Dieu recalé en math !
Dieu recalé en math !
Mais où Dieu a-t-il appris à calculer ? Sûrement pas à l’Université de Louvain. Car le moins qu’on puisse dire, c’est que sa manière de compter n’est pas très catholique…
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La question d’examen qui va mettre la divinité en échec lors de la seconde session évangélique part de cette curieuse interrogation adressée par Pierre à Jésus : « Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? » Pierre fait là une proposition exceptionnellement généreuse, quand on sait que les rabbins les plus progressistes de l’époque allaient jusqu’à quatre fois, au grand maximum. Mais Jésus répond : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois », c’est-à-dire l’impossible ou, plus exactement, l’incalculable, parce que le pardon n’a pas de prix.
UNE AUTRE MORALE
N’est-ce pas ce qu’exprime la parabole du roi à qui on amène un serviteur qui lui doit dix mille talents ? Lorsqu’on sait qu’à l’époque, un talent valait six mille drachmes, la dette représente donc soixante millions de pièces d’argent, c’est-à-dire deux cent mille années de travail ! Alors que le roi lui-même recevait neuf cents talents par an. Affolé devant la perspective de l’esclavage, ce serviteur promet qu’il va rembourser. Mais c’est impossible, même en une vie. Même en additionnant son travail et celui de sa femme et de ses enfants. C’est alors que le roi, ému jusqu’aux entrailles, le laisse aller en lui remettant sa dette.
En sortant, le serviteur rencontre un compagnon qui lui doit cent pièces d’argent. Ce n’est pas rien puisqu’une pièce d’argent représentait le salaire d’une journée pour un travailleur agricole. Mais l’important ici, c’est le contraste entre les deux dettes : la seconde est six cent mille fois moins élevée que la première ! Et pourtant, ce serviteur qui n’en a plus besoin réclame son dû jusqu’au dernier centime. Révoltant ! Oui. Mais en stricte justice, le serviteur du roi n’a pas commis la moindre faute. On lui a remis sa dette, bien sûr. C’eût été élégant qu’il en fît autant, d’accord ! Mais rien ne l’obligeait à la même attitude, réglementairement parlant.
Alors quoi ? Y a plus de morale ? Si. Une autre morale. À une époque où la justice consistait à “faire payer”, l’Évangile, à travers son habituelle et joyeuse exagération orientale, propose une véritable révolution spirituelle : le pardon ne se mesure pas. Il est incalculable parce qu’il n’a pas de prix. Pourquoi, dès lors, s’évertuer à faire de Dieu un vérificateur aux comptes, boutiquier à la petite semaine, inspecteur du Ministère des Finances ou collecteur d’impôts, lui qui, au grand désespoir de Matthieu, fait des erreurs dans ses additions ! Quelle chance pour les gens insolvables que nous sommes : Dieu n’est pas fort en math. Heureusement !
LIBÉRER L’AVENIR
Sur les pas de cette exigeante utopie évangélique, quelques mots du poète Philippe Mathy. Dans son recueil Le temps qui bat, il invite à traverser les rues, les places, les prairies, les champs… en accueillant la pluie car, dit-il, « on a tort de se plaindre » alors que « le gris nous va très bien ». Même le gris du pardon. Car le pardon n’est pas affaire de noir et blanc, de soleil ou de ténèbres, mais une chose quotidienne, ordinaire, difficile.
Pardonner « septante fois sept fois », ce n’est pas oublier, effacer, mais libérer l’avenir. Ce n’est pas supprimer la justice, renier la blessure, permettre au mal de triompher, mais arrêter la violence, retrouver la paix, la légèreté, et donc l’humanité.
Gabriel RINGLET
Philippe MATHY, Le temps qui bat, Châtelet, Le Taillis Pré, 1999. Épuisés