Nicolas Bouzou : l’homme pour qui il faut avoir moins peur
Nicolas Bouzou : l’homme pour qui il faut avoir moins peur
Le monde occidental n’est plus gouverné que par une chose : la peur, déclinée sous toutes ses formes dans les médias ou la politique. Face à ce discours, un Français, qui se dit politiquement et économiquement libéral, affirme qu’il y a des chances d’espérer. Mais qu’on n’en parle pas assez.
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N’ayez pas peur ! » À l’instar d’un des prédécesseurs du pape François, cet économiste directeur d’un cabinet d’études et de conseils économiques à Paris aurait presque envie de s’adresser à ses contemporains en recourant à la même sentence. Mais, comme il n’est pas pape, il préférera peut-être leur dire : « Ayez moins peur » (… que ce qu’on veut vous faire penser). Car, pour Nicolas Bouzou, il y a des raisons de croire en l’avenir. Même si les augures qui proclament le contraire occupent largement le haut du pavé. Voilà un propos qui détonne. Et un homme qui étonne ? Peut-être moins. Car ce personnage, qui revendique être un « libéral économique et politique », peine à se retrouver dans les discours mainstream. Et, dès lors, fait tout pour s’en distinguer. Éditorialiste dans plusieurs médias français, notamment au magazine L’Express, il a aussi, à de nombreuses reprises, été invité à participer à des débats de société sur les chaînes Tv d’outre-Quiévrain.
PEURS DE TOUT
Ce qui fait de Nicolas Bouzou une sorte d’OVNI un peu extra-ordinaire est qu’il ose s’opposer (ou choisit de s’opposer) à ce qui domine dans les sociétés européennes : la peur. « Le débat public est dominé par la peur, explique-t-il. Pour le vérifier, il suffit de lire un journal ou de regarder une chaîne d’info à la Tv. Ce qui relie tous les thèmes traités est l’idée de peur. Peur de ce qu’on mange, des maladies, de la Russie, de l’élection américaine, de l’insécurité… » Cette thématique domine parce qu’avoir peur attire souvent les audiences. Mais aussi parce que l’offre de peur est présente à profusion dans les médias, les réseaux sociaux, la politique et la culture. « Présenter les choses négativement, simplement pour répondre à une demande, cela déforme la réalité. Cela renvoie une image du monde qui n’est pas exactement la bonne. » En privilégiant la peur, il estime qu’on met de côté des aspects positifs de la société, par exemple dans le domaine médical, ou celui de l’énergie. Il parle d’un « défaitisme qui frise avec l’erreur ». « Prenez, dit-il, la question de l’intelligence artificielle. On dit qu’elle pourrait nous tuer et se retourner contre nous. Pourtant, les vrais sujets à son propos sont plutôt : comment va-t-elle changer nos façons de travailler ? Comment faut-il se l’approprier ? Comment va-t-elle changer les métiers ? »
Praticien du débat public, l’économiste se montre assez critique envers les médias. Il regrette que ce qui y donne l’air intelligent, crédible et sage, soit d’annoncer des mauvaises nouvelles et des catastrophes. « Si, sur un plateau de télévision, vous affirmez que le gouvernement mène à la catastrophe, que les inégalités explosent…, vous allez tout de suite recevoir une oreille très attentive. Par contre, si vous dites, non pas que les choses vont bien, mais qu’il peut parfois arriver au gouvernement de prendre des mesures qui vont dans le bon sens, alors là, vous êtes balayé. On vous traite de ravi de la crèche, de collabo, de tout ce que vous voulez. Un biais fait que la figure pessimiste et catastrophiste sera vue comme sérieuse, alors que celle qui essaie de nuancer sera moins clivante, mais beaucoup moins audible. » Comme Nicolas Bouzou rame un peu à contre-courant, sa position est inconfortable. Mais elle lui permet aussi d’endosser un habit qui le distingue des autres Français, et d’être presque seul à occuper cette place singulière sur l’échiquier.
TRADITION LIBÉRALE
« Je suis un libéral dans la tradition classique », poursuit Bouzou. Il ne cache pas qu’il aime la société dans laquelle il vit, et apprécie la démocratie libérale. « Tout cela me convient. Je vois bien les problèmes, mais je suis un défenseur de la société à l’européenne. Je m’épanouis là-dedans. » Est-ce à dire que, pour lui, il faudrait avoir “moins peur” parce que des solutions aux problèmes pourraient être apportées par la société libérale ? « La tradition intellectuelle de notre société européenne est celle des Lumières, et donc de la raison, de la science, de l’innovation, du progrès, de la liberté. L’histoire a montré que ces valeurs étaient les plus appropriées pour répondre à des problèmes collectifs complexes. » Prenant l’exemple du réchauffement climatique et des émissions carbone, il relève que les contrées où ces émissions baissent le plus sont les pays européens et les États-Unis. Alors qu’elles augmentent en Chine, en Russie et en Inde. « Évidemment qu’on n’en fait pas assez, dit-il. Il faut aller plus loin, mais, aujourd’hui, les pays les plus performants du point de vue écologique sont ceux dans lesquels existe une société civile libre qui fait pression sur les gouvernements. Voilà pourquoi les États-Unis se sont convertis en quelques années à la décarbonation. Les pays occidentaux font le procès des pays occidentaux, ce qui est aussi d’ailleurs un attribut d’une société libre. Les Chinois, eux, ne font pas beaucoup le procès de la société chinoise. »
AGIR POUR MATER LA PEUR
Certains économistes libéraux purs et durs du nord de l’Europe tiennent des propos aussi (sinon plus) optimistes que Nicolas Bouzou, ce qui n’est pas nécessairement rassurant. Mais ce type de contre-discours n’est pas que l’apanage d’ultras. Il cite notamment le Canadien Steven Pinker, dont les livres font un tabac, ou les travaux du site internet Our world in data, créé par le Max Roser, de l’université d’Oxford. « Comme la plupart des phénomènes biologiques, l’impact de la peur sur la capacité à raisonner et à agir suit une courbe en cloche, poursuit-il. Cela veut dire qu’un petit peu de peur, c’est bien. Mais qu’au-delà d’un certain point, cela dérègle le raisonnement. Une anxiété assez généralisée touche nos contemporains. L’éco-anxiété dont souffrent de nombreux jeunes en est, hélas, une des conséquences. »
Face à cela, Nicolas Bouzou ne veut pas paraître comme un optimiste naïvement positif. « Ayons confiance dans la capacité des humains à réfléchir, à travailler pour résoudre les problèmes. Ce n’est pas tant une question d’optimisme ou de vision de l’avenir, que de se dire : au fond, l’homme est libre, l’humain est libre, c’est une potentialité. On n’a jamais disposé d’autant de savoir et d’outils qu’aujourd’hui. Tout cela est entre nos mains. Et nous donne une capacité à résoudre un très grand nombre de problèmes. » C’est ainsi qu’on pourra lutter contre la perte de confiance, qui génère la peur. « La confiance débouche sur l’action, et l’action annihile la peur, comme on l’éprouve dans nos vies personnelles. Quand on agit, on a moins peur. Lorsqu’on souffre d’une maladie, le moment où on commence le traitement sera moins anxiogène que celui qui précédait, même si c’est un traitement très pénible. Parce qu’on se situe dans une logique d’action. Sur les questions climatiques, les scientifiques, notamment ceux du GIEC, qui sont très lucides, n’ont pas peur. Les activistes, eux, ont peur. Les scientifiques voient le problème, mais ils ne sont pas dans la peur. Les politiques devraient aussi tenir des discours moins punitifs. Il y a un énorme investissement intellectuel à opérer pour rebâtir un discours qui soit celui d’une vision de la société, d’un projet et porter l’idée qu’on peut y arriver. Ce qui est compliqué en politique est de ne pas promettre la lune. Mais c’est de dire : si on se retrousse ses manches, on y arrivera. »
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