La venue de l’avenir : durables impressions

La venue de l’avenir : durables impressions

La venue de l’avenir, le film choral, éblouissant et impressionniste de Cédric Klapisch montre comment le regard que l’on porte sur son passé permet de réinventer l’avenir.

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Publié le

31 mai 2025

· Mis à jour le

1 juin 2025
Une femme en tenue d'époque rouge au milieu d'une rue, entourée d'autres personnes en tenue d'époque également
$Légende Rouge. Comme la passion qui renouvelle la vie d’Adèle.

Tout commence à Saint-Jouin-Bruneval, commune normande qui voudrait racheter une vieille demeure abandonnée depuis la fin de la guerre pour étendre son centre commercial et agrandir son parking. Il a fallu deux ans de recherche pour retrouver la trentaine d’héritiers de la dernière propriétaire, une mystérieuse Adèle, née il y a 150 ans et dont tous ignoraient jusque-là l’existence. Ces lointains cousins, qui ne se connaissaient pas, mandatent alors quatre d’entre eux, pour visiter la maison, en faire l’inventaire et gérer la vente. Le plus jeune est Seb, photographe et créateur de contenus digitaux, interprété par le lumineux Abraham Wapler. Il vient de terminer une séance de photos devant les Nymphéas de Monet à l’Orangerie, avec sa compagne, une mannequin superficielle, autocentrée, qui met ses priorités à l’inverse des aspirations profondes du jeune artiste.

Abdel, le cousin algérien incarné par Zinedine Soualem, est un professeur de français à la veille de la retraite. Investi corps et âme dans son métier et apprécié de ses élèves, il déjoue toutes les idées reçues que l’on pourrait se faire sur lui. Guy, apiculteur épicurien, proche de la nature, est un vrai gentil. Joué par Vincent Macaigne, avec ses airs de baba cool, c’est lui qui tisse les relations humaines entre les quatre membres de la famille, qui prend soin de chacun et en particulier de sa charmante et lointaine cousine, Céline, la seule femme du groupe. Elle prend les traits de la belle Julia Piaton et se débat avec un métier qui accapare tout son temps, son énergie et sa joie de vivre.

LE CHOC DES ÉPOQUES

Quand ils débarquent devant la maison normande, après s’être frayé un chemin entre les ronces et les broussailles, comme le Prince de la Belle au bois dormant, les quatre Parisiens découvrent des dizaines de photos, dont certaines sont signées Nadar, le photographe portraitiste de toutes les stars du XIXe siècle. Et au milieu de ce fatras accroché au mur, un tableau particulièrement lumineux attire leur attention. C’est un portrait d’une jeune femme dont la technique rappelle celle des peintres impressionnistes. Abdel propose de le faire expertiser par son amie historienne d’art, la fantasque et pédante Calixte de La Ferrière, jouée par la délicieuse Cécile de France. En attendant le résultat d’expertise, dans cette maison hantée par des personnages auxquels ils sont mystérieusement reliés et dont ils ne connaissent rien, ils sont pris par l’envie étrange de découvrir cette énigmatique aïeule, Adèle Meunier, dont ils devinent qu’elle a eu un destin pour le moins exceptionnel.

À partir de ce moment-là, deux époques, 2024 et 1895, s’entrelacent, s’entrechoquent et se reflètent comme en miroir. Les moyens de transport, le rapport à l’image, les priorités que chacun met dans sa vie s’opposent et invitent à la remise en question. Cédric Klapisch saute d’une époque à l’autre, comme on passerait sur l’autre rive de la Seine. Il filme le beau Paris de la fin du XIXe siècle, où la tour Eiffel, flambant neuve, devient une image iconique, où la basilique du Sacré-Cœur en construction est en train de modifier considérablement la silhouette de la butte Montmartre, et où des restaurants luxueux s’érigent comme des palais majestueux. Mais il filme aussi la campagne normande, ses champs d’herbes folles et ses coquelicots, avec le regard des impressionnistes, pour offrir aux spectateurs, de magnifiques images lumineuses et flamboyantes.

LA PEINTURE OU LA PHOTO ?

En 1895, Adèle est une jeune femme de 21 ans, promise à Gaspard, un jeune paysan courageux. Après la mort de sa grand-mère, qui l’a élevée seule durant vingt ans, elle décide de se rendre à Paris pour retrouver sa mère qu’elle n’a jamais connue. Comme elle n’a plus de famille, il lui semble qu’elle ne pourra pas grandir sans l’avoir rencontrée. Elle est déjà en quête de ses racines, à l’instar de ses descendants bien plus tard. Sur le bateau qui remonte la Seine du Havre à Paris, elle fait la connaissance de deux jeunes hommes qui deviendront ses anges gardiens lorsqu’elle arrivera, désorientée, dans cette ville en pleine mutation, et à mille lieues de la campagne où elle a grandi. 

Lucien, jeune photographe incarné par l’hypnotique Vassili Schneider, est un dragueur invétéré que la beauté d’Adèle ne laisse pas indifférent. Il croit que la photographie signe l’arrêt de mort de la peinture. Que pourrait-elle apporter de plus, de mieux, que ces images qui sont le reflet fidèle de la réalité ? Son ami Anatole, plus réservé, fragile et timide, incarné par Paul Kircher, est un jeune peintre plein d’avenir, convaincu que son art a encore une carte à jouer face à la puissance apparemment écrasante de l’image photographique. Adèle fonce alors dans Paris avec sa robe rouge à pois blancs, comme une réplique à son visage bien pâle et illuminé de taches de rousseur. Suzanne Lindon offre à son personnage une force intérieure qui se révèle dans l’intensité de ses regards.

SONDER SES RACINES

Le Paris qu’elle découvre est celui de la Troisième République qui s’est construite sur les ors du Second Empire. Trouvera-t-elle sa maman, Odette, femme libre et rebelle jouée par Sara Giraudeau ? Perdra-t-elle son âme dans cette ville grouillante où elle peut devenir une proie facile pour les grands bourgeois de l’époque, qui ont tous leurs maîtresses, fréquentent les filles de joie, et ne sont jamais insensibles à la fraîcheur d’une belle femme ? 

Avec ses amis artistes, elle découvre l’atelier de Nadar qui se fait connaître par ses nombreux portraits parvenant à saisir, malgré la longue pose que nécessite leur mise en œuvre, l’âme de ses modèles. Elle fait la connaissance de Monet qui, vingt-et-un ans auparavant, a lancé l’impressionnisme avec son tableau Impression soleil levant. Klapisch reconstitue le geste du peintre qui voulait figer pour l’éternité, la fugacité de l’instant, la vibration d’un soleil levant se reflétant sur le port du Havre.

François Berléand et Vincent Perez sont également au casting de ce film qui mêle différentes générations d’acteurs et offre aux plus jeunes de magnifiques rôles qu’ils interprètent avec un naturel confondant. Cette comédie historique interroge la fécondité des liens familiaux, la façon dont la connaissance du passé permet de réorienter son présent pour construire un demain plus serein. Car c’est bien le sens du titre : la venue de l’avenir, ce n’est pas seulement la première avenue illuminée par l’électricité de la future Ville Lumière, c’est surtout la mise au monde d’un futur éclairé par un passé qui nourrit et façonne la personnalité de chacun. « Cela fait du bien de regarder en arrière », dit l’un des personnages. Sonder ses racines pour prendre son envol, telle est la leçon de ce film qui laisse au cœur une impression durable de bonheur.

Jean BAUWIN

La venue de l’avenir, film de Cédric Klapisch. En salle dès le 18/6

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