mot d’ordre est : ne pas faire de vagues. Monia, de son côté, fait état de son homosexualité sur les réseaux sociaux et enflamme la toile. Les appels à la haine et au meurtre, dont Amal et elle sont les cibles, se multiplient et obligent la direction à s’engager. Mais faut-il exclure ce professeur de religion et les élèves endoctrinés, au risque d’en faire des martyrs, ou bien écarter Monia et Amal pour protéger leur sécurité, et donner ainsi raison aux intolérants ? Les menaçants et les gueulards risquent bien de gagner, parce qu’ils ont avec eux la force de pression d’un groupe solidaire et le pouvoir d’inspirer la terreur. Mais comment faire changer la peur de camp ?

« Il est important de souligner que le film ne porte jamais atteinte à l’islam, ajoute le cinéaste. Comme le personnage d’Amal le mentionne, nous ne devrions pas nous sentir constamment obligés de nous excuser d’être musulmans, car nous n’avons aucun lien avec ces personnes. Ce sont certains individus qui détournent les écrits religieux afin d’imposer leur vision du monde. » Dans ce film secouant, le réalisateur soulève des questions que les pouvoirs publics ne peuvent continuer d’ignorer. Il avoue être inquiet et espère qu’Amal suscitera des débats et contribuera à changer les choses. Lubna Azabal ajoute : « Nombre de jeunes tombent dans la violence parce qu’ils manquent de mots pour s’exprimer et se défendre. Et pareilles situations aboutissent à des drames. » Jawad Rhalib est persuadé que l’éducation donne des clés pour contrer la violence, et que le pire serait de se taire. Son film est un cri qu’il convient d’entendre au plus vite.

Jean BAUWIN

Amal, film de Jawad Rhalib, en salle dès le 7/02.

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