RivEspérance : encourager le dialogue dans une société trop polarisée

RivEspérance : encourager le dialogue dans une société trop polarisée

RivEspérance organise sa sixième édition à Liège début février. Cet événement principalement animé par des laïcs chrétiens s’interroge, autour de personnalités très diverses, sur les spiritualités de demain et sur le sens et l’engagement.

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Publié le

31 décembre 2023

· Mis à jour le

4 février 2025

« Ce qui fait l’homme, c’est sa dimension spirituelle. La spiritualité est le lieu intérieur où l’on décide du sens que l’on donne à sa vie et de ses engagements en fonction de ses valeurs », considère Charles Delhez, l’un des responsables de RivEspérance, dont la prochaine édition a pour thème : « Quelles spiritualités pour demain ? Sens et engagement. ». « Nous vivons une époque de transition, nous allons basculer dans un autre monde, pense celui qui été pendant vingt ans le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Dimanche. Et nous sommes convaincus que cette transition ne se fera qu’avec un souffle spirituel. Au lieu de diaboliser les autres spiritualités, qui peuvent être aussi non religieuses, il faut “souffler” tous ensemble. » 

AFFAIRE VANGHELUWE

C’est au tournant des années 2010 que naît l’idée de RivEspérance dans la tête d’une poignée de personnes, majoritairement laïques, à l’exception du jésuite Charles Delhez. L’Église est alors secouée par une affaire de pédophilie qui fait grand bruit : Roger Joseph Vangheluwe, évêque de Bruges, a reconnu des abus sexuels contre un jeune garçon et a été démis de ses fonctions par le pape Benoît XVI. Ces “chrétiens de base” décident de réagir en organisant à Namur, vers la Toussaint 2012, un premier forum sur le thème de l’espérance. Il attire quelque mille cinq cents personnes, confirmant ainsi, comme le précise Charles Delhez, que « l’Église, ce n’est pas que la hiérarchie, ce sont ceux qui croient à la force de l’Évangile et veulent faire naître un souffle d’espérance dans le monde ».

Les trois éditions suivantes ont lieu tous les deux ans, toujours à Namur. Avant de migrer en 2021 vers l’Aula Magna à Louvain-la-Neuve, rencontrant un égal succès public. Lors de cette session placée sous le signe de la transition étaient invités l’ingénieur agronome et collapsologue Gauthier Chapelle, la jeune activiste climatique belge Adélaïde Charlier ou l’économiste Étienne de Callataÿ. La présence de personnalités de premier plan caractérise RivEspérance depuis ses débuts. Se sont ainsi succédé Olivier Le Gendre (l’auteur de Confession d’un cardinal), le bibliste protestant Daniel Marguerat, le philosophe Frédéric Lenoir ou l’autrice et réalisatrice Anne-Dauphine Julian. « On a toujours insisté sur l’interconvictionnel, avec également des non catholiques, précise Charles Delhez. Notre rêve est de mettre la société en dialogue. Il faut que nous placions toutes nos espérances et nos convictions en commun pour inventer le monde de demain qui se cherche aujourd’hui. » 

TROUVER DE L’HUMAIN

Cette volonté est confirmée cette année par la richesse et la variété des intervenants. La table ronde du vendredi soir réunira, autour du responsable jésuite, l’islamologue Rachid Benzine, la pasteure protestante Laurence Flachon (chroniqueuse à L’appel) et le mathématicien agnostique André Fuzfa. Suivront, le lendemain matin, l’écologue Pablo Servigne, Pierre-Paul Renders, réalisateur de la série vidéo Des arbres qui marchent, et deux théologiennes, l’une protestante, Marion-Muller Colard, l’autre musulmane, Asma Lamrabet. Toutes et tous réfléchiront aux spiritualités pour demain et au lien entre sens et engagement. « C’est un thème audacieux, très chrétien et très en phase avec la société dont on a besoin, estime Laurence Flachon. L’espérance chrétienne va au-delà de ce que l’on voit et de l’actualité très sombre qui donne tous les jours des raisons de désespérer. Elle doit nous tenir quand les circonstances sont catastrophiques. Dans notre foi, il y a un Dieu qui nous donne des forces et qui nous dit qu’il est toujours possible de trouver de l’humain quelque part. On travaille à faire grandir l’humanité là où la violence se déchaine. »

« Je pense à ceux qui se sentent déclassés, à l’écart entre les riches et les pauvres qui s’agrandit, autant d’injustices génératrices de désespoir, de révolte, donc de violence. J’ai le sentiment, depuis le covid, d’un désengagement, d’un retrait, comme si les gens essayaient de survivre d’abord pour eux. Or on a besoin de retrouver le sens du combat en faveur de l’autre. Et je suis assez sensible aux questions d’éco-anxiété. Je suis préoccupée par le fait que l’on continue à aller dans le mur à grande vitesse, sans qu’aucun argument rationnel ne change quoi que ce soit. C’est toujours le profit qui gagne, aucune raison ne tient devant lui, et cela est désespérant. Il y a quand même quelque chose dans l’être humain qui peut résister à cela et la foi en Jésus-Christ nous invite à le faire, au nom de la justice, de la réconciliation, de la paix. Au nom d’une espérance que le Christ nous donne d’être aimés et de pouvoir aimer les autres. Nous ne sommes pas les seuls, mais, en tant chrétiens, l’espérance doit éclairer notre présent. »

AGNOSTICISME CONSTRUCTIF

« Plus on avance, plus on se rend compte qu’il y a de moins en moins de place, dans notre société extrêmement polarisée, pour présenter différentes approches du questionnement spirituel et pour un vrai dialogue », regrette le docteur en sciences physiques à l’UNamur André Fuzfa, qui se réjouit donc de pouvoir venir parler de son « agnosticisme constructif ». « Ce n’est pas une position de facilité, de confort, à mi-chemin entre les croyants et les athées, qui se contente de compter les coups sans véritablement prendre position. C’est un doute que j’appelle constructif car il est un engagement à chercher, à se questionner. Je n’ai jamais réussi à me convaincre ni de l’existence de Dieu ni de son inexistence. S’il existe, je pense qu’il est inconnaissable. C’est un peu comme dans la démarche scientifique où ce ne sont pas les réponses, mais les questions qui nous intéressent. On ne peut qu’être en chemin et user de notre doute qui est l’exercice de notre liberté. Ma position est de laisser une porte ouverte pour l’existence de Dieu. Je doute en toute confiance, c’est ce qui nous rend vivants, même si ce n’est pas rassurant. »

Le samedi après-midi est consacré à une trentaine d’ateliers autour de thèmes de société (les pauvretés, le milieu carcéral, les hôpitaux, les réseaux de transition…) ou religieux (le dialogue interconfessionnel, l’Église…), coanimés par un spécialiste de la question et un homme ou une femme de terrain. RivEspérance possède aussi une dimension artistique avec un concert rassemblant, en soirée, la harpiste Alix Colin, le saxophoniste Damien Brassart, le conteur Raphaël Dachelet et un derviche tourneur, Alperen Dikici. « L’art est essentiel dans la spiritualité et dans l’espérance. J’attends beaucoup de ce spectacle inter-spirituel, c’est une autre voie d’approche de ce que nous recherchons », relève Charles Delhez, qui rappelle qu’une célébration eucharistique aura lieu le samedi en fin d’après-midi dans le Palais des Congrès même. 

Michel PAQUOT

RivEspérance, les 2 et 3 février 2024 au Palais des Congrès de Liège, esplanade de l’Europe. Entrée libre.  rivesperance.be

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