Benoît Derenne: « Il est essentiel de relancer l’espoir chez l’être humain »

Benoît Derenne: « Il est essentiel de relancer l’espoir chez l’être humain »

Depuis 1997, Benoît Derenne est le directeur de la Fondation pour les Générations Futures qui accompagne et encourage les jeunes, étudiants, chercheurs ou entrepreneurs à construire un monde soutenable pour demain. Un long parcours d’engagement personnel et professionnel.

Par

Publié le

26 décembre 2022

· Mis à jour le

26 avril 2025
Benoiy Derenne portant une chemise blanche et une veste de costume bleu marine

Vous dirigez la Fondation pour les Générations Futures depuis vingt-cinq ans. Quel est votre sentiment dominant aujourd’hui ? 

— Celui d’avoir vécu et de vivre toujours plus avec l’équipe de la Fondation une vie très intense, dans une sorte d’idéalisme pragmatique, avec des réalisations concrètes pour l’avenir de notre monde. Nous creusons un sillon avec ténacité et enthousiasme. Notre objectif est de faire confiance aux idées nouvelles pour transformer ce monde. 

Quelques mots sur le terreau de vos engagements et de votre biotope familial lorsque vous étiez jeune…

— Je viens d’un milieu chrétien progressiste et cela m’a marqué dans ma prime jeunesse. Adolescent et jeune adulte, jai ainsi été beaucoup impliqué dans un projet qui s’appelait le Pélé-Partage, une association de jeunes créée par une religieuse de la communauté des Sœurs de Jolimont, Christiane Delfosse. Elle était porteuse d’un handicap physique et avait lancé l’idée d’un pèlerinage-partage entre personnes handicapées et valides. Cela m’a mobilisé tout un temps et m’a aussi formé à l’altérité. J’ai passé pendant des années une partie de mes vacances dans ces camps qui avaient lieu dans des abbayes où nous avions comme principe que ce qu’un valide pouvait réaliser, la personne porteuse de handicap pourrait également y arriver. J’ai fait partie de chorales, de mouvements de jeunesse. Et j’ai été actif au Centre Religieux Universitaire de l’Université de Namur, avec toute une génération de jeunes étudiantes et étudiants passionnants.

« Mon parcours m’a poussé à ne pas me raccrocher à une seule parole, à voir les choses de manière beaucoup plus systémique. »

Des événements particuliers ont marqué ce parcours ?

— Il y a eu chez moi une première rupture assez franche lors de l’arrivée de Jean-Paul II à la tête de l’Église et ensuite avec la nomination d’André Léonard comme évêque de Namur. Il n’a eu de cesse de briser ce qui avait été construit avant lui dans le dialogue entre ecclésiastiques et laïcs et dans la place des laïcs dans l’Église. Cela a été un coup de massue pour énormément de jeunes qui voulaient s’engager dans une transformation de l’Église et du monde. Et n’a fait qu’accélérer la désertion de personnes qui avaient envie de s’investir. J’ai vécu cette période où mon père et ma mère se sont retrouvés littéralement décramponnés, alors qu’ils prenaient une place dans l’Église en tant que laïcs engagés. Ça a conforté mon éloignement par rapport à la structure de l’Église dont je m’étais déjà écarté depuis quelques années. C’est quelque chose de très personnel et de marquant dans mon parcours, mais qui est peut-être banal pour beaucoup de gens de milieu chrétien de ma génération. Dans mon cas, j’ai pris mes distances avec l’Église suite à son rôle durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994.

Vous avez évolué dans vos croyances et la manière d’aborder la vie spirituelle ? 

— J’ai été initialement frappé du sceau de l’humanisme chrétien, mais au fil du temps, mon propre tempérament s’est affirmé et je me suis dit que je n’avais pas besoin de livre de chevet ou d’une Bible particulière qui guiderait mes pas. Mon parcours m’a poussé à ne pas me raccrocher à une seule parole, à voir les choses de manière beaucoup plus systémique. Mais je continue à accorder de l’importance à cet humanisme et à une forme de transcendance. Il restera toujours la question de savoir pourquoi nous sommes sur terre. Elle traverse à peu près tous les êtres humains.  Il y a pour moi énormément de sources d’inspiration, pas seulement Jésus ou Bouddha. Je peux m’inspirer de certains écrits de la religion chrétienne, mais l’important, pour moi, est surtout l’action, la manière de mettre en œuvre cela dans sa vie personnelle et dans la relation aux autres. Il faut juste se rappeler qu’on doit rester inspiré, que nous ne sommes pas que matière, et qu’il est essentiel de se connecter à ceux qui sont différents. On comprend alors que nous sommes portés par une forme de transcendance vers ce qui nous dépasse : l’humanité commune pour certains, une personnalité spirituelle, mythique ou divine pour d’autres. 

— Vous avez fait des études d’histoire et d’économie du développement. Comment êtes-vous arrivé à ce choix ?

— J’ai eu un parcours d’études très compliqué, en commençant par doubler deux fois en première et deuxième années d’humanités. Je suis donc sorti de rhétorique avec deux ans de retard, de quoi me faire douter alors de ma capacité à prendre une place dans la société. Mais le doute peut être bénéfique. Il permet de se poser de bonnes questions et de progresser. J’ai pu dépasser ce sentiment d’insécurité, non pas nécessairement à coup de volonté, mais en étant confronté à la réalité et en constatant que j’arrivais à faire des choses positives.

À l’université à Louvain-La-Neuve, vous étiez engagé dans des projets ?

— À l’époque, je l’étais dans les mouvements de libération et de défense des droits de l’homme en Amérique latine proches de la théologie de libération. J’étais administrateur de la Casa de Las Peñas, un centre culturel latino-américain, un lieu de réflexion d’activistes de ces pays. Cet engagement est venu aussi de lectures de journaux qui se préoccupaient des questions internationales. J’ai toujours été très attiré par les enjeux de géopolitique, par ce qui se passait ailleurs. Je voulais partir en coopération, mais j’ai été réformé car je faisais de l’asthme. Je suis devenu chercheur en économie du développement, avant d’entrer à la Fondation Roi Baudouin. J’y ai appris ce qu’était le métier d’une Fondation. Puis j’ai eu envie de créer, avec d’autres, une structure moins généraliste, davantage centrée sur la problématique de l’avenir de la planète et surtout de la transmission d’un monde habitable pour les générations à venir. Si, à l’époque, beaucoup de gens avaient une conscience sociale et si le sens de la justice était très présent, l’idée que la vie sur terre et celle des générations futures étaient menacées et qu’il fallait chercher des alternatives était neuve. Les seuls à pouvoir nous entendre clairement étaient les milieux écologistes, mais l’objectif était d’en toucher d’autres. 

— Cette attention pour les enjeux planétaires vous est venue tôt ?

— Ma mère était très consciente des enjeux de santé liés à l’environnement. Mon père, ingénieur, a contribué à un monde très industriel et polluant, tout en prenant progressivement, et de plus en plus, conscience des limites de ce modèle. Enfants, nous avons été très chanceux de baigner dans ces questionnements, et cela a rebondi notamment chez moi et chez mon frère Christophe, qui dirige le centre d’étude Etopia du parti Ecolo.

La Fondation est liée à ce parti ?

— Non, elle est à cheval sur toutes les frontières politiques, économiques, sociales. Nous voulons absolument intégrer tout le monde, parce que l’enjeu est de s’en sortir ensemble. On n’y arrivera jamais en se disant qu’avec 10% de la population, il est possible de transformer les choses. Tout le monde doit y contribuer.

Quelle est la spécificité de votre Fondation ?

— Il y a énormément de gens qui sont dans la philanthropie réparatrice, et c’est très bien. La base de l’être humain est d’être en écho avecla souffrance humaine pour tenter de réparer les dégâts. Je suis parti du constat qu’il y avait relativement peu d’acteurs dans ce qu’on appelle “la philanthropie transformatrice”, celle qui propose des solutions plus systémiques chez les décideurs, chez les gens qui entreprennent des projets, face à un monde marqué par des complexités inouïes et de plus en plus d’interactions. À la Fondation, nous avons voulu développer une vision à trois cent soixante degrés et favoriser des initiatives bénéfiques, à la fois dans le domaine social, environnemental, économique, et de manière participative. Quatre mots résument notre façon de faire : people, planet, prosperity, participation. Nous essayons de mobiliser les esprits et les acteurs autour de cette vision, en les encourageant par des prix attribués à des travaux de fin d’études d’étudiants ou à de jeunes chercheurs, par des soutiens à de jeunes porteurs d’initiatives. La récompense financière par la remise de nos prix joue un rôle de reconnaissance, de visibilité et d’encouragement. C’est plus que symbolique. Nous ressentons de la fierté quand les lauréats nous disent plus tard que nous avons été à la source de leur développement. À ce jour, nous avons soutenu environ cinq cents projets.

« L’ADN de la Fondation est de tenter de trouver des territoires communs aux différents acteurs pour faire progresser le bien commun. »

— Vous servez de contact entre acteurs de différents milieux…

— Un des grands bonheurs de notre travail est de voir à quel point notre réseau est étendu dans des milieux très diversifiés. Il est un lieu de rencontre de personnes issues des mondes médiatique, associatif, économique, académique, des pouvoirs publics. Ces contacts entre des univers qui ne se connaissent pas toujours sont bénéfiques pour la société et génèrent de la diversité. Nous investissons dans des projets qui vont dans ce sens. 

D’où vient l’argent ? 

— Principalement de nos donateurs, de mécènes et de partenaires privés et institutionnels que nous choisissons avec beaucoup de précautions. 

Certains diront que c’est bien de soutenir des projets de changement positif pour l’avenir. Mais ne faut-il pas des actions plus radicales ? 

— Les activistes pour le climat jouent un rôle essentiel et nous en sommes solidaires, mais ce n’est pas notre mission. Chacun est utile à sa façon. De notre côté, en soutenant certains projets, nous offrons l’espoir que des réalisations nouvelles et bénéfiques pour l’avenir sont possibles. Il est fondamental de relancer ce moteur chez l’être humain. Le découragement, les angoisses pour l’avenir chez certains jeunes sont mortifères pour toute la société. Le jour où les jeunes s’arrêtent, la civilisation s’arrête. Nous avons envie de donner un avenir à notre société, de la pousser à continuer à se poser des questions qu’ailleurs on ne se pose pas nécessairement. L’ADN de la Fondation est de tenter de trouver des territoires communs aux différents acteurs pour faire progresser le bien commun. 

L’éco-anxiété est-elle présente chez beaucoup de jeunes ?

— Oui, chez certains. Mais dans le cadre de la Fondation, j’en vois surtout des positifs, et notre rôle à l’avenir sera d’essayer de les renforcer. J’entends par exemple des jeunes architectes issus d’une école où on leur a dit d’être créatifs et de penser écologie et durabilité. Et puis ils atterrissent dans un bureau d’architecture où le client est roi et ne se préoccupe que du coût des travaux, et toutes ces belles idées passent à la trappe. Cela devient très stressant pour eux qui veulent changer le mode de vie et d’habitat. Les jeunes nous rapportent ce genre de questionnements lors de leur passage dans la vie professionnelle, leur stress immense, et leur difficulté à être les plus efficaces possible, tout en donnant du sens à leur travail et en conservant leurs valeurs de changement. Nous tentons alors de les mettre en relation avec des personnes exerçant des métiers similaires, et qui partagent les mêmes questionnements et problèmes afin d’échanger pour trouver des solutions.

— Qu’avez-vous essayé de transmettre à vos enfants ? 

— La curiosité sur le monde, le don d’émerveillement, et l’enthousiasme pour la vie et sa beauté qui nous permettent de tenir dans la pire des situations. Cela peut être une personne, une musique, un paysage. Je me souviens d’un petit livre, Messe sur le monde de Teilhard de Chardin, qui m’a énormément inspiré jeune. Je le trouvais extraordinaire parce que je le lisais dans un environnement fabuleux, dans le campo en Andalousie. Il me parlait et je ne l’ai jamais oublié, sans pour autant retenir une phrase particulièrement. Je lis peu de livres philosophiques ou de spiritualité et je suis loin des pensées toutes faites.

— Qu’est-ce qui est navrant et réjouissant dans la vie ? 

Navrante, la propension de l’être humain à se replier sur lui-même et sur sa communauté. Et enthousiasmant, avant tout la vie elle-même. J’ai hérité de mon père une forme d’optimisme intrinsèque. J’ai des moments de fatigue, comme tout le monde, mais je ressens que la vie est pleine de rebonds, d’occasions d’émerveillement et de belles rencontres. 

Propos recueillis par Gérald HAYOIS

Partager cet article

À lire aussi

  • Le chroniqueur Armand Veilleux, à l'extérieur devant des arbres
  • Image d'un chat à rayures en gros plan
  • Image tirée du film Wild Women, une femme de dos se trouve seule dans une pièce, assise à un bureau, la main sur la tête
  • Gaël Faye portant une chemise de couleur bleue-verte, souriant à la caméra