Continuité dans la discontinuité
Continuité dans la discontinuité
Le choix du nom de Léon XIV par le nouveau pape indique clairement son désir de maintenir un dialogue entre l’Église et la société contemporaine.
Publié le
· Mis à jour le

Le choix d’un nom n’est pas anodin. Surtout lorsqu’il est choisi par la personne même qui assume une nouvelle fonction. Il est porteur d’un programme d’action. La question de la continuité dans la discontinuité est soulevée
au début de chaque pontificat à la tête de l’Église de Rome. Elle le fut d’une façon particulière dans les premières années du pontificat de Benoît XVI. Lorsque Léon XIV s’adressa, le 10 mai, au Collège des cardinaux qui l’avaient élu quelques jours plus tôt, il aborda la question de front. Après avoir évoqué avec émotion la figure du défunt pape François, il expliqua le choix qu’il avait fait du nom de Léon.
PROGRAMME DU NOUVEAU PONTIFICAT
Dans ce très bref message au Collège cardinalice, le nouveau pape ne laisse aucun doute sur sa volonté de se situer non seulement dans la ligne de François, mais dans celle de ses prédécesseurs depuis Vatican II. De fait, dès le début de son intervention, il appelle ses collègues cardinaux à renouveler ensemble, avec lui, leur « pleine adhésion au chemin que l’Église universelle suit depuis des décennies dans le sillage du Concile Vatican II ». Il énumère même une longue liste des éléments fondamentaux de l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium dans laquelle François avait présenté le programme de son propre pontificat.
Le message du Christ et de son Évangile est immuable ; mais il doit toujours s’incarner dans une société en constante transformation. D’où le choix du nom Léon. Son prédécesseur, Léon XIII avait assumé la charge pontificale dans le contexte de la première grande révolution industrielle et avait développé dans l’Encyclique Rerum novarum la doctrine sociale de l’Église adaptée à cette situation nouvelle. Léon XIV est convaincu que nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation similaire, qui pose de nouveaux défis. La mission de l’Église d’aujourd’hui est d’appliquer le même message du Christ à cette situation nouvelle, pour maintenir la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail.
Cette continuité du nouveau pape avec les préoccupations de son prédécesseur immédiat n’est pas sans rappeler l’attitude de Paul VI qui, lui aussi, dès le début de son pontificat, implorait sur le monde entier « comme une grande flamme de foi et d’amour qui enflamme tous les hommes de bonne volonté, éclaire leurs chemins de collaboration mutuelle et attire sur l’humanité, encore et toujours, l’abondance de la divine complaisance, la puissance même de Dieu, sans l’aide duquel rien n’est valable, rien n’est saint ».
EXEMPLE DE LÉON XIII
Continuité avec l’essentiel du message implique souvent discontinuité avec des situations établies qui n’étaient plus en harmonie avec ce message. En 1864, Pie IX avait publié son fameux syllabus Errorum, dans lequel il condamnait une longue liste des « erreurs de notre temps », notamment le socialisme, le libéralisme, le rationalisme, la liberté de conscience… Dans Rerum novarum, publiée en 1891, Léon XIII se mettait à l’écoute du monde, afin de comprendre ses besoins et ses questions et de pouvoir y donner une réponse tirée de l’Évangile. Un dialogue avec le monde était instauré qui allait se poursuivre avec Vatican II, sous les pontificats de Jean XXIII et de Paul VI et, plus récemment, avec le dernier Synode sous François.
Dans le choix de son nom, le nouvel évêque de Rome veut sans doute indiquer qu’il se situe dans cette lignée de dialogue remontant à Léon XIII. Il veut surtout faire comprendre que ce dialogue entre le message évangélique et la société d’aujourd’hui est tout aussi nécessaire aujourd’hui qu’il l’était à l’époque de Rerum Novarum, et que l’Église contemporaine manquerait à sa mission si elle s’y refusait. ■
Armand Veilleux, moine de l’abbaye de Scourmont (Chimay)