Un nouveau pape est appelé à régner
Un nouveau pape est appelé à régner
Le successeur de François ne s’appelle ni araignée, ni libellule, ni papillon, comme dans le poème de Prévert, mais Léon XIV. L’appel a inviter dix personnalités de sensibilités différentes à confier ce qu’ils attendaient et espéraient du 267e pape de l’Église catholique.
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PÉRUVIEN DE LA TÊTE AUX PIEDS
Dans l’atmosphère sombre qui nous enveloppe de partout, et au cœur d’une Église souvent essoufflée et pessimiste sur elle-même, je me sens profondément renforcé dans ma conviction que les miracles existent et que l’Esprit saint nous fait signe avec ses clins d’œil inespérés. Je soupçonne d’ailleurs fort François d’avoir soufflé cette bonne blague à l’oreille de l’Esprit. Oui, notre nouveau pape est péruvien “ de pie a cabeza ” (de la tête aux pieds). Au-delà de son doctorat romain en droit canon, de son passeport nord-américain, ses vrais maîtres spirituels furent et restent les pauvres, ses voisins. Pour preuve, son choix de secrétaire personnel (un poste de confiance fort délicat), un ami de Chiclayo avec un merveilleux nom quechua. Mais si ses racines spirituelles se trouvent dans la boue de nos rues, sa personne est un vrai caléidoscope de races et de cultures qui courent subtilement dans ses veines. Je ne sais si tout ce que l’on dit de lui est vrai (un mélange de noir et de blanc venu de la Louisiane par sa mère, des origines haïtiennes par son père et un nom français combiné avec un autre espagnol), la couleur de sa peau en tout cas est un vrai patchwork de mondes et de saveurs du Sud. Le contraire de toutes ces exclusions légitimées aujourd’hui par certains au nom de l’Évangile. Léon ne s’appelle pas François II, comme certains disent qu’il y avait pensé, par respect pour ses adversaires sans doute. Mais il reprend le même flambeau avec un style nouveau plus adapté aux défis d’aujourd’hui.
Simon Pierre ARNOLD o.s.b., Moine bénédictin au monastère de Chucuito-Ñaña, Pérou

VUE DU BRÉSIL SUR LA SYNODALITÉ
En 2021, le pape François a mis en marche le “processus synodal”. Parmi tant de processus qu’il a initiés, celui-ci est devenu l’essentiel parce qu’il englobe tous les autres. La synodalité ne consiste pas seulement à “marcher ensemble”. Il s’agit de marcher ensemble d’une autre manière, en nous écoutant et en nous mettant comme des pairs dans les relations intra-ecclésiales. Et, surtout, en éliminant tout ce qui nous empêche de donner notre contribution à la société actuelle. En ce sens, l’importance de la pratique synodale se trouve donc dans la restructuration interne d’ÊTRE ÉGLISE, à la lumière de la communauté de Jésus. Il ne s’agit pas d’éliminer les divergences, mais de donner au monde, à la lumière de l’écoute mutuelle et en communauté, le témoignage des disciples de la Personne de Jésus. Être synodal est constitutif de l’identité chrétienne. C’est la voie pratique par laquelle nous apprenons à lutter contre toutes les formes de domination des relations intra-ecclésiales, notamment contre le cléricalisme qui, selon le pape François lui-même, est un cancer dans l’Église. C’est parce qu’il détruit les relations qui sont pensées et réalisées par le pouvoir et non par le service.
Alzirinha SOUZA, Dr en théologie à l’UCLouvain, professeure à l’Institut São Paulo d’études supérieures et coordinatrice de l’Observatoire Ecclésial Brésil.

UN PORTRAIT BELGE PLUTÔT COMPLET
Le Concile Vatican II base la vie du peuple de Dieu sur quatre missions : l’annonce de la parole de Dieu, la prière, la communion ecclésiale et le service de l’humanité. Le pape a un rôle éminent dans chacune de ces missions. Pour la première, le futur pape doit être un enseignant et un communicateur. Son enseignement doit approfondir le sens de l’évangile du Christ à la lumière des sciences exactes, des sciences humaines et de l’évolution du monde, comme l’a fait le pape François en matière d’écologie. Pour la prière, il devrait souligner l’importance de la spiritualité, valoriser la pluralité des formes de prière liturgique dans l’Église et créer l’unité dans la diversité par le dialogue. Pour la communion, il devrait continuer l’œuvre synodale du pape François et l’appliquer dans des formes juridiques ; il devra prendre au sérieux l’historicité du diaconat des femmes et de l’ordination presbytérale d’hommes mariés, ainsi que les attentes des femmes et des jeunes. Pour le service de l’humanité, j’attends du pape l’amitié envers les pauvres, la sympathie envers tous, la promotion de la justice et l’engagement pour la paix.
Jean-Pierre DELVILLE, Évêque de Liège

STYLES DE VIE ÉVANGÉLIQUES ET POIDS DU SUD
Le défi le plus important du nouveau pape me paraît être celui de “l’unité dans la diversité” ou même de “l’unité par la diversité” en tenant compte du “basculement” de l’Église catholique vers le Sud où se trouvent désormais ses pôles de développement avec les défis propres à chaque sous-continent. Comment accompagner et stimuler un “style de vie” évangélique pour aujourd’hui, en présentant la figure du Dieu de Jésus Christ compréhensible dans différentes cultures, dans des sociétés de plus en plus urbanisées et sécularisées ? Cela suppose une Église plus pauvre, plus humble, moins autocentrée, au service de l’humanité tout entière. Le pape devra l’encourager à sortir de ses murs, à accueillir d’autres cultures, à dialoguer avec la science, à reconnaître et à encourager le rôle des femmes et des jeunes… La démarche synodale, basée sur le dialogue et l’écoute réciproque, me semble être une voie à poursuivre, pour avancer ensemble en respectant et en s’enrichissant des différences.
Père Bernard HOLZER, Religieux assomptionniste français depuis vingt ans aux Philippines

LA FEMME ET LA VERTICALITÉ
J’imagine la somme d’attentes guettant l’homme amené à endosser cette écrasante responsabilité. En tant que femme souvent étonnée de la portion congrue laissée à mes sœurs dans notre Église, je souhaite qu’une commission résolument mixte et éclairée y réfléchisse. Une authentique mise à plat débarrassée des pré-pensés et “pré-jugés”. Synodalité : une remise en question de la hiérarchie verticale qui part du pape vers le peuple de Dieu, alors que ce devrait être l’inverse : de la base au sommet. L’éthique se doit de s’informer auprès de référents qualifiés, et non en vertu de principes raides sans enracinement humain, tant concernant la fin de vie jusqu’au bout qu’en matière d’avortement… Sans négliger les interrogations sociales – justice, accueil, paix, maison commune. Le cléricalisme ne me semble plus de saison. S’impose une réflexion /concertation de fond sur les rapports entre les États et les religions.
Colette NYS-MAZURE, Écrivaine

SAGE, CALME ET RÉCONFORTANT
Le monde de demain est incertain. Difficile, voire impossible, d’en lire les signes des temps. Tant de défis et de crises. Laudato Si’ soulignait l’unité des crises sociales et environnementales : « Tout est lié. »On peut y ajouter les dimensions suivantes : démocratie, conflits armés, post-colonialisme, médias et fausses vérités, ultra riches, sexisme et patriarcat, migrations, pandémies, digitalisation des relations et des savoirs, etc. En prenant du recul, beaucoup de recul, on peut y discerner une “désincarnation” de l’humain. L’homme, en plus de se déshumaniser, se virtualise en se coupant du réel et de la création. « Prendre soin des quatre liens constitutifs de notre être : avec soi-même, avec les autres, avec la nature et avec Dieu »,prônait Laudato Si‘. Dans la tempête annoncée, la barque de l’Église a besoin d’un pasteur sage, calme, réconfortant, simple et miséricordieux. Un expert en humanité. Un homme de bien, à l’écoute des plus fragiles et des moins puissants.
Marcel RÉMON, Jésuite, directeur du Centre de Recherche et d’Action sociale (Ceras)

L’AUDACE D’UN VÉRITABLE AGGIORNAMENTO
J’aimerais que le pape ait une personnalité proche de celle des pères fondateurs de l’Europe : Jean Monnet, Robert Schuman… ou saint Paul. Un homme lucide, courageux, avec une vision large, à long terme, fin connaisseur des mutations du monde. Qu’il soit convaincu qu’une communion est possible entre Églises de cultures, de théologies, de rites parfois très différents, sans viser plus l’uniformité consensuelle. Il aurait l’audace d’agir comme Jean XXIII : en procédant à un véritable aggiornamento, créant une nouvelle architecture faite d’Églises décentralisées, à l’image des patriarcats orthodoxes autonomes. Son rôle ne serait pas de pouvoir, mais de communion. Il renoncerait à toute sacralisation : de la personne, des gestes, des habits, des mots, reconnaissant le caractère très humain de l’Église. De la sorte, les questions qui agitent vainement le monde chrétien (place des femmes, questions éthiques…) pourraient trouver des réponses différenciées. On peut rêver…
Myriam TONUS, Laïque dominicaine belge, théologienne, autrice.

AUX PÉRIPHÉRIES MORALES ET DOCTRINALES
Le pape François a su rejoindre les périphéries sociales, remarquablement. J’aimerais que son successeur ose se rendre aux périphéries morales et doctrinales, et qu’à côté d’une écologie intégrale, il favorise une éthique intégrale. En périphérie de la synodalité, qu’il encourage des réponses différentes, même sur des questions controversées. En périphérie de la pédocriminalité, qu’il aille aux racines, jusqu’à désacraliser la figure du prêtre. En périphérie de la célébration qu’il ouvre la présidence eucharistique aux hommes et aux femmes, mariés ou célibataires, pour un service à la communauté qui pourrait être à terme. En périphérie du politique, qu’il soit une voix de résistance spirituelle forte à l’heure où la démocratie mondiale est tellement menacée. J’ajoute avec un clin d’œil que j’aimerais un pape qui doute. Je veux dire publiquement. Car on peut douter et faire autorité.
Gabriel RINGLET, Écrivain, poète, prêtre et théologien.

REVISITER L’ANTHROPOLOGIE CHRÉTIENNE
Je ne pense pas me tromper en disant que le 267e successeur de Pierre s’inscrira dans la continuité de Vatican II, dont on célèbre le 60ème anniversaire de sa clôture cette année. Aucun conclave, depuis l’élection de Paul VI en 1963, où la poursuite du concile était vraiment sur la sellette, n’a élu un pape remettant en cause ses acquis fondamentaux : l’œcuménisme, la liberté religieuse, l’ouverture au monde, etc. Pour autant, par son histoire, sa personnalité et sa sensibilité spirituelle, le nouveau pape différera de son prédécesseur. Il sera intéressant de voir comment il abordera trois chantiers importants : en interne, la formation (la conversion) des esprits (clercs et laïcs) à la démarche synodale, et une présentation renouvelée de l’anthropologie chrétienne devenue inaudible ; en externe, quelle voix l’évêque de Rome fera-t-il entendre dans un monde fracturé, rattrapé par le retour du tragique et désorienté par ses propres prouesses technologiques ?
Michel COOL, Journaliste, auteur de François l’anticonformiste. Bilan du pontificat qui a bousculé l’Église

RÉFLÉCHIR À UNE THÉOLOGIE FÉMINISTE
En tant que journaliste, je n’attends rien de spécifique de qui que ce soit, si ce n’est (souhait aussi du citoyen que je suis) qu’un chef spirituel assure et fasse respecter, dans ses rangs et dans l’écho du monde, les droits fondamentaux de la personne humaine. À savoir l’égalité et la dignité de vie et de choix et le régime des libertés. Il lui faudra donc envisager les problèmes structurels qui sous-tendent le fléau de la pédophilie si répandue dans les rangs des responsables catholiques. Il lui faudra peut-être garantir une Église vraiment synodale, capable d’envisager d’avancer à vitesses variables selon les latitudes sur les sujets d’éthiques de vie, tout comme elle a pu le faire en acceptant le mariage des prêtres des branches orientales dépendantes de Rome. Et, sans aucun doute, devra-t-il accompagner une vraie réflexion sur la femme que d’aucunes appellent une « théologie féministe », existante, mais non reconnue ni pratiquée. Peut-être seraient-ce là ses propres rerum novarum ?
Eddy CAEKELBERGHS, Journaliste
LA CHANGER OU L’ABOLIR ?
En janvier dernier, mois de la sortie d’Espère, l’autobiographie du pape François, les éditions Karthala ont proposé, dans leur collection Sens & Conscience, l’ouvrage collectif Réformer ou abolir la papauté. Un enjeu d’avenir pour l’Église catholique. Dans l’introduction, Robert Ageneau indique que, dans la crise profonde que connaît son Église, « le rôle de la papauté n’est pas neutre ». Plutôt que d’attendre l’élection d’un pape vraiment réformateur, les auteurs suggèrent et développent « l’hypothèse d’une modification substantielle du statut du pape romain pour redonner à l’ensemble catholique des capacités d’innovation et de pluralisme, avec moins d’uniformité et plus de liberté ». Le livre retrace d’abord des jalons historiques, d’une présentation de Pierre selon le Nouveau Testament au concile Vatican II, pointant un « bilan historique d’une dérive insoutenable ». À propos des papes de l’après-Vatican II, il regrette « le printemps manqué de François ». C’est pourquoi les rédacteurs défendent l’idée de « réintégrer une Église de Jésus au-delà du cléricalisme » et s’interrogent : « Faut-il encore une papauté ? »« Ni répéter, ni réformer, mais réimaginer, » prônent-ils.
Reste à voir comment va se comporter le nouveau pape des 1,4 milliard de catholiques aux options très variées. Alors que François avait donné Je ne suis que passage comme titre de l’ultime chapitre de son autobiographie et qu’il avait annoncé ne pas tirer ses conclusions du dernier synode des Évêques. Comme s’il voulait que tous les baptisés catholiques se sentent davantage coresponsables de leur Église devenant à la fois plus synodale et plus ouverte au monde et aux périphéries. (J.Bd.)
Robert AGENEAU, José ARREGI, Gilles CASTELNAU, Paul FLEURET et Jacques MUSSET, Réformer ou abolir la papauté. Un enjeu d’avenir pour l’Église catholique, Paris, Karthala, 2025. Prix : 20€. Via L’appel : -5% = 19€.