Grand-Père, on l’a replanté !
Grand-Père, on l’a replanté !
J’ai toujours aimé le dialogue entre la Toussaint et le Jour des Morts. Et l’invitation des deux fêtes : avoir confiance dans les arbres, contre le vent.
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Un jour – ça se passait, je crois, en Bretagne, mais je ne sais plus qui m’a confié l’histoire – un grand-père raconta à son petit-fils que rien n’est plus beau qu’un arbre.
— Regarde, lui dit-il, regarde les arbres et vois comme ils travaillent.
— Et qu’est-ce qu’ils font, grand-père ?
— Ils rattachent la terre au ciel. Et cela, mon petit, c’est très difficile parce que, vois-tu, le ciel est si léger qu’il est toujours sur le point de prendre la fuite. S’il n’y avait pas les arbres, il nous dirait adieu, le ciel. Alors, il ne nous resterait qu’à mourir. Mais, heureusement, il y a les arbres.
Regarde encore ce tronc rugueux. Tu vois : c’est comme une grande corde. Il y a même des nœuds dedans. Mais, à chaque bout, les fils de la corde se desserrent et s’élargissent pour s’accrocher au ciel et à la terre. On les appelle des branches, en haut, des racines, en bas. Mais c’est la même chose. Les racines cherchent leur chemin dans le sol de la même manière que les branches cherchent leur chemin dans le ciel.
— Mais grand-père, c’est plus difficile d’entrer dans le sol que dans le ciel ?
— Eh non, petit. Si c’était vrai, les branches seraient droites. Et vois comme elles sont tordues sur le vieux pommier devant nous. Elles doivent aussi chercher leur chemin, les branches. Elles poussent. Elles changent de direction. Elles ont parfois bien plus de mal que les racines.
— Et qu’est-ce qui leur donne tout ce mal grand-père ?
— C’est le vent. Le vent voudrait séparer le ciel et la terre. Mais les arbres tiennent bon. C’est une sacrée bataille, tu sais.
— Et nous, grand-père, que devons-nous faire ?
— Avoir confiance, petit. Avoir confiance dans les arbres, contre le vent.
FACE À TANT DE BOURRASQUES
En écoutant cet étonnant dialogue de si vive actualité, je pense à celles et ceux qui nous ont quittés et dont nous avons été si proches. Dans leur travail, bien souvent, dans leur quartier, à la maison… ils ont dû lutter contre vents et marées. Pour nous élever, parfois, ils ont dû faire face à tant de bourrasques. À certains moments, ils ont même dû courber l’échine et se recroqueviller. Mais heureusement, ils avaient des racines et ils ont tenu. C’est peut-être cela, la “sainteté” qui ne figure pas au calendrier.
En ces jours de Toussaint où beaucoup (de moins en moins !) rendent une petite visite au cimetière, je regarde toutes ces feuilles d’automne virevolter dans le vent et je songe à ce que me disait une amie : « La lumière de l’automne me fascine et je trouve tellement belles les couleurs de ces feuilles, juste avant de retourner à la terre. Si cette terre n’était pas nourrie par les feuilles d’automne, elle mourrait. Et si elle n’était pas nourrie par nos morts, elle mourrait aussi. »
GRANDIR ET FLEURIR ENCORE
J’aime imaginer nos défunts comme des arbres qui nous abritent sous leurs feuillages. Parce que celles et ceux que nous avons portés en terre ou dont nous avons dispersé les cendres continuent à grandir, à fleurir, à rattacher la terre au ciel. C’est tellement vrai qu’un jour un petit garçon – celui, peut-être, dont je parlais au début ? – venait de vivre avec sa famille la maladie et la mort de son grand-père qu’il aimait beaucoup. Après l’enterrement, alors que les siens quittent le cimetière après avoir jeté de la terre et des fleurs sur la tombe, il laisse tout le monde en plan et se précipite chez son petit ami pour lui annoncer la grande nouvelle : « Tu sais, mon grand-père, on l’a replanté ! »
Gabriel RINGLET