La voix montre l’invisible
La voix montre l’invisible
Jésus est ce berger qui nous croit capables d’entendre sa voix malgré le vacarme assourdissant dont nous couvre la société.
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La voix parle au cœur. En deçà des mots et des langues, il y a le son, la tonalité : nos voix se font chaleureuses et accueillantes ou froides et excluantes. On peut difficilement se cacher derrière sa voix car elle exprime toujours en même temps plus que ce qui est dit, un surplus de signification qui n’est pas contenu dans les mots eux-mêmes.
LA VOIX COMME UN PONT
Certains récits bibliques, tel l’Évangile de Jean en son chapitre 10, mettent particulièrement en valeur l’importance de la voix. Jésus dit de lui-même qu’il est la porte de l’enclos des brebis et qu’il est le bon berger, celui qui les appelle et donne sa vie pour elles. Or cet appel passe par la voix : les brebis écoutent la voix de Jésus, elles la distinguent de celle des inconnus ; et même celles qui sont hors de l’enclos peuvent être guidées par cette voix et l’écouter. La voix du Christ résonne bien au-delà de nos murs, bien au-delà de notre communauté ; elle fait voler en éclat nos éventuelles volontés de déterminer qui serait un bon chrétien et qui ne le serait pas…
La voix « laisse la trace d’une signature éthique du sujet », comme le dit Emmanuel Levinas dans ses Carnets de captivité publiés à titre posthume en 2009. La voix nous « montre l’invisible » d’autrui en même temps qu’elle nous appelle à une responsabilité face à lui. C’est par la voix et la respiration que nous nous ouvrons à l’autre et que nous nous exposons à lui dans toute notre singularité. La voix crée par sa sonorité un pont de l’un à l’autre, d’un monde à un autre, comme l’écrit encore le philosophe dans Autrement qu’être. La voix de Jésus résonne d’une tonalité particulière et unique : pont entre terre et ciel, entre l’amour du Père et l’amour des humains. Appel, aussi, à se dire et à s’aimer en vérité.
L’ENCLOS OUVERT
Trouver sa voie propre, son chemin personnel et unique en discernant dans la cacophonie contemporaine des injonctions diverses, la voix qui guide avec bienveillance, qui pousse en avant pour nous permettre de développer le meilleur de nous-mêmes tout en tenant compte de nos limites. Jésus est ce berger qui nous croit capables d’entendre sa voix malgré le vacarme assourdissant dont nous couvre la société : développement personnel, course à la performance, à la production, à la consommation. Nous sommes plongés à chaque instant dans un océan d’informations – vraies ou fausses – qui clignotent, émettent des sons et nous disent comment penser, acheter, mener sa vie pour qu’elle soit réussie.
Et le Seigneur passe dans le bruissement d’un souffle ténu (1 Rois 19), pas dans le déversement d’un flot de décibels agressif ! La voix de Jésus n’est pas de celle qui va couvrir par la force le bruit du monde. Il va falloir tendre l’oreille, se retirer dans l’intimité de la prière, de la méditation du texte… Se mettre à l’écoute pour la discerner. Jésus nous gratifie à cet égard d’une confiance – dont nous voudrions être toujours dignes ! -, puisque le récit précise que les brebis ne suivront pas un inconnu. Elles fuiront parce qu’elles ne reconnaissent pas sa voix.
Cette voix guide le troupeau hors de l’enclos car notre vocation n’est pas de rester dans le confort douillet de notre environnement familier : celui de l’église, de notre quartier, de nos fréquentations habituelles qui renforcent nos biais. Notre vocation est de sortir de l’enclos : de vivre dans ce monde en restant lié à cette voix unique, celle du Christ, qui nous inspire pour tracer de multiples voies vers plus de justice, d’accueil, de solidarité. À l’appel de Sa voix, nous nous mettons en route pour trouver la nôtre.
Laurence FLACHON
Pasteure de l’Église protestante de Bruxelles-Musée (Chapelle royale)