Too good to go : bonne ou mauvaise solution ?
Too good to go : bonne ou mauvaise solution ?
Dans le monde, selon le WWF, une personne sur neuf se couche le ventre vide, mais près de 40% de la nourriture est gaspillée. Si l’appli Too Good To Go, qui permet de récupérer des invendus à un prix imbattable, semble dès lors prendre tout son sens, elle prive aussi certaines associations de ces précieuses denrées, alors que la pauvreté ne cesse de grimper en flèche.
Publié le
· Mis à jour le

Le nombre de personnes qui cherchent, en ligne, à récupérer des aliments in extremis avant qu’ils ne soient périmés a augmenté de 80% après la pandémie. Ces dernières années ont, il est vrai, été difficiles. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait exploser le prix des denrées alimentaires, des carburants et des engrais. Combinés aux crises climatique et sanitaire et à l’inflation, ces facteurs ont intensifié l’insécurité alimentaire. Il n’en reste pas moins que trois millions et demi de tonnes de nourriture sont gaspillées chaque année en Belgique, soit 345 kilos par citoyen et par an. Ce gaspillage est, en plus, polluant : il représente 10% des émissions de gaz à effet de serre (plus que le secteur aérien). S’il était un pays, il serait même le troisième émetteur, après la Chine et les États-Unis.
UN TIERS DU PRIX
Dans un tel contexte, l’appli antigaspi Too Good To Go (traduisez « trop bon pour être jeté »), créée en 2015 au Danemark et arrivée en Belgique trois ans plus tard, est apparue comme une solution éthique, écologique et sociale. Elle permet en effet à tout un chacun d’acheter à prix cassés les invendus de toute une série de magasins. Une aubaine pour les chasseurs de promotions, mais aussi pour les revendeurs qui réduisent ainsi le gaspillage alimentaire… et les pertes financières. Concrètement, cette interface connecte des commerces et des habitants prêts à venir chercher des paniers garnis au prix, en moyenne, d’un tiers de leur valeur marchande réelle. Un deal simple, écologique et économique : les uns, parmi lesquels on trouve aussi bien des boulangeries, traiteurs ou supermarchés, que des hôtels, restaurants et même des fleuristes, se délestent à bas prix les invendus de la journée (qui représentent 1 à 3% de leur chiffre d’affaires annuel), tandis que les autres bénéficient d’un repas bon marché.
Une fois l’application téléchargée, les utilisateurs ont accès aux offres de produits disponibles près de chez eux. Ils peuvent cibler les repas en fonction du lieu où ceux-ci sont disponibles ou selon différentes options, tels que l’heure de la collecte ou le type de nourriture (repas végan ou végétarien, par exemple). Une fois qu’ils ont commandé leur repas, ils obtiennent un reçu qu’ils présentent ensuite au commerçant afin de récupérer leur dû. De manière générale, les consommateurs ont accès à un “panier surprise”, qui coûte entre 3 et 5 euros, pour une valeur initiale est de 10 à 15 euros. Mais l’application prend une commission dessus, autour de 1,09 euro, et, certains jours, il n’y a pas d’invendus. Dans ces cas-là, les commerçants peuvent annuler la commande, au moins soixante minutes avant l’heure de récupération. À l’inverse, le nombre de paniers peut augmenter en cours de journée.
Le Panier à pain, une boulangerie basée à Waterloo, se montre tout à fait satisfaite de l’appli. « Nous sommes ravis de l’utiliser, commente sa responsable, même si le gain financier est moindre : à peine un ou deux euros par panier, alors que nous proposons trois paniers par jour en moyenne. La satisfaction de réduire le gaspillage et d’aider les personnes dans le besoin est néanmoins très gratifiante. »
UNE SATISFACTION GÉNÉRALE
Les clients qui recourent à To good To Go semblent très satisfaits, si l’on se réfère aux avis sur internet. L’appli récolte en effet une note de 4,9/5 sur l’Apple Store et 4,8/5 sur le Google Play Store, avec plus d’un million et demi d’avis au total. Les clients apprécient la facilité d’utilisation, la composition des paniers et, surtout, les économies réalisées. Sur des plateformes comme Trustpilot, les opinions sont plus mitigées. Certains clients épinglent des produits abîmés ou pourris, ou moins généreux qu’annoncés. D’autres se plaignent de dysfonctionnements qui rendent impossibles la réservation de paniers ou le fait que le panier n’a pas été réservé une fois arrivés au magasin.
Élodie, 26 ans, en couple avec un enfant, est une fan invétérée du système. « J’utilise Too Good To Go depuis deux ans, et j’en suis extrêmement satisfaite, se réjouit-elle. Mon compagnon et moi aimerions devenir propriétaires et mettons de l’argent de côté pour pouvoir y parvenir. Or, le prix des denrées alimentaires a flambé en deux ans. Chaque mois, nous économisons ainsi environ six cents euros. Nous nous sommes même autorisés un voyage à New York grâce à l’épargne réalisée ! En pratique, nous jonglons entre quatre ou cinq commerces participants : grande surface, pâtisserie, resto, traiteur… Sur deux cent vingt-cinq paniers achetés en deux ans, j’ai été un peu moins satisfaite une dizaine de fois – ce qui est peu – car j’avais reçu des produits dont je n’avais pas spécialement besoin. Je les ai alors partagés avec des voisins, ce qui m’a donné l’occasion de créer du tissu social… Il arrive aussi que le commerçant garnisse beaucoup plus le panier car il a davantage d’invendus que prévu en fin de journée. »
LES REVERS DE L’APPLI
« Ce qui fait le bonheur des uns fait le malheur des autres », dit la maxime. Et dans le cas des applis antigaspi, ce sont les plus paupérisés qui trinquent. « Entre 2019 et 2023, nous sommes passés de six cent septante mille repas distribués à un million six cent mille, remarque Franck Duval, président et administrateur des Restos du Cœur. Or, le type d’interface comme Too Good To Go concourt à renforcer la problématique des dons, alors que les demandes ont quasiment été multipliées par trois en quelques années. Cette “captation” de marchandises en nature, qui nous revenaient, a été de l’ordre de 19% en 2023. Pourtant, nous sommes de plus en plus sollicités, y compris par des publics autrefois épargnés par la pauvreté, par exemple des travailleurs à bas salaire ou des familles monoparentales. »
Cette demande croissante pour les biens de consommation moins chers ne serait-elle pas la conséquence d’une paupérisation se répercutant en cascade sur les franges les plus fragiles de la population ? « Selon moi, poursuit le responsable associatif, certains utilisateurs des applications antigaspi ont vu leurs moyens diminuer, mais ce n’est pas là un phénomène général. De notre côté, nous devons redoubler d’efforts, de créativité et d’appels pour parvenir à offrir des repas à ceux qui en ont vraiment besoin. Nous comptons notamment sur le dévouement des bénévoles, mais il nous arrive aussi d’acheter les produits dont nous manquons afin de mener notre mission à bien. »
Virginie STASSEN