Félix Radu : « Parler, c’est déjà faire l’amour »

Félix Radu : « Parler, c’est déjà faire l’amour »

Le jeune dramaturge, acteur et poète namurois Félix Radu sort un album qui lui ressemble, tout en tendresse et sensibilité. Infini +3, c’est le temps que dure le coup de foudre.

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Publié le

1 octobre 2025

· Mis à jour le

8 octobre 2025
Portrait en noir et blanc du visage de Félix Radu
TOMBER AMOUREUX. De la peur d’aimer à la peur de perdre.

Depuis l’âge de 20 ans, Félix Radu remplit les salles avec ses différents spectacles. Les Mots s’improsent le révèle comme un jongleur de mots talentueux, digne héritier de Raymond Devos. Le confinement de 2020 est l’occasion pour lui de tourner de petites vidéos, filmées dans sa chambre parisienne, sur les citations d’écrivains qui lui parlent le plus. Repéré par la plateforme pédagogique française Lumni, il réalise quarante épisodes de Félix déLIRE pour faire découvrir avec humour les grands auteurs au programme du bac. Sur Matin Première, à la radio, il fait un tabac avec ses chroniques poétiques et décalées qui continuent de circuler sur les réseaux sociaux. En 2023, il émeut le Off d’Avignon avec Rose et Massimo, une pièce à l’esthétique romantique assumée qu’il a écrite et dont il joue le rôle principal. Entre ses nombreux projets, il se lance à présent dans la musique avec un album de spoken word, cette façon particulière de déclamer un texte poétique sur un fond musical.

« J’avais ce rêve d’enfant de monter sur scène avec des musiques, se souvient-il. J’ai contacté deux compositeurs, Wladimir Pariente et William Touré, pour mettre en musique deux de mes chroniques radiophoniques. On a enregistré rapidement. On ne se prenait pas la tête, c’était léger, on s’amusait bien. Et une semaine plus tard, ils m’ont appelé pour me dire qu’ils avaient obtenu un rendez-vous chez Columbia Records, une grosse maison de disques. D’autres labels l’ont appris et ont voulu négocier, mais on est resté fidèle à Columbia. En famille, quoi ! »

RAMER ENSEMBLE

Les douze titres racontent une histoire d’amour. Tout commence par une rencontre dans un café à 20h33. Le jeune homme a 20 ans, il est timide et comme il attend celle avec laquelle il a rendez-vous, il se met à gamberger. Félix le décrit : « Je pense que c’est la peur de l’amour qui rend tout compliqué, la peur du vide, du grand saut. Il attend tellement de l’amour et il le cherche tellement fort qu’il se retrouve terrifié devant tant de beauté, de charme et d’élégance. Alors, il ne sait plus quoi dire pour être intelligent. » Dans le second titre, Je voudrais tomber amoureux, il dit combien cette envie l’enthousiasme. « Tomber amoureux, c’est assez facile à vivre, on est pris par toute une série d’envies et d’impatiences. Et puis, lorsque l’état amoureux se dissipe un peu, il faut aimer vraiment et ça, c’est plus difficile. Il faut quelquefois sortir les pagaies quand il n’y a plus de courant, et ramer ensemble dans la même direction. » 

Dans les morceaux suivants, ils vivent enfin le grand amour. « Au moment où elle se penche sur la table et m’embrasse, le temps s’arrête. Et cet instant-là, il dure l’infini + 3, ça dure exactement cela. »  Cet heureux paradoxe qui limite l’infini en y ajoutant trois unités rend bien compte du feu d’artifice qui s’empare des amoureux lors de l’échange du premier baiser. Ça retourne le cerveau !

CLAP DE FIN

Félix Radu s’est, depuis tout jeune, nourri de la littérature romantique. « Il y a dans ce courant littéraire un tel amour de l’amour et une telle admiration de l’autre, du partenaire, que ce serait idiot de vouloir tout jeter. Mais, est-on obligé de souffrir continuellement quand on est amoureux ? Les histoires romantiques sont sublimes, mais il ne faut pas aimer à leur manière. Il faut se canaliser et ne pas imposer à l’autre une projection de l’amour que je me serais forgée seul dans ma chambre. Le vrai amour, c’est de rencontrer l’autre et le romantisme ne le permet pas. Il faut donc garder du romantisme les essentiels de douceur et de vulnérabilité pour laisser l’autre enfiler la chaussure. Il faut rencontrer aussi la vulnérabilité de l’autre, sa sensibilité et ses défauts. »

Naturellement, les tourtereaux ont envie de faire l’amour, mais « parler, c’est déjà faire l’amour », chante Félix. Et puis parfois, cet amour se termine. « J’ai totalement conscience qu’une histoire d’amour peut avoir une date limite. Elle n’en a pas forcément une, mais elle peut en avoir une, et ce n’est pas pour cela qu’elle est de moindre valeur. Je ne comprends pas les gens qui se séparent en disant : je me suis trompé sur toi, je me suis trompé sur nous. Ce n’est pas parce qu’une histoire s’arrête un jour qu’elle n’a pas eu toute la valeur du monde et qu’elle n’a pas été vraie, au contraire ! On doit pouvoir entendre qu’on a vécu une magnifique histoire, mais que l’autre doit reprendre la route. C’est ça, pour moi, l’amour. »

LA FORCE DU FAIBLE

Certains textes font alors la part belle à la mélancolie et au mal d’exister, un sentiment que Félix connaît bien. « Quand j’étais petit, je faisais beaucoup de crises d’angoisse, dans mon lit, au moment du coucher : mon Dieu ! un jour on mourra, on n’aura plus le temps, on tombera malade… Je me disais qu’un jour, je pourrais m’habituer à ces crises ou bien les mettre dans une boîte et les observer de loin, comme au zoo. Je me rends compte aujourd’hui que c’est plutôt comme un sac. Plus on grandit, plus il se remplit et plus il est lourd, mais heureusement, on se muscle aussi. Alors, mes crises sont plus rares, mais plus brutales. Je parviens à me distraire avec mon travail, mais quand ça s’arrête, il m’arrive de me prendre un face-à-face avec la mort, sa belle robe noire et sa faux, dans le salon. »

Tout jeune, Félix a appris à pleurer. Dans un bouleversant hommage qu’il livre à sa maman, il la remercie de lui avoir appris qu’être faible, c’est une force. « Avant de rentrer à la maison, elle s’arrêtait parfois sur un parking. Je lui racontais mes journées, pourquoi j’étais malheureux et on se mettait à pleurer tous les deux. Une fois le sac à larmes vide, on rentrait comme si de rien n’était. Je la remercie pour cela. » Dans J’accuse, il pousse un cri de colère contre la bêtise, la haine, le temps, la mort, le chagrin et la mélancolie. Mais ce cri est tellement fort qu’il en devient une déclaration d’amour à la vie, à la beauté et à l’amour. Et la question qui termine l’album est cruciale : que reste-t-il de l’amour ? « Je pense à la chanson de Benjamin Biolay, Ton héritage, dont j’ai fait une reprise. Ce qu’il reste de l’amour, c’est parfois un enfant, ce petit bout de toi et de moi qui apprend à marcher, à aimer. Mais un enfant, c’est peut-être aussi un album, comme c’est le cas pour moi. Mon amoureuse m’a quitté au moment du lancement de ce disque. Je l’ai écrit, je l’ai pensé, je l’ai pleuré, je l’ai ri dans ses bras. Et quand elle s’en est allée, je lui ai dit que cet album, c’est un peu l’enfant qu’on n’aurait jamais, parce qu’il y a tout d’elle dedans. » 

Jean BAUWIN

Félix RADU, L’infini +3, Columbia Records, 2025. Félix Radu sera en concert le 23 janvier au WHalll à Woluwe-Saint-Pierre. whalll.be D’autres dates en Belgique seront annoncées prochainement sur ses réseaux sociaux.

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