Ni « vous » ni « nous »

Ni « vous » ni « nous »

Il ne faut pas être un fidèle de L’appel pour s’en être rendu compte : ici, on ne trouve quasiment jamais les pronoms “nous” et “vous”, ni les adjectifs “notre”, “votre”, “nos” ou “vos”. Étonnant , non, alors que ces petits mots se croisent si fréquemment dans les médias, et plus souvent encore dans l’audiovisuel que dans la presse, sans parler des médias sociaux où l’on déborde aussi de “je” et de “tu”.

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Publié le

31 octobre 2024

· Mis à jour le

24 février 2025
Un homme au t-shirt blanc souriant et se désignant avec les mains

Depuis les années 1990, les “nous” et les ”vous” sont pratiquement bannis de L’appel. Cela étonne souvent celles et ceux qui rejoignent l’équipe de rédaction, voire même de vieux briscards de la maison qui, si on ne le retenait pas, auraient souvent envie d’écrire “nos” (mais moins souvent “vos”) à tour de bras.

Alors, pourquoi cette règle qui peut paraître ridicule ? Justement, parce qu’elle est loin de l’être et de n’avoir aucune signification. 

On s’en rend peu compte, mais le pronom personnel et l’adjectif possessif déclinés à la première personne du pluriel sont, par essence, inclusifs. Ils associent dans le même univers celle ou celui qui les écrit et celle ou celui à qui ils s’adressent. Et ceci sans échappatoire possible. Idem, dans l’autre sens, pour le “vous” et le “vos”, qui excluent et séparent, forçant à distinguer le camp de l’auteur·e du texte de celui de sa lectrice ou de son lecteur. “Nous”, c’est “vous” et “moi”, n’est-ce pas. Alors que “vous” tout seul, ce n’est en tout cas pas “moi”.

Simple subtilité de langage ? Que non ! Autrement, homélies, discours moralisateurs, harangues politiques, écrits à volonté mobilisatrice ou rassembleuse, publicités et communications officielles (notamment des Églises) ne recourraient pas à profusion à l’usage de ce “nous” englobant, “embullant”, dont on ne peut se dépêtrer. “Nous” pensons que, “nous” nous opposons, prions, adorons, communions… Le “nous” met le lecteur dans la poche du rédacteur. Sortie de secours interdite.

On n’imagine pas à quels niveaux de manipulation des masses l’usage systématique du “nous” peut finir par aboutir. Alors que le “vous”, lui, marque bien la différence. Restez où  “vous” êtes. C’est-à-dire là où “je” ne suis pas… Le pari de L’appel est de ne pas être un lieu de prêches et de sermons ni un magazine où, sans trop le montrer, utiliser “nos” et “nous” permettrait de donner un avis ou de faire la leçon sans en avoir l’air. 

On l’a souvent répété, L’appel est une boîte à outils. Avec le contenu que livre chaque mois le magazine, chacune et chacun doit être libre de se nourrir comme il l’entend, et de bâtir ce qu’il a envie de construire, sans qu’on lui fournisse un mode d’emploi ou lui dise comment penser. Ce que le recours au “nous” rend si faussement naturel, alors qu’en utilisant un pronom neutre, on laisse au destinataire toute autonomie pour s’approprier un texte comme elle ou il l’entend. Il y a des pronoms qui forcent la main, et d’autres qui ostracisent. 

Dans certains types de communication, on peut comprendre qu’on y ait recours, avec une intention bien précise. À L’appel, éviter autant que faire se peut de tomber dans ces pièges laisse lectrices et lecteurs libres de trouver du sens, et de s’en nourrir, sans être forcés ou rejetés.

Dans la pratique de tous les jours, pareille consigne n’est pas aisée à respecter. Mais tout le monde a à y gagner. Tout en laissant les chroniqueuses et les chroniqueurs, l’auteur de l’éditorial et les personnes rencontrées ou interviewées dans les articles utiliser ces pronoms et possessifs comme elles le souhaitent. Car ce sont alors elles qui s’expriment, dans le cadre de leur expérience, et non les journalistes de L’appel

Frédéric ANTOINE, Rédacteur en chef du magazine L’appel

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