La presse gratuite a raté le Metro
La presse gratuite a raté le Metro
Depuis fin octobre, les présentoirs verts placés dans les gares et le métro sont vides, ou ont disparu. L’éditeur de Metro, le groupe Rossel, a choisi de liquider le seul quotidien papier gratuit diffusé en Belgique. Mais est-ce la preuve que les médias « qu’on ne paie pas » n’ont pas d’avenir ?
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C’est parce qu’on doit débourser pour l’acquérir qu’une information a de la valeur ! En Belgique, de 2000 à 2023, Metro a démontré que cette affirmation n’était pas toujours exacte. Pour posséder ce petit format demi-berlinois diffusé cinq fois par semaine, pas un sou à payer : il suffisait de passer devant un de ces supports où les exemplaires étaient déposés en masse avant l’aurore et disparaissaient dès le rush de début de matinée.
Pendant vingt-trois ans, cela n’a rien coûté, non seulement de lire Metro, mais aussi de l’acquérir. Les puristes diront que ce petit quotidien n’était pas une œuvre de haute littérature, que les articles y étaient bien courts, et qu’on pouvait avoir l’impression qu’entre les dépêches des agences de presse et ses textes, il n’y avait parfois que l’épaisseur d’une feuille de cigarette. Ce procès est un peu rapide, car ce journal comprenait aussi des articles originaux. Mais, surtout, il n’était pas destiné aux puristes de l’info…
EFFET BIEN MARGINAL
Certes, lors de son lancement, le débarquement d’un concurrent de la presse “classique” avait été vu d’un très mauvais œil par la profession. « S’agit-il d’un quotidien d’informations ou d’un copié-collé de communiqués ciblant les jeunes consommateurs ? Sera-ce un journal… sans journalistes ? », se demandait dans Le Soir du 14/01/2000 la journaliste Christine Simon, répercutant les craintes de ses confrères et consœurs et des groupements professionnels. Que la SNCB s’associe à l’opération suscitait aussi l’indignation de certains ministres, jugeant impensable qu’un service public déroule le tapis rouge à un gratuit, alors que « les ventes des quotidiens dans les gares représentent un chiffre d’affaires important pour les éditeurs » et que ce journal pouvait inciter les navetteurs à se désabonner de leur titre traditionnel.
La cible de Metro était tout autre : il entendait combler un vide en s’adressant à ceux qui ne lisaient pas la presse. En leur offrant, le temps d’un voyage en transports en commun, un tour d’horizon divertissant (mais exhaustif) de l’actualité. « Notre concept vise une population jeune, active sur le marché du travail et étudiante », expliquaient les groupes de presse initiateurs du projet, sûrs de ne pas se tirer une balle dans le pied. Dans les pays où des “gratuits” existaient déjà, la distribution de ces journaux n’avait en effet eu « qu’un effet marginal sur la vente des journaux payants ».
MAUVAIS MODÈLE
Finalement, ce n’est pas Metro qui accentuera le déclin de la vente des journaux. Mais bien un autre concurrent, lui aussi gratuit : la presse sur internet. Un nouveau média tellement fascinant que tout le monde était sûr que l’information, comme tout le reste, ne pouvait y être que gratuite. Les éditeurs se sont donc mis à publier en accès libre en ligne… les mêmes contenus que ceux qu’ils vendaient sur du papier. L’hémorragie a été immédiate. Un temps, on a cru pouvoir la contenir en espérant que le nombre de “clics” sur internet rapporterait gros auprès des annonceurs qui mettaient des publicités sur les sites. Mais on a vite déchanté, ce que rapportait un “clic” étant dérisoire et les pubs se montrant beaucoup moins nombreuses que prévu (car aspirées par les GAFAM).
Pour se sauver de la noyade, les éditeurs de presse n’ont eu qu’une bouée : à partir de 2010, faire payer le lecteur pour accéder à leurs contenus, en l’incitant à s’abonner. Un modèle bien loin de celui de la presse gratuite de type Metro, qui reposait lui aussi sur la vente d’espaces publicitaires (bien plus rentables sur le papier que les “clics” sur internet).
VERSANTS GLISSANTS
Même si c’est gratuit, il faut bien que quelqu’un paie les coûts engagés. Jusqu’au début du XIXe siècle, ceux-ci étaient réglés par les rares lecteurs, qui n’hésitaient pas à débourser de fortes sommes pour des gazettes souvent confidentielles. Cette formule empêchait que la presse se popularise et devienne une nouvelle industrie. « Pour vendre des journaux par milliers, il faut que le prix baisse », pensait Émile de Girardin, patron du La Presse (Paris). Son idée : ne plus seulement faire payer les coûts par les lecteurs, mais aussi par une autre instance. Laquelle ? L’annonceur, qui achète un espace dans le journal afin de toucher une clientèle à qui il peut vanter les mérites de son produit. La publicité était née et, avec elle, le modèle économique original du “marché bi-versants” où le média est financé par les deux publics qui s’y retrouvent : les lecteurs et les annonceurs.
Ici, ce n’est pas seulement la vente du produit à son consommateur qui fournit des recettes à l’entreprise. L’annonceur n’est toutefois considéré que comme subsidiaire car, pour les journalistes, les publicités ne doivent être là que pour compléter les revenus de la vente des journaux. Or, au fil du temps, les rentrées publicitaires n’ont cessé de croître, permettant de laisser au plus bas le prix payé par le lecteur… mais laissant le commerce mener le bal. Alors, quand on a parlé aux journalistes d’un média qui ne serait financé que par la pub, leur sang n’a fait qu’un tour.
Sauf que, en dehors de la presse, on retrouve déjà ce modèle du côté des télévisions et des radios gratuites, qu’elles soient privées (uniquement financées par la pub) ou publiques (financées par de l’argent public, et par la pub).
Ce ne sont pas les lecteurs qui ont fait défaut à Metro, même s’ils étaient devenus moins nombreux, tout le monde préférant river ses yeux sur son smartphone plutôt sur un journal dans le train ou le bus. Rossel, devenu au fil du temps le seul actionnaire du gratuit, explique que le problème est venu du marché publicitaire, qui « n’a pas suivi ni maintenu un volume d’achat régulier suffisant », au lendemain des confinements pendant lesquels le titre n’était pas paru, la faute au home working généralisé.
Pour Metro, petit pion sur l’échiquier de Rossel, la messe a été dite en quinze jours. Une presse d’information que l’on n’aurait pas à payer est-elle pour autant devenue impensable ? Si la gratuité continue à reposer sur un modèle “bi-versants” où le second est celui des annonceurs, l’avenir est plutôt sombre. Les médias d’information ont tous compris que leur salut ne viendrait finalement pas des rentrées publicitaires, même si de la pub remplit toujours des pages de journaux et des inserts sur le web et les applis. Restent donc les dons désintéressés (rares), les mécènes (encore plus rares) ou le recours à l’acteur public (aux caisses souvent vides, et en tout cas alimentées par les citoyens, c’est-à-dire… les usagers des médias). L’économiste Julia Cagé estime que « l’information est un bien public », et qu’il faut prendre des mesures afin de lui garantir ce statut. Les aides procurées en Belgique francophone aux “périodiques non commerciaux” vont en ce sens. Mais, dans un monde où tout, de plus en plus, se paie, elles n’ont pas non plus pour objectif de garantir un accès totalement gratuit à l’information…
Frédéric ANTOINE